Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H== P== a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler l’avertissement prononcé à son encontre le 29 juillet 2013 par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et la lettre du 1er juillet 2013 l’ayant préalablement invitée à présenter ses observations sur cette sanction.

Par un jugement n° 1303488 du 23 juin 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire, enregistrés le 24 août 2015, le 19 juillet 2016 et le 2 août 2016, Mme H== P==, représentée par Me A== et Me de L== L==, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d’annuler les décisions attaquées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par lettre du 1er juillet 2013, le directeur de l’INAO a informé Mme P== que, lors du contrôle effectué le 18 avril 2013, l’organisme d’inspection Quali-Bordeaux avait constaté que la fiche CVI (casier viticole informatisé) était erronée au motif que la parcelle référencée BC n°111, située à Libourne, était renseignée comme « susceptible d’être revendiquée en AOC Pomerol » alors qu’elle était située hors de l’aire parcellaire de cette appellation et qu’ainsi, elle encourait un avertissement pour manquement mineur avec obligation de mise en conformité du CVI avant le 31 juillet 2013, en l’absence d’observations de sa part dans un délai de 15 jours.

2. Par un courrier du 12 juillet 2013, Mme P== a contesté l’exclusion de sa parcelle de la zone géographique de l’appellation d’origine contrôlée « Pomerol ». La sanction a été prononcée le 29 juillet 2013.

3. Mme P== relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la lettre du 1er juillet 2013 et de la décision du 29 juillet 2013.

Sur les conclusions dirigées contre la lettre du 1er juillet 2013 :

4. Ainsi qu’il vient d’être rappelé, la lettre du directeur de l’INAO en date du 1er juillet 2013 se borne à informer Mme P== qu’elle était passible d’une sanction et l’invite à présenter ses observations : elle n’a donc pas le caractère d’une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir mais seulement la nature d’une mesure préalable au prononcé de la sanction en litige le 29 juillet 2013. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme étant irrecevables les conclusions à fin d’annulation dirigées contre cette lettre.

Sur les conclusions dirigées contre la sanction du 29 juillet 2013 :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Aux termes de l’article L. 642-33 du code rural et de la pêche maritime : « Au vu du rapport établi par l'organisme d'inspection, le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité, après avoir mis les opérateurs en mesure de produire des observations, décide des mesures sanctionnant les manquements./Il peut assortir leur prononcé d’une mise en demeure de se conformer au cahier des charges selon un calendrier déterminé ».

6. En premier lieu, la décision du 29 juillet 2013 mentionne les dispositions du code rural et de la pêche maritime applicables et vise le cahier des charges de l’AOC « Pomerol » homologué par décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 dont les dispositions ont été méconnues. Elle indique que les observations formulées par le conseil de Mme P== ont été examinées. Elle précise que la parcelle donnant lieu à un avertissement se situe au-delà de la limite ouest de l’aire géographique de l’AOC Pomerol, qu’elle rappelle. Elle est ainsi suffisamment motivée.

7. En second lieu, ainsi que l’énonce le jugement attaqué : « Il ressort des termes mêmes de la lettre du 1er juillet 2013 que des manquements ont été relevés à l’encontre de Mme P== « à l’issue d’un contrôle effectué le 18 avril 2013 par l’organisme d’inspection Quali-Bordeaux sur ses outils de production ». Le « tableau de notification de décision consécutive aux manquements relatifs aux conditions de production », qui était joint à ce courrier, mentionne le rapport d’inspection à l’origine de la constatation des manquements en cause. Enfin, il résulte de l’examen de la décision du 29 juillet 2013, qui renvoie au courrier du 1er juillet 2013, que celle-ci statue sur « la sanction encourue à la suite du contrôle du respect du cahier des charges de l’AOC Pomerol par l’organisme d’inspection Quali-Bordeaux ». Dans ces conditions, le directeur de l’INAO doit être regardé comme ayant pris la décision de sanction litigieuse au vu du rapport établi par l’organisme d’inspection, conformément aux dispositions précitées, nonobstant la circonstance qu’il n’aurait pas formellement visé ledit rapport. Par ailleurs, l’organisme d’inspection Quali-Bordeaux a été agréé par une décision du directeur de l’INAO en date du 29 juin 2012 et a fait l’objet d’une accréditation n° 3-0650-1 rév.2 par le Comité français d’accréditation (COFRAC) le 15 septembre 2012. Enfin le plan d’inspection applicable a été élaboré par Quali-Bordeaux en concertation avec l’organisme de défense et de gestion Syndicat viticole et agricole de Pomerol ».

8. Au soutien du moyen relatif à l’irrégularité de la décision attaquée en l’absence de visa du rapport d’inspection, Mme P== ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas la réponse apportée par le tribunal administratif. Il y a lieu d’écarter le moyen par adoption des motifs susmentionnés pertinemment retenus par les premiers juges.

En ce qui concerne l’exception d’illégalité du décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 homologuant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée « Pomerol » :

9. Aux termes de l’article L. 641-6 du code rural et de la pêche maritime applicable aux faits du litige : « La reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée est proposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité, après avis de l'organisme de défense et de gestion prévu à l'article L. 642-17./La proposition de l'institut porte sur la délimitation de l'aire géographique de production, définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine, ainsi que sur la détermination des conditions de production qui figurent dans un cahier des charges… ». L’article L. 641-7 du même code dispose : « La reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée est prononcée par un décret qui homologue un cahier des charges où figurent notamment la délimitation de l'aire géographique de production de cette appellation ainsi que ses conditions de production… ».. 10. Le cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée « Pomerol » homologué par le décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 prévoit au IV du chapitre 1er : « 1° - Aire géographique : La récolte des raisins, la vinification, l’élaboration et l’élevage des vins sont assurés sur le territoire des communes et parties de communes suivantes du département de la Gironde : la commune de Pomerol, la partie du territoire de la commune de Libourne prévue par le jugement du tribunal civil de Bordeaux en date du 29 décembre 1928, limitée au nord par la rivière la Barbanne, à l’est par la limite de la commune de Pomerol, au sud par le ruisseau de Tailhas, à l’ouest par la route départementale 910, le boulevard Beauséjour, l’avenue Georges Clémenceau, la rue du Docteur-Nard, l’avenue de l’Europe et la voie ferrée de Libourne à Bergerac, ainsi que la parcelle située sur la commune de Lalande-de-Pomerol mentionnée en annexe 1, qui produit des vins d’appellation d’origine contrôlée « Pomerol » en vertu du jugement du tribunal civil de Bordeaux du 29 décembre 1928. » 11. Mme P== soutient que le décret du 22 novembre 2011, comme d’ailleurs la réglementation antérieure délimitant l’aire géographique de production de l’appellation d’origine contrôlée « Pomerol » jusqu’au premier décret du 8 décembre 1936 définissant l’appellation « Pomerol » sont irréguliers en ce qu’ils se réfèrent à un jugement du tribunal civil de Bordeaux du 29 décembre 1928 qui n’a pas déterminé cette délimitation et qui de plus est dépourvu de l’autorité de la chose jugée.

12. Il est exact que le tribunal civil de Bordeaux, dans son jugement du 29 décembre 1928, n’a pas délimité l’aire de l’AOC « Pomerol », dans sa partie sud-ouest située au-delà des limites de la commune de Pomerol, en fonction de critères géographiques. En effet, ce jugement a été rendu en application des lois du 6 mai 1919 et du 22 juillet 1927 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour délimiter les aires géographiques de production des vins AOC en fonction des « usages locaux, loyaux et constants » y compris pour les cépages. Aussi bien, le tribunal civil définit la limite au sud-ouest de l’aire géographique de l’appellation Pomerol comme suit : « Dit que la partie de la région viticole située au Sud-Ouest et hors des limites administratives de la commune de Pomerol qui était autrefois englobée dans la paroisse ou Commanderie de Pomerol et sur laquelle se trouve notamment : Le Château-Mazeyres (Q….) ; Le Château-Nénin (D…) ; Château-La-Pointe (M…) ; Le cru de Gratte-Cap (G…) ; Le Château-Plince (M…) ; Le Château-Ferrand (D…) ; Le domaine de Cantereau (B…) est, du résultat d’usages locaux, loyaux et constants, comprise dans l’aire de production des vins ayant droit à l’appellation Pomerol. »

13. Saisie par le Syndicat viticole et agricole de Pomerol contestant l’intégration du Château-Mazeyres et du domaine de Cantereau dans l’aire géographique de l’appellation, la cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 27 juillet 1931 devenu irrévocable, a « confirmé purement et simplement » le jugement en transposant, cette fois-ci en termes géographiques, la délimitation sud-ouest de l’aire de l’appellation correspondant au « plateau sable graveleux » de Pomerol qui « se prolonge sur une partie de la commune de Libourne, cette partie formant comme une sorte de ceinture autour de la partie ouest de la commune de Pomerol allant du Château de Salles au nord, jusqu’au domaine de Ferrand au midi et pouvant être délimitée à l’ouest par la route nationale n° 10 (devenue la route départementale 910) et au midi par le chemin de fer de Libourne à Bergerac ».

14. La réglementation ultérieure, et enfin le décret du 22 novembre 2011, a incorporé la délimitation opérée par le jugement susmentionné ainsi devenu définitif, et transcrite par la cour d’appel en termes géographiques, dans la définition complète du périmètre de l’aire d’appellation.

15. Il résulte de ce qui précède que le jugement du 29 décembre 1928, qui doit être lu à la lumière de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux le confirmant intégralement, a effectivement fixé la délimitation de l’aire d’appellation « Pomerol » au sud-ouest de celle-ci en des termes, s’imposant à tous les producteurs, auxquels le décret du 22 novembre 2011 donne valeur réglementaire.

16. Au demeurant, Mme P== ne justifie pas ni même n’allègue que sa parcelle aurait été au nombre de celles ayant appartenu, en 1928, à l’une des propriétés dont la production a été regardée par le juge judiciaire de l’époque comme pouvant continuer de bénéficier de l’appellation d’origine contrôlée « Pomerol », ce qui aurait été de nature à révéler une erreur dans la transposition géographique de la délimitation de l’AOC opérée par le juge judiciaire et reprise par le pouvoir réglementaire.

17. Ainsi, le décret du 22 novembre 2011 qui a homologué le cahier des charges de l’appellation, préalablement soumis pour avis à l’assemblée générale du syndicat viticole et agricole de Pomerol le 9 mai 2011, n’est entaché d’aucune illégalité en tant que le cahier des charges se réfère au jugement susmentionné du 29 décembre 1928.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :

18. Il est constant que la parcelle cadastrée BC n° 111 de Mme P== se situe à l’ouest de la route départementale 910 et par conséquent en dehors de l’aire géographique définie par le cahier des charges de l’AOC « Pomerol ». La sanction en litige n’est ainsi entachée d’aucune erreur de fait. La circonstance que la parcelle, avant que ne soit détectée l’erreur entachant son fichage au casier viticole informatisé, a toujours fourni des apports pour la production d’un vin bénéficiant de l’appellation « Pomerol » est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée imposant une rectification avec avertissement.

19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme P== n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :



20. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Institut national de l’origine et de la qualité, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme P== demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de Mme P== une somme de 1 500 euros au même titre.

DECIDE

Article 1er : La requête de Mme P== est rejetée.

Article 2 : Mme P== versera à l’Institut national de l’origine et de la qualité une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.