Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 28 mai 2010, présentée pour M. Mehmet Y==, par Me Landete, avocat ;

M. Y== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0802264 en date du 1er avril 2010 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral que lui a causé le fait d’avoir été entravé lors de son hospitalisation en août 2007 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser ladite somme ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1.500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………………………….

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 février 2012 :

- le rapport de Mme Balzamo, premier conseiller ; - les conclusions de M. Katz, rapporteur public ; - et les observations de Me Billand, avocat de M. Y== ;

Vu la note en délibéré, enregistrée à la cour le 17 février 2012, présentée pour M. Y== ;

Considérant que M. Mehmet Y== interjette appel du jugement n° 0802264 en date du 1er avril 2010 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral que lui a causé le fait d’avoir été entravé lors de son hospitalisation en août 2007 ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (…) » ; que l’article R. 421-5 du même code dispose que : « « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; qu’aux termes de l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 : « Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis. (...) » ;

Considérant que si la formation d'un recours administratif contre une décision établit que l'auteur de ce recours administratif a eu connaissance de la décision qu'il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l'application des dispositions de l'article R. 421-5 précité du code de justice administrative ; que la décision du 3 décembre 2007 par laquelle le préfet de la Gironde a rejeté la demande indemnitaire de M. Y== ne mentionnait pas les délais et voies de recours ; que le recours gracieux contre cette décision, présenté par M. Y== par lettre recommandée avec accusé de réception reçue en préfecture le 23 janvier 2008, n’a pas fait l’objet de l’accusé de réception prévu par les dispositions précitées de la loi du 12 avril 2000 ; que le délai de recours contentieux n'ayant ainsi pu commencer à courir, la demande de M. Y==, enregistrée le 6 mai 2008 au greffe du tribunal n’était pas tardive ; que, par suite, le jugement du tribunal administratif rejetant pour ce motif la demande de M. Y== est irrégulier et doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. Y== ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le préfet de la Gironde a pris à l’encontre de M. Y== un arrêté de reconduite à la frontière le 25 mai 2007, puis a décidé le 31 juillet 2007 de le placer en rétention administrative pour quarante-huit heures en vue de procéder à son éloignement ; que M. Y==, dont la mesure de rétention avait été prolongée pour quinze jours, a entamé une grève de la faim et de la soif et a été hospitalisé au service des urgences de l’hôpital Saint-André de Bordeaux le 8 août 2007 en raison de son affaiblissement et de son état d’hypoglycémie ; qu’il ressort du témoignage du chef du service des urgences qu’à la demande des médecins qui l’ont accueilli à son arrivée à l’hôpital, les fonctionnaires de police ont retiré les menottes qui liaient l’intéressé ; qu’une contention par liens souples a alors été mise en place par les médecins afin d’empêcher le patient de retirer la perfusion qui avait été posée ; que le 9 août 2007, les médecins ont constaté que les policiers avaient de nouveau entravé M. Y== au niveau des chevilles alors qu’il était alité ; que jusqu’à cette nouvelle intervention du personnel médical, M. Y== est demeuré entravé pendant plusieurs heures ; que compte tenu des précautions prises par le centre hospitalier qui avait placé M. Y== dans une chambre gardée par deux fonctionnaires de police, dont la porte demeurait ouverte et dont les fenêtres étaient sécurisées, une telle mesure excédait manifestement les exigences de sécurité ; qu’au surplus, eu égard à l’état d’affaiblissement du requérant qui depuis son arrivée à l’hôpital n’avait pas manifesté de signe de dangerosité pour lui-même ou pour autrui, l’entrave des chevilles qui lui a été imposée sur son lit d’hôpital a constitué un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la faute ainsi commise est de nature à engager la responsabilité de l’administration ; qu’eu égard aux circonstances de l’espèce il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. Y== en condamnant l’Etat à lui verser une somme de 500 euros ;

Sur l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. Y== a obtenu l’aide juridictionnelle totale par décision du bureau d’aide juridictionnelle du 11 octobre 2010 ; que, par suite, il n’est pas fondé à demander que l’Etat soit condamné à lui verser la somme de 1.500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0802264 du tribunal administratif de Bordeaux du 1er avril 2010 est annulé.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser à M. Y== une somme de 500 euros à titre de réparation.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Y== est rejeté.