Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C=== et M. V=== et leurs colistiers ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d’annuler l’élection des membres de la chambre de métiers et de l’artisanat de la Guadeloupe clôturée le 14 octobre 2016.

Par un jugement n° 1601093, 1601098, 1601099 du 24 janvier 2017, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé les opérations électorales clôturées le 14 octobre 2016.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2017, MM===,===., représentés par Me Bertrand, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 24 janvier 2017 ;

2°) de valider les résultats proclamés le 21 octobre 2016 ;

3°) et de mettre à la charge de MM. C=== et V=== le versement de la somme de 2 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2017, M. V=== et ses colistiers, représentés par Me Deporcq, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des requérants le versement d’une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Un mémoire enregistré le 10 mai 2017 a été présenté pour M. L=== et les autres requérants.


Considérant ce qui suit :

1. A l’issue des opérations électorales organisées en vue de l’élection des membres de la chambre de métiers et de l’artisanat de la région Guadeloupe, clôturées le 14 octobre 2016, ont été proclamés élus, le 21 octobre suivant, vingt-et-un candidats de la liste « Ensemble pour l’artisanat, préparons l’avenir autrement », conduite par M. L===, qui a recueilli 2 734 voix, trois candidats de la liste « Engagement et action au cœur des métiers », conduite par M. C===, qui a recueilli 690 voix et un candidat de la liste « Les artisans du changement », conduite par M. V===, qui a recueilli 238 voix sur les 3 662 suffrages exprimés. Par jugement du 24 janvier 2017, le tribunal administratif de la Guadeloupe, saisi par MM. C=== et V=== et leurs colistiers, a prononcé l’annulation de ces opérations électorales. M. L=== et ses co-listiers élus relèvent appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que le tribunal, qui disposait en tout état de cause d’éléments attestant du départ de Mme P=== avant la fin des opérations de dépouillement, se serait fondé sur les déclarations faites par elle au cours de l’enquête ordonnée par jugement avant-dire droit du 6 janvier 2017, pour prononcer l’annulation du scrutin. Dans ces conditions, la circonstance que les parties n’auraient pas été destinataires du procès-verbal d’audition de Mme P=== dans le cadre de l’enquête décidée par les premiers juges n’a pas entaché le jugement de méconnaissance du principe du contradictoire.

3. En second lieu, le tribunal administratif, qui n’avait pas à répondre à tous les arguments avancés par les parties, a exposé précisément l’ensemble des circonstances sur lesquelles il s’est fondé pour prononcer l’annulation du scrutin contesté. Son jugement est suffisamment motivé.

Au fond :

4. Le procès-verbal de recensement des votes établi le 21 octobre 2016 à 00h20 par la commission d’organisation des élections, composée de sa présidente, représentant le préfet de la Guadeloupe, de Mme P===, représentante de la chambre de métiers et de l’artisanat, et de M. M===, représentant de La Poste, chargée de l’acheminement des plis contenant les suffrages, mentionne que Mme P=== et M. M=== ont quitté la commission avant la fin des opérations de dépouillement « suite au climat de violence » de ces opérations. Ils n’ont d’ailleurs pas signé ce procès-verbal. Les membres de la liste de M. C=== ont également porté au procès-verbal plusieurs observations concernant l’impossibilité dans laquelle ils se seraient trouvés de désigner un scrutateur par suite des agissements de M. L===, la différence entre le nombre d’enveloppes d’acheminement et celui des enveloppes contenant un bulletin, des émargements sans ouverture des enveloppes d’acheminement des votes correspondantes, la non-conformité du matériel de vote de certains suffrages émis en faveur de la liste de M. L===, l’absence d’émargements pour des électeurs ayant cependant émis un vote, un grand nombre d’enveloppes doublons et l’impossibilité pour eux de contrôler l’état des enveloppes d’acheminement des votes. Les protestations dont le tribunal a été saisi ont par ailleurs été accompagnées d’un constat d’huissier de justice, auquel ont fait procéder MM. C=== et V=== le 20 octobre 2016 à 15h10 en cours de dépouillement à la préfecture, d’où il ressort que certains bulletins au nom de la liste de M. L=== étaient d’une couleur et d’un grammage nettement différents des autres bulletins de cette liste et que les enveloppes des votes émis en faveur de cette liste présentaient également des différences de couleur. L’huissier de justice a également constaté qu’un vote n’avait pas été comptabilisé bien que l’électrice concernée était dûment inscrite sur la liste électorale. La présidente de la commission ne lui a, en revanche, pas donné accès aux enveloppes d’acheminement dont certains scrutateurs avaient rapporté à MM. C=== et V=== qu’elles présentaient une ouverture sur le côté.

5. Saisi de ces indications portées au procès-verbal de recensement des votes, lesquelles sont corroborées par de nombreuses attestations produites au dossier, et du constat d’huissier produit par les protestataires, le tribunal, par jugement du 6 janvier 2016, a décidé de procéder à une enquête en application de l’article R. 623-1 du code de justice administrative, en vue, d’une part, d’apprécier les accusations de fraude massive portées par les protestataires, ayant consisté selon eux dans la captation des enveloppes d’acheminement des votes puis la substitution des bulletins au cours du transfert des plis par une entreprise privée de La Poste vers la préfecture, et, d’autre part, d’éclairer les circonstances dans lesquelles les assesseurs de la commission d’organisation des élections avaient quitté les opérations de dépouillement. Le 13 janvier 2017, le président du tribunal et deux magistrats de la juridiction ont auditionné dans ce but le responsable de l’entreprise ayant assuré l’acheminement des plis à la préfecture, ainsi que son préposé, un responsable de La Poste, et les deux assesseurs de la commission.

6. Pour prononcer l’annulation des opérations électorales, le tribunal administratif a retenu que plusieurs centaines des bulletins de la liste proclamée victorieuse validés par la commission d’organisation des élections n’étaient pas identiques au modèle fourni à ladite commission en ce qu’ils n’étaient pas de la même teinte bleutée mate et du même grammage que le modèle fourni par ces candidats à la commission d’organisation des élections et n’étaient pas réalisés à partir de papier de qualité écologique répondant aux critères définis à l’article R. 39 du code électoral et que l’examen de l’ensemble des enveloppes d’acheminement validées par la commission montrait qu’elles avaient fait l’objet, pour plus d’un millier, de manipulations de type « décollage-collage » et « découpage » pour certaines d’entre elles. Les premiers juges n’ont pas estimé que la couleur et le papier des bulletins constituaient en soi une cause d’annulation de l’élection, mais ont estimé que ces éléments accréditaient la thèse défendue par les protestataires d’une fraude massive générée par la substitution, grâce à des ouvertures principalement latérales sur les enveloppes préaffranchies d’acheminement, des bulletins déposés véritablement par les électeurs par des bulletins fabriqués parallèlement au matériel officiel de vote, après interception des enveloppes affranchies par la Poste au cours de leur acheminement en préfecture. Les protestataires, qui se sont rendus au tribunal durant l’instruction du dossier, ont examiné en présence d’un greffier les enveloppes endommagées et les ont chiffrées à 1 212. Les requérants n’apportent aucun élément de nature à contredire ce chiffre. La constatation des différences de couleur et de papier des bulletins rend improbable l’hypothèse défendue par les requérants de déchirures fortuites. Le tribunal a par ailleurs relevé qu’il avait été constaté un nombre anormalement élevé d’enveloppes d’acheminement - 2171 - déposées en préfecture par la Poste selon un bordereau daté du lundi 17 octobre 2016, soit trois jours après la clôture du vote intervenue le vendredi 14 octobre 2016 alors que la quasi-totalité des autres bordereaux journaliers de transmission d’enveloppes de vote mentionnaient un nombre de plis de moins de 100. Les premiers juges ont estimé qu’un délai de transmission aussi long et portant sur un nombre aussi élevé de suffrages accréditait également la thèse de détournement des enveloppes de vote eu égard à l’incertitude du traitement réservé à ces enveloppes d’acheminement pendant ce laps de temps de trois jours que l’enquête décidée n’a pas permis de déterminer. Pour tenter de justifier la différence de coloris d’un grand nombre des bulletins exprimés en leurs noms, les candidats de la liste proclamée victorieuse ont fait valoir qu’eu égard au nombre de bulletins nécessaires en rapport avec le nombre d’électeurs, il était difficile d’avoir une qualité constante. Mais le tribunal a jugé qu’il résultait de l’instruction et notamment du constat opéré par les membres de la formation de jugement, que l’ensemble des bulletins de la liste proclamée victorieuse contenus dans les enveloppes contenant le matériel de vote retournées à la commission d’organisation des élections pour mauvais adressage "NPAI" (« N’habite pas à l’adresse indiquée ») - au nombre de 3368 - après un tirage au hasard par la juridiction, étaient conformes au modèle fourni à la commission. Les premiers juges ont donc estimé que la présence massive de ces bulletins présentant une gamme de coloris distincts de celui du modèle déposé auprès de la commission d’organisation des élections et un grammage également distinct dudit modèle, rapprochée du constat opéré par la juridiction de la conformité des bulletins trouvés dans les enveloppes contenant le matériel retourné directement à la commission d’organisation des élections était révélatrice de l’existence de manœuvres frauduleuses. Si le tribunal a encore relevé le taux de participation à ces élections de 34,19 %, anormalement élevé en comparaison du taux de participation moyen au plan national pour les élections des membres de chambres de métiers et de l’artisanat, d’un peu plus de 13 %, et de celui constaté en Guadeloupe lors des précédents renouvellements des membres de la chambre de métiers et de l’artisanat de 2005 et 2010, de 21,15 % et 7,4 %, il n’a pas estimé que ce taux corroborait, à lui seul, l’hypothèse d’une fraude. Aucun des éléments produits en appel ne permettant de remettre en cause les motifs pertinents ci-dessus exposés du jugement, qu’il y a lieu d’adopter, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont retenu l’existence d’une fraude massive de nature à avoir faussé les résultats du scrutin.



7. Ainsi que le soutiennent les requérants, compte tenu du mode de scrutin et de l’écart de voix séparant les listes en présence, le grief analysé ci-dessus, en tant qu’il porte sur 1 212 bulletins validés à tort par la commission, n’impliquait pas l’annulation de l’ensemble des résultats du scrutin. Toutefois, le tribunal a également constaté que les deux assesseurs de la commission d’organisation avaient quitté les travaux de dépouillement à 17h15 et 18 h, avant la proclamation des résultats du scrutin le 21 octobre 2016 à 00h20, qu’ils n’avaient pu signer le procès-verbal que dans les jours suivants, qu’ils n’avaient pas assisté à une grande partie du dépouillement et qu’ils ne s’étaient pas prononcé, avant leur départ, sur les contestations des candidats des listes conduites par MM. C=== et V=== portant notamment sur la validité des votes contenus dans les enveloppes d’acheminement détériorées. Le tribunal en a déduit que le recensement des votes et la proclamation des résultats s’étaient déroulés dans des conditions irrégulières, non conformes aux prescriptions des articles 30 et 31 du décret du 27 mai 1999, ne permettant pas de garantir et de contrôler la sincérité du scrutin. Si les appelants soutiennent que le départ des assesseurs à 17h15 et 18 h n’est pas établi, le procès-verbal de recensement des votes mentionne qu’ils ont quitté les opérations de dépouillement avant la fin, le préfet de la Guadeloupe, dans ses écritures produites devant le tribunal, affirme qu’ils ont quitté la salle de dépouillement « vers 18 h », M. M=== a déclaré durant l’enquête décidée par le tribunal, être parti à 18h30 et les protestataires ont produit en première instance une attestation de Mme P=== déclarant être partie « aux environs de 18h ». En l’absence d’éléments permettant de remettre en cause le départ prématuré des deux assesseurs de la commission il doit être tenu pour acquis que ces deux assesseurs ont quitté les opérations de dépouillement plusieurs heures avant la proclamation, même s’ils ont déclaré que ce départ était motivé par la fatigue et non, comme le mentionnait le procès-verbal de recensement des votes, par le climat de violence dans lequel se déroulaient les opérations. Il résulte par ailleurs de l’instruction, et notamment du procès-verbal de recensement des votes et des observations du préfet devant le tribunal, que de 16h30 à 00h30, vingt-neuf agents des forces de l’ordre ont été mobilisés du fait du climat de violence qui régnait dans la salle de dépouillement des votes. Dans ces circonstances, même si les forces de l’ordre ont permis d’éviter de graves incidents, le dépouillement et la proclamation ne peuvent être regardés comme s’étant déroulés dans des conditions permettant de garantir et de contrôler la sincérité et les résultats du scrutin. Aucun élément ne permet de déterminer précisément l’incidence d’une telle irrégularité sur les résultats du scrutin.

8. Il résulte de ce qui précède que, quel que soit l’écart des voix entre les listes en présence, compte tenu de la fraude massive ayant porté sur la manipulation de plus de mille bulletins de vote, quels qu’en soient les auteurs, des troubles ayant entaché les opérations de dépouillement et de l’absence de garantie et de contrôle de ces opérations par la commission, dont la présidente est restée seule en poste durant plusieurs heures, les résultats de l’élection ne peuvent être regardés comme acquis de façon certaine, même s’agissant des premiers sièges attribués. C’est ainsi à bon droit que le tribunal a annulé la totalité des résultats de l’élection.



9. Il résulte de tout ce qui précède que M.M===,=== ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé les opérations électorales clôturées le 14 octobre 2016 relatives à l’élection des membres de la chambre de métiers et de l’artisanat de la région Guadeloupe.

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de MM. C=== et V===, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme que demandent les appelants au titre des frais d’instance exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge des requérants le versement aux défendeurs de la somme qu’ils demandent sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M.M===,=== L===, est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. V=== et de ses co-listiers tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.