Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D== R==-G== a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat, ou à titre subsidiaire la commune d’Aytré, à lui verser une indemnité de 429 580 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subi à la suite de la tempête Xynthia du fait des fautes commises tant par l’Etat que par la commune.

Par un jugement n° 1102438 du 8 juillet 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 septembre 2014 et le 27 mai 2015, Mme R==-G==, représentée par Me Mabile, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 8 juillet 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 429 580 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu'elle estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) subsidiairement de condamner la commune d’Aytré à lui verser la somme de 429 580 euros en réparation de ses préjudices et la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Mme R==-G== est propriétaire depuis le 17 janvier 1979 d’un terrain situé route de la plage à Aytré qui a été classé en zone de solidarité à la suite de la tempête Xynthia survenue en février 2010. Elle a présenté une demande préalable d’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis à la suite de ce classement d’une part au préfet de la Charente-Maritime le 2 novembre 2011, d’autre part au maire d’Aytré, le 5 novembre 2013. Elle relève appel du jugement du 8 juillet 2014 n° 1102438 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demandes de condamnation à titre principal de l’Etat, et à titre subsidiaire de la commune d’Aytré à lui verser une somme de 429 580 euros.

Sur la responsabilité pour faute de l’Etat:

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 561-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable à la date du 20 octobre 2010 à laquelle le préfet de la Charente-Maritime a fait part aux requérants du refus de l’Etat de procéder à l’acquisition de leur terrain classé en zone de solidarité à la suite de la tempête Xynthia : « Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'Etat peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation.(...) ». L’article L. 561-3 du même code, dans sa version alors en vigueur, dispose : « I. Le fonds de prévention des risques naturels majeurs est chargé de financer, dans la limite de ses ressources, les indemnités allouées en vertu des dispositions de l'article L. 561-1 ainsi que les dépenses liées à la limitation de l'accès et à la démolition éventuelle des biens exposés afin d'en empêcher toute occupation future. En outre, il finance, dans les mêmes limites, les dépenses de prévention liées aux évacuations temporaires et au relogement des personnes exposées. / Il peut également, sur décision préalable de l'Etat et selon des modalités et conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, contribuer au financement des mesures de prévention intéressant des biens couverts par un contrat d'assurance mentionné au premier alinéa de l'article L. 125-1 du code des assurances. Les mesures de prévention susceptibles de faire l'objet de ce financement sont : / 1° L'acquisition amiable par une commune, un groupement de communes ou l'Etat d'un bien exposé à un risque prévisible de mouvements de terrain ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide, de submersion marine menaçant gravement des vies humaines ainsi que les mesures nécessaires pour en limiter l'accès et en empêcher toute occupation, sous réserve que le prix de l'acquisition amiable s'avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations ; / 2° L'acquisition amiable, par une commune, un groupement de communes ou l'Etat, de biens à usage d'habitation ou de biens utilisés dans le cadre d'activités professionnelles relevant de personnes physiques ou morales employant moins de vingt salariés et notamment d'entreprises industrielles, commerciales, agricoles ou artisanales et de leurs terrains d'assiette ainsi que les mesures nécessaires pour en limiter l'accès et en empêcher toute occupation, sous réserve que les terrains acquis soient rendus inconstructibles dans un délai de trois ans, lorsque ces biens ont été sinistrés à plus de la moitié de leur valeur et indemnisés en application de l'article L. 125 2 du code des assurances.(...) ». Ces dispositions, qui permettent l’expropriation de biens exposés à un risque de submersion marine dont résulte une menace grave pour les vies humaines, et sur le fondement desquelles les personnes qui s’estiment exposées à un tel risque peuvent demander à l’Etat d’acquérir leurs biens, ne sont pas seulement applicables aux terrains supportant des constructions à usage d’habitation. Par suite, la circonstance que le terrain de la requérante soit un terrain non bâti ne peut, à elle seule, justifier de la part de l’Etat un refus de l’acquérir en application des dispositions précitées de l’article L. 561-1 du code de l'environnement.

3. Toutefois, la responsabilité de l’Etat ne saurait être invoquée sur le terrain de la faute que dans l’hypothèse de l’existence d’un lien de causalité entre cette erreur de droit et les préjudices de perte de valeur vénale du terrain et de préjudice moral résultant de l’attitude des services de l’Etat à leur égard à la suite de la tempête Xynthia, invoqués par les requérants. Il résulte de l’instruction que si Mme R==-G== a implanté sur son terrain, dans des conditions au demeurant dont la régularité au regard de la règlementation en matière d’habitations légères de loisirs n’est pas établie, un mobil-home auquel elle a accolé une véranda, également sans que soit établie qu’elle ait satisfait à l’obligation de déclaration préalable de travaux, elle ne l’habite pas de manière permanente. Dès lors, l’élaboration d’un plan de prévention des risques littoraux et le classement du terrain dans une zone de danger ou de prescriptions sont de nature à assurer suffisamment la sauvegarde et la protection des populations exposées pour un coût moindre que l’acquisition de la propriété par l’Etat. Dans ces conditions, Mme R==-G== n’était pas fondée à demander une indemnisation à l’Etat dans le cadre des dispositions précitées de l’article L. 561-3 du code de l'environnement. Par suite, l’existence d’un lien de causalité direct entre l’erreur de droit commise par le préfet de la Charente-Maritime et les préjudices invoqués n’est pas établie en l’espèce.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 562-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle les requérants ont fait l’acquisition de leurs terrains : « I- L’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. / II. - Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : / 1° De délimiter les zones exposées aux risques, dites « zones de danger », en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; / 2° De délimiter les zones, dites « zones de précaution », qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° (... ) ». Aux termes du 1er alinéa de l’article L. 562-4 du même code : « Le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d'utilité publique. Il est annexé au plan d'occupation des sols, conformément à l'article L. 126 1 du code de l'urbanisme. ».

5. Le préfet de la Charente-Maritime a, par lettre du 23 octobre 2001, adressé au maire d’Aytré l’atlas départemental des risques littoraux, élaboré avant que ne survienne l’ouragan du 27 décembre 1999, et un dossier intitulé « Eléments de mémoire sur la tempête du 27 décembre 1999 » comportant notamment une cartographie sur laquelle figure les hauteurs d’eau relevées notamment dans le secteur de la route de la plage. Ladite lettre du 23 octobre 2001 mentionnait notamment « (…) les connaissances actuelles de ces risques (érosion et submersion marines) doivent être pris en compte dans vos politiques d’aménagement et l’ensemble des autorisations d’occupation des sols (…) et des différentes autorisations (…)». Les documents annexés à cette lettre étaient mis à la disposition du public sur le site internet de la direction départementale de l’équipement. En outre le préfet a, par arrêté 05-3162 du 29 septembre 2005 relatif à l’information du public sur les risques majeurs, notamment le risque « tempête » auxquels il est susceptible d’être exposé, puis par un arrêté du 7 janvier 2008, publié un dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM). Dans ces conditions le préfet doit être regardé comme ayant, avant la survenue de la tempête Xynthia, pris les mesures nécessaires à l’information des élus locaux et du public quant au risque « tempête » auquel la commune d’Aytré était susceptible d’être exposé. Par suite, en n’ayant pas prescrit l’élaboration d’un plan de prévention des risques littoraux sur le territoire de cette commune à cette date, le préfet n’a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

6. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / (…) / 3° Le représentant de l'Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ; (...) ». Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’existence de risques littoraux sur le territoire de nombreuses communes du littoral charentais aurait nécessité de la part du préfet de la Charente-Maritime d’autres mesures que celles qu’il a prises détaillées au point 5. Il s’ensuit que Mme R==-G== n’est pas fondée à se prévaloir d’une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des pouvoirs résultant des dispositions de l’article L. 2215-1 précité du code général des collectivités territoriales.

Sur la responsabilité sans faute de l’Etat :

7. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de façon différente ni à ce qu’il soit dérogé à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l’un et l’autre cas, en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

8. Le dispositif institué par l’article L. 561-1 précité du code de l'environnement, qui n’ouvre qu’une faculté à l’Etat, est subordonné à la condition que les moyens de sauvegarde et de protection des populations, comprenant les travaux, équipements et aménagements susceptibles de supprimer ou de réduire le risque ou de permettre l’alerte et l’évacuation ou à la mise à l’abri de la population menacée ainsi que les mesures de police de nature à sauvegarder ou à protéger la population ou à éviter son exposition au risque, s’avèrent plus coûteux que les indemnités à verser pour sa mise en œuvre. L’appréciation des mesures de sauvegarde ou de protection de nature à faire obstacle à l’acquisition par l’Etat peut ainsi différer notamment selon qu’il s’agit de terrains bâtis, dont la vocation est de permettre une occupation humaine permanente, ou de terrains nus dont l’occupation ou la fréquentation peut faire l’objet de restrictions en rapport avec leur usage et avec le risque auquel ils sont exposés.

9. La différence de traitement entre la situation du terrain de Mme R==-G==, sur lequel le mobil-home implanté n’a pas vocation à permettre une occupation humaine permanente en vertu des termes mêmes de l’article R. 111-31 du code de l'urbanisme et celles de terrains bâtis ou affectés à une activité professionnelle de camping, est en rapport direct avec l’appréciation des mesures de sauvegarde ou de protection des populations et des biens exposés au risque de submersion marine. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette différence de traitement soit manifestement disproportionnée eu égard à l’absence d’exposition permanente de personnes au risque de submersion. Par suite, l’absence d’acquisition de la propriété de Mme R==-G== n’est pas de nature à engager la responsabilité sans faute de l’Etat à raison de la violation du principe d’égalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme R==-G== n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions dirigées contre l’Etat.

Sur la responsabilité pour faute de la commune d’Aytré :

11. Il est vrai qu’il ressort de la cartographie figurant dans le document intitulé « Eléments de mémoire sur la tempête du 27 décembre 1999 » portée à la connaissance de la commune d’Aytré par le préfet de la Charente-Maritime le 23 octobre 2001 que cette commune ne pouvait ignorer que lors de cette tempête, la hauteur d’eau constatée dans le secteur de la route de la plage s’était élevée à 4,12 m NGF et que, par suite, les terrains situés dans ce secteur, notamment celui appartenant à Mme R==-G==, étaient exposés à un risque de submersion. Toutefois, l’absence de mise en œuvre par la commune d’Aytré, postérieurement à cette information, de procédure de modification ou de révision de son plan d'occupation des sols afin de tenir compte de ce risque naturel prévisible n’a privé la requérante d’aucune garantie lors de son acquisition intervenue en janvier 1979 soit plus de vingt ans au préalable. Il n’est ni établi ni même invoqué que l’autorité administrative aurait eu dès cette date, ou à la date à laquelle la requérante a installé son mobil-home, non précisée mais antérieure à la tempête de décembre 1999, ou encore en 1993, date de réalisation de la véranda, des éléments d’information suffisants pour établir l’existence d’un risque de submersion marine. Enfin, la requérante qui n’établit pas avoir demandé la délivrance d’autorisations d’urbanisme avant d’installer son mobil-home et de réaliser la véranda ne peut utilement se prévaloir d’une méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l'urbanisme permettant de refuser ou de n’accorder le permis de construire que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si la construction est exposée à un risque de sécurité publique. Par suite, le préjudice de perte de valeur vénale de son terrain, ainsi que le préjudice moral invoqué, ne résultent pas de manière directe de fautes commises par la commune d’Aytré.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme R==-G== n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions dirigées contre la commune d’Aytré.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat et de la commune d’Aytré, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes demandées par la requérante, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de Mme R==-G== la somme de 1 500 euros demandée par la commune d’Aytré au titre des frais exposés par elle.

DECIDE

Article 1er : La requête de Mme R==-G== est rejetée.

Article 2 : Mme R==-G== versera la somme de 1 500 euros à la commune d’Aytré en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.