Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2010, présentée pour la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE, société par actions simplifiée, dont le siège est place des Barques à Marans (17230), représentée par son président en exercice, par Me Bitar et Bertacchi ;

La SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°0701026-0701027 du 28 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 180 935,80 euros assortie des intérêts moratoires en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi à la suite de la suppression de la règle dite du « décalage d’un mois » en matière d’imputation de la taxe sur la valeur ajoutée, en raison du remboursement tardif de son crédit de référence de taxe et du faible niveau des taux d’intérêts servis par l’Etat ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser ladite somme assortie des intérêts moratoires capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5.000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu le jugement attaqué ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ;

Vu la dix-huitième directive du 18 juillet 1989 en matière d’harmonisation de la législation des Etats-membres ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;

Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 relatif au remboursement par anticipation des créances sur le Trésor nées de la suppression de la règle du décalage d’un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu l’arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d’un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 fixant le taux d’intérêt applicable à compter du 1er janvier 1994 et du 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d’un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu l’arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des Communautés européennes rendu dans l’affaire C-368/06 SA Cedillac ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 26 janvier 2012,

- le rapport de Mme Viard, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

Considérant que, par un courrier du 19 décembre 2006 adressé au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE a contesté les modalités de remboursement de sa créance sur le Trésor née de la suppression par l’article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993 de la règle dite du « décalage d’un mois » en matière d’imputation de la taxe sur la valeur ajoutée et sollicité le versement d’une somme de 180 935,80 euros au titre de l’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi à raison du remboursement tardif de son crédit de référence de taxe sur la valeur ajoutée et du faible niveau des taux d’intérêts servis par l’Etat en rémunération de cette créance entre 1993 et 2002 ; que la société a contesté devant le tribunal administratif de Poitiers la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre pendant plus de deux mois sur cette demande indemnitaire ; qu’elle fait appel du jugement ayant rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que les premiers juges ont répondu à tous les moyens invoqués par la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE et notamment à celui tiré de ce qu’elle ne disposait pas de droits acquis au bénéfice de sa créance ; que le moyen tiré d’une omission à statuer doit dès lors être écarté ;

Sur le fond du litige :

Considérant que, par les dispositions de l’article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, le législateur a mis fin à la règle dite du « décalage d’un mois » selon laquelle les assujettis ne pouvaient déduire immédiatement de la taxe sur la valeur ajoutée dont ils étaient redevables, la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services, la déduction ne pouvant être opérée que le mois suivant ; qu’afin d’étaler sur plusieurs années l’incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l’imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d’effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soit les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, insérant dans le code général des impôts un article 271 A, ont prévu que, sous réserve d’exceptions et d’aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une « déduction de référence (…) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent », que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables « une créance (…) sur le Trésor (…) convertie en titres inscrits en compte d’un égal montant », que des décrets en Conseil d’Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir « à hauteur de 10 % au minimum pour l’année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (…) et dans un délai maximal de vingt ans », et, enfin, que les créances porteraient intérêt « à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % » ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n’excédaient pas 150 000 F et d’une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l’excédaient, le taux d’intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d’intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu’enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;

En ce qui concerne les conclusions de la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE relatives aux années 1993 à 2001 :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : « Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, (…) toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (…) » ; que l’article 2 de la même loi dispose que : « La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance (…) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance (…) Toute communication écrite d’une administration intéressée, même si cette communication n’a pas été faite directement au créancier qui s’en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance (…) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. » ; qu’aux termes de l’article 3 de cette loi : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, ( …) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement. » ; qu’enfin, aux termes de l’article 7 de cette même loi : « L’Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d’une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l’invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (…) » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) » ; qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » ;

Considérant que la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE avait la possibilité de contester la conformité aux principes communautaires et conventionnels des dispositions mettant fin à la règle dite du « décalage d’un mois » dès leur publication en 1993 ; qu’en outre, la société requérante a eu connaissance des taux d’intérêt appliqués à la créance qu’elle détenait sur le Trésor public au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date respectivement des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996, et a été ainsi mise en mesure de les contester dès leur publication ; que la circonstance qu’elle sollicite une indemnisation sur le fondement des stipulations de l’article 1er du premier protocole de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’elle n’aurait eu connaissance de ses droits acquis en ce domaine que lorsque ont été reconnus de tels droits à des sociétés placées dans une situation analogue par des décisions du Conseil d’Etat du 31 juillet 2009 est sans incidence sur le point de départ du délai de prescription quadriennale, les « droits acquis » au sens et pour l’application de la loi du 31 décembre 1968 ne faisant pas référence à une décision juridictionnelle mais à la seule existence d’une créance d’un contribuable sur l’Etat ou les collectivités publiques ; que, dès lors, la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE, qui a d’ailleurs formé sa demande préalable le 22 décembre 2006, ne peut sérieusement soutenir qu’elle n’avait pas connaissance de la possibilité d’agir contre l’Etat français à raison de la méconnaissance par les arrêtés ministériels précités de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avant l’intervention des décisions du Conseil d’Etat du 31 juillet 2009 ; que la circonstance que la société n’était pas certaine, avant cette date, de l’étendue ou même de l’existence de son préjudice, n’est pas de nature à modifier le point de départ de la prescription quadriennale ; qu’ainsi, et alors que le délai de quatre ans, à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 ne présente pas un caractère exagérément court, les moyens tirés de la méconnaissance du principe de l’égalité des armes de procédure et de ce qu’elle aurait été privée du droit à un recours effectif au sens de l’article 13 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient davantage être accueillis dès lors que, comme il vient d’être dit, elle disposait de ce droit devant les juridictions internes et pouvait valablement introduire un recours en indemnisation ;

Considérant que le délai de prescription applicable aux créances de l’Etat nées d’un dommage causé par la faute d’autrui est fixé à dix ans par l’article 2270-1 du code civil alors applicable ; que ce délai, bien que supérieur à celui dont bénéficie la société requérante pour faire valoir sa créance à l’encontre de l’Etat, n’apparait pas tel qu’il aurait rompu le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété garantie par les stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’objectif d’intérêt général poursuivi par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 instaurant une prescription quadriennale qui est de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées à leur encontre ; que, dès lors, le moyen ainsi énoncé doit être écarté ;

Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article 4 de la même loi du 31 décembre 1968 : « Les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas en matière de remboursement de dépôts et de consignations, non plus qu’aux intérêts des sommes déposées ou consignées » ; que la créance sur le Trésor public détenue par la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE à la suite de la suppression par l’article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993 de la règle dite du « décalage d’un mois » ne présente le caractère ni d’un dépôt ni d’une consignation ; que, par suite, ladite société ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1968 ;

Considérant que la demande de la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE, en date du 19 décembre 2006, tendant à la réparation d’un préjudice financier au titre des années 1993 à 2002 a été reçue par l’administration le 22 décembre 2006 ; que la prescription était, dès lors, acquise au profit de l’Etat, pour les sommes réclamées au titre de chaque annuité jusqu’au 31 décembre 2001 ; que c’est, par suite, à juste titre que l’administration a opposé l’exception de prescription quadriennale aux conclusions de la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE relatives aux années 1993 à 2001 ;

En ce qui concerne les conclusions relatives à l’année 2002 :

Considérant que la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE reprend en appel ses conclusions relatives à l’année 2002 ; qu’il ne résulte toutefois pas de l’instruction que les premiers juges auraient, par le motif qu’ils ont retenu tiré de l’absence de préjudice afférent à l’année 2002 et qu’il y a lieu d’adopter, commis une erreur en les rejetant ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ;

DECIDE

Article 1er : La requête présentée par la SOCIETE SOUFFLET ATLANTIQUE est rejetée.