Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’EURL Ribeiro a demandé au tribunal administratif de Poitiers de la décharger de l’obligation de payer en qualité de débiteur solidaire, sur le fondement de l’article 1724 quater du code général des impôts, une partie des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à M. T== G== pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009 et des majorations y afférentes.

Par un jugement n° 1201311 du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2015, l’EURL Ribeiro, représentée par Me Echard, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1201311 du 23 avril 2015 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de lui accorder, à titre principal, la décharge totale de l’obligation de payer les impositions et pénalités contestées (84 797 euros) et, à titre subsidiaire, la décharge des intérêts de retard et majorations (44 949 euros) ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 800 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu : - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code du travail ; - le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Aymard de Malafosse, - et les conclusions de M. Guillaume de la Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. G==, maçon, a fait l’objet le 7 octobre 2010 d’un procès-verbal pour infraction aux dispositions du code du travail réprimant le travail dissimulé. Par une lettre de la direction de contrôle fiscal Sud-ouest du 30 novembre 2010, l’EURL Ribeiro, entreprise de maçonnerie générale, a été informée du détail des prestations réalisées à son profit par M. G== et des règlements qu’elle a opérés au profit de ce dernier ; cette lettre précisait qu’à défaut d’avoir vérifié que son sous-traitant avait exercé son activité de façon régulière, l’EURL Ribeiro pourrait être recherchée en vue du paiement des sommes dues par son sous-traitant. Le 2 mars 2011 a été émis à l’encontre de l’EURL Ribeiro un avis de mise en recouvrement la constituant débitrice de la somme totale de 84 797 euros représentant les droits de taxe sur la valeur ajoutée, les intérêts de retard et les majorations au taux de 100 % établis au nom de M. G==, correspondant aux prestations exécutées par ce dernier au profit de l’EURL au cours des années 2005 à 2008 et ayant donné lieu à des paiements s’étalant entre le 7 novembre 2005 et le 25 juillet 2008. Le 7 mars 2011, a été émis à l’encontre de l’EURL une mise en demeure valant commandement de payer. L’EURL Ribeiro a présenté deux réclamations les 17 mars et 10 mai 2011 qui ont été rejetées par une décision du 10 avril 2012. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à la « décharge des droits et pénalités contestés ». Elle fait appel du jugement du 23 avril 2015 par lequel le tribunal administratif a rejeté cette demande.

2. Aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle a été dressé le procès-verbal d’infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé : « Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ». L’article L. 8222-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à cette même date dispose : « Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : /1° Des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; (…). L’article L. 8221-3 du même code prévoit qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, « l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations : /1° Soit n'a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers (…) ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou postérieurement à une radiation ; /2° Soit n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. ». Aux termes de l’article L. 8222-2 dudit code : « Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :/ 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;/ ». Enfin, selon l’article L. 8222-3 du même code : « Les sommes dont le paiement est exigible en application de l'article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ».

Sur le rattachement du litige au contentieux du recouvrement ou à celui de l’assiette et sur la régularité du jugement attaqué :

3. Devant l’administration comme devant le juge, l’EURL Ribeiro a, d’une part, invoqué l’irrégularité, pour insuffisance de motivation, de l’avis de mise en recouvrement du 2 mars 2011, d’autre part, contesté son obligation d’acquitter aux lieu et place de M. G==, à hauteur de 84 797 euros, les impositions et pénalités mises à la charge de ce dernier.

4. L’avis de mise en recouvrement du 2 mars 2011 doit être regardé comme ayant été émis en application de l’article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, qui fait obligation au comptable de notifier un tel avis au débiteur solidaire, préalablement à l’engagement des poursuites. La contestation par le débiteur solidaire de la régularité de cet acte, lequel n’est pas un acte de poursuite et a pour seul objet d’authentifier la créance de l’administration, constitue un litige d’assiette. C’est, par suite, à tort que le tribunal administratif a estimé que le litige était exclusivement un litige de recouvrement, se méprenant ainsi sur la portée des conclusions dont il était saisi. Le jugement attaqué doit, dans cette mesure, être annulé. Il y a lieu, pour la cour, de statuer par voie d’évocation sur la contestation par la société requérante de la régularité de l’avis de mise en recouvrement du 2 mars 2011.

5. En revanche, en contestant le principe de sa solidarité, l’EURL Ribeiro a soulevé une contestation qui est au nombre de celles que l’article L. 281 du livre des procédures fiscales rattache au contentieux du recouvrement de l’impôt. C’est donc à juste titre que le tribunal administratif a estimé qu’en tant qu’il portait sur ce point, le litige dont il était saisi était un litige de recouvrement. Contrairement à ce que soutient la société requérante, en procédant à cette qualification, le tribunal administratif s’est borné à exercer son office en situant le litige sur le terrain juridiquement approprié sans faire application d’une règle nouvelle et n’a pas, dès lors, méconnu le caractère contradictoire de la procédure en n’invitant pas les parties à formuler leurs observations sur ce point.

Au fond :

En ce qui concerne le litige d’assiette :

6. Aux termes de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : « L’avis de mise en recouvrement prévu à l’article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l’objet de cet avis. / Lorsque l’avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification contradictoire, il fait référence soit à la proposition de rectification prévue à l’article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications… ».

7. L’avis de mise en recouvrement du 2 mars 2011 détaille par année les montants des droits de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités dus par l’EURL Ribeiro en tant que débiteur solidaire en indiquant les motifs de droit et de fait entraînant cette solidarité et en se référant au procès-verbal dressé le 7 octobre 2010 à l’encontre de M. G== pour infraction à la législation relative au travail dissimulé. S’il est exact que, comme le relève la société requérante, ce procès-verbal n’était pas joint à cet avis de mise en recouvrement, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur la régularité de cet avis au regard des exigences de motivation découlant de l’article R. 256-1 précité du livre des procédures fiscales, L’EURL Ribeiro ayant au demeurant reçu la lettre du 30 novembre 2010, mentionnée au point 1, contenant le détail des prestations accomplies à son profit par son sous-traitant et des règlements effectués par elle et indiquant les motifs pour lesquels son obligation solidaire de paiement était engagée.

8. Les moyens contestant le principe de la solidarité étant par ailleurs inopérants dans le cadre du litige d’assiette, les conclusions de l’EURL Ribeiro à fin de décharge des impositions et pénalités litigieuses ne peuvent qu’être rejetés.

En ce qui concerne le litige de recouvrement :

9. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il résulte des termes mêmes des dispositions précitées de l’article L. 8222-2 du code du travail que ces dispositions ne visent pas seulement « les personnes condamnées pour avoir recouru (…) aux services de celui qui exerce un travail dissimulé », mais aussi « toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1 », c’est-à-dire qui n’a pas procédé aux vérifications nécessaires quant au respect par son cocontractant de ses obligations de déclaration.

10. Les dispositions de l’article L. 8222-2 du code du travail définissent les créances publiques sur lesquelles portent la solidarité comme les « impositions, taxes et cotisations obligatoires » ainsi que les « pénalités et majorations ». Ces dispositions visent ainsi clairement, entre autres, les droits de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités et majorations dont ils peuvent être assortis. Dès lors que les dispositions précitées de l’article 1724 quater du code général des impôts renvoient explicitement à cette définition, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les impératifs de clarté et de prévisibilité qui découlent du principe de sécurité juridique reconnu par le droit de l’Union européenne, ne saurait être accueilli.

11. Invoquant le principe de proportionnalité reconnu par le droit de l’Union européenne, la société requérante fait valoir que les dispositions précitées de l’article 1724 quater du code général des impôts méconnaissent ce principe dès lors qu’elles traitent de manière identique la personne qui n’a pas procédé aux vérifications prévues par l’article L. 8221-1 du code du travail et celle qui a été condamnée pour avoir eu recours à quelqu’un qui exerce un travail dissimulé. Toutefois, l’absence de distinction entre ces deux situations ne saurait, par elle-même, révéler une atteinte audit principe. En outre, et en tout état de cause, en prévoyant que le donneur d’ordre sera tenu solidairement au paiement, notamment, des impositions et pénalités dues par son prestataire à raison du travail fourni au profit de ce donneur d’ordre lorsque ce dernier n’aura pas vérifié que ce prestataire est régulièrement déclaré, le législateur n’a pas pris une mesure qui excéderait ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché, à savoir la lutte contre le travail dissimulé.

12. La directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ne définit pas les règles applicables aux pénalités et majorations dont peuvent être assortis les droits de taxe sur la valeur ajoutée. Dès lors, le fait que l’article 205 de cette directive, aux termes duquel « les Etats membres peuvent prévoir qu’une personne autre que le redevable est solidairement tenue d’acquitter la TVA », ne vise pas les pénalités ou majorations ne saurait être interprété comme interdisant aux Etats membres d’étendre à celles-ci la solidarité qu’ils décideraient d’instaurer pour le paiement des droits.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 12 que l’EURL Ribeiro n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions à fin de décharge de son obligation de payer, en qualité de débiteur solidaire, la somme de 84 797 euros.

14. L’Etat n’étant pas la partie perdante, les conclusions présentées par la société requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 avril 2015 est annulé en tant qu’il ne statue pas sur le litige d’assiette dont il a été saisi par l’EURL Ribeiro.

Article 2 : Les conclusions de l’EURL Ribeiro relatives à l’avis de mise en recouvrement du 2 mars 2011, relevant d’un litige d’assiette, sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.