Vu la requête enregistrée le 23 juillet 2012, présentée pour la société Laurent M==, société d’exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl), dont le siège social est situé == ;

La société Laurent M== demande à la cour d’annuler le jugement n° 1001203 en date du 24 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a, sur la demande de Mme Laure B==, annulé la décision du 2 février 2010 par laquelle l’inspectrice du travail de la 12ème section d’inspection de la direction départementale du travail, de l’emploi, et de la formation professionnelle de la Gironde a autorisé son licenciement ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code du commerce ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 5 mars 2013 :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;

- les observations de Me Lecocq Peltier substituant Me Bisiau, avocat de Mme B== ;

1. Considérant que la société S3G Graph, appartenant au pôle presse du groupe S3G, et qui gérait un fonds de commerce d’info graphisme à Pessac, a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 2 décembre 2009 autorisant la poursuite de l’activité jusqu’au 31 janvier 2010 ; qu’à l’issue de cette période, l’administrateur a sollicité du juge commissaire l’autorisation de licencier 125 salariés, ainsi que les 11 salariés protégés de la société ; que dans le cadre de cette procédure, il a déposé auprès de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle de la Gironde une demande d’autorisation de licenciement de Mme B==, employée en qualité d’opératrice PAO et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que par une décision du 2 février 2010, l’inspectrice du travail, après avoir constaté que le délai fixé par les dispositions de l’article L. 1233-1 du code du travail n’avait pas été respecté, relevé qu’il n’avait pas été satisfait à l’obligation de recherche de reclassement de l’intéressée dans le groupe et estimé que la mesure de licenciement n’apparaissait pas dénuée de tout lien avec le mandat exercé, a cependant autorisé le licenciement de la salariée au motif que celle-ci souhaitait « être libérée le plus rapidement possible de ses obligations contractuelles notamment afin de ne pas être dans l’immédiat financièrement pénalisée » ; que la société Laurent M==, mandataire liquidateur de la société S3G Graph, fait appel du jugement du 24 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a, sur la demande de Mme B==, annulé la décision de l’inspectrice du travail du 2 février 2010 autorisant son licenciement ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2411-1 du code du travail : « Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l’un des mandats suivants : (…) 7° Représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; (…). » ; qu’en vertu de l’article L. 2411-13 du même code du travail, le licenciement d'un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

4. Considérant que la société Laurent M== soutient que Mme B== n’avait pas intérêt à agir à l’encontre de la décision autorisant son licenciement dès lors qu’ayant accepté de bénéficier des mesures financières liées à celui-ci, elle doit être regardée comme ayant renoncé à son droit de le contester, et qu’en tout état de cause, en refusant le licenciement, elle se serait privée de toute indemnisation et se serait placée dans une situation financière pénalisante ; que cependant, les salariés investis de fonctions représentatives ne peuvent renoncer par avance aux dispositions protectrices d’ordre public instituées en leur faveur ; que la procédure d'autorisation de licenciement de ces salariés protégés trouve à s'appliquer quand bien même ceux-ci auraient accepté la rupture du contrat de travail dans le but de percevoir sans délai des indemnités pour perte d’emploi ; que, dans ces conditions, la circonstance que l’autorisation de licenciement permettait de placer la salariée, notamment sur un plan financier, dans une situation plus favorable que si cette mesure était refusée, n’est pas de nature à enlever à la décision attaquée son caractère de décision faisant grief et à priver Mme B==, titulaire d’un mandat représentatif, de son intérêt à agir à l’encontre de cette décision, bien qu’elle ait accepté de bénéficier des mesures financières liées à son licenciement ; que, par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée par la société Laurent M== ;

5. Considérant que la liquidation judiciaire de l’entreprise avec autorisation de poursuite provisoire de l’exploitation prononcée par jugement du 2 décembre 2009 ne pouvait avoir légalement pour effet de faire échec à l’application des dispositions du code du travail relatives à la protection exceptionnelle dont bénéficient les salariés investis d’un mandat représentatif ; qu’il résulte de ce qui a été dit précédemment, et ainsi que l’a relevé à juste titre le tribunal administratif, que l’inspectrice du travail, qui a accordé l’autorisation de licenciement de Mme B==, membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, malgré les illégalités qu’elle avait constatées, s’est cru liée par la volonté exprimée par l’intéressée de mettre fin à ses obligations contractuelles ; qu’elle a ainsi méconnu sa propre compétence et entaché sa décision d’erreur de droit ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Laurent M== n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de Mme B== tendant à l’annulation de la décision de l’inspectrice du travail du 2 février 2010 ;

7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et de mettre à la charge de la société Laurent M== une somme de 1 000 euros à verser à Mme B== au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : La requête de la société Laurent M== est rejetée.

Article 2 : La société Laurent M== versera à Mme B== la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.