Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association Le Clapotis a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l’arrêté en date du 2 décembre 2013 par lequel la préfète de la Charente-Maritime a, d’une part, retiré la décision implicite du 3 octobre 2013 refusant à l’Etat un permis de démolir une maison d'habitation et deux annexes sises sur les parcelles cadastrées HK n°51a, 107 et 53, situées 32 et 34 rue du Phare, au lieu-dit «La Perrotine », sur la commune de Saint-Pierre-d'Oléron (Charente-Maritime) et, d’autre part, a accordé à l’Etat le permis de démolir sollicité.

Par un jugement n° 1400671 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 mars 2016 sous le n° 16BX00971, l’association Le Clapotis, représentée par Me Tardif, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 janvier 2016 ;

2°) d’annuler l’arrêté de la préfète de la Charente-Maritime du 2 décembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ……………………………………………………………………………………………………...

Considérant ce qui suit :

1. Le 3 octobre 2012, la préfète de la Charente-Maritime a présenté une demande de permis de démolir une maison d'habitation et deux annexes sises sur les parcelles cadastrées HK n°51a, 107, 53 et 54, acquises par l’Etat le 15 octobre 2010 et situées 32 et 34 rue du Phare au lieu-dit « La Perrotine », sur la commune de Saint-Pierre-d’Oléron. Le permis de démolir nécessitant l'accord préalable du ministre chargé des sites en application de l'article R. 425-17 du code de l'urbanisme, le délai d'instruction de cette demande a été porté à un an en application de l'article R. 423-31 du même code. Le ministre ne s’étant pas prononcé dans le délai imparti par les dispositions susvisées, une décision implicite de rejet est née le 3 octobre 2013 en application de l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme. Le ministre a émis un accord exprès favorable au projet le 14 novembre 2013. Par arrêté du 2 décembre 2013, la préfète de la Charente-Maritime a retiré la décision implicite de rejet du permis de démolir du 3 octobre 2013 et a accordé le permis de démolir sollicité. L’association Le Clapotis, qui a pour but de préserver et améliorer le cadre et la qualité de vie du chenal de la Perrotine et ses alentours, relève appel du jugement du 28 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 2 décembre 2013.

Sur la légalité de l’arrêté du 2 décembre 2013 :

2. Aux termes de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme : « A défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction (…), le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas : (…) b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite. » Aux termes de l’article R. 425-17 du même code : « Lorsque le projet est situé dans un site classé (…), la décision prise sur la demande de permis ou sur la déclaration préalable ne peut intervenir qu’avec l’accord exprès prévu par les articles L. 341-7 et L. 341-10 du code de l’environnement : a) Cet accord est donné par le préfet, après avis de l’architecte des Bâtiments de France, lorsque le projet fait l’objet d’une déclaration préalable ; b) Cet accord est donné par le ministre chargé des sites, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, dans les autres cas. » Enfin, aux termes de l’article R. 424-2 du même code : « Par exception au b) de l’article R. 424-1, le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : / a) Lorsque les travaux sont soumis (…) à une autorisation au titre des sites classés (…) »

3. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que lorsque le permis de démolir est sollicité pour un bâtiment situé dans un site classé, le permis de démolir ne peut légalement intervenir qu’avec l’accord exprès du ministre chargé des sites, et que l’exception prévue par l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme est applicable au permis de démolir. Ainsi, le silence gardé par l’autorité compétente pour statuer au terme du délai d’instruction vaut, conformément aux dispositions de l’article R. 424-2 du même code, décision implicite de rejet.

4. Le rejet d’une demande d’autorisation ne crée aucun droit à l’égard des tiers, quel que soit l’intérêt que ceux-ci peuvent avoir au maintien de la décision. Par suite, si le silence gardé par le ministre pendant plus d’un an sur la demande d’autorisation de démolir les immeubles dont s’agit a conduit à la naissance, à la date du 3 octobre 2013, d’une décision implicite de rejet du permis de démolir, cette dernière décision n’a créé aucun droit au profit de l’association Le Clapotis, et pouvait donc être retirée, comme elle l’a été, sans condition de délai par la préfète de la Charente-Maritime.

5. Aux termes de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable : « Les demandes de permis de (…) démolir (…) sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Aucune prolongation du délai d'instruction n'est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret (…) » Aux termes de l’article R. 423-23 du même code : « Le délai d'instruction de droit commun est de : (…) b) Deux mois pour les demandes de permis de démolir (…) » Aux termes de l’article R. 423-31 dudit code : « Le délai d'instruction prévu par le b et le c de l'article R. 423-23 est porté à un an lorsque les travaux sont soumis à l'autorisation du ministre de la défense ou du ministre chargé des sites. »

6. Si l’association requérante fait valoir que le permis de démolir contesté a été délivré après l’expiration du délai d'instruction d’un an prévu par l'article R. 424-31 du code de l'urbanisme en méconnaissance de l’article L. 423-1 du code de l'urbanisme, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu’une décision implicite de rejet de la demande de permis de démolir est intervenue à l’expiration du délai d’instruction d’un an prévu par les dispositions précitées et que cette décision implicite de rejet, non créatrice de droit, pouvait être retirée sans condition de délai ni d’illégalité.

7. Aux termes de l’article R. 451-2 du code de l’urbanisme : « Le dossier joint à la demande comprend : (…) b) Un plan de masse des constructions à démolir ou, s'il y a lieu, à conserver ; c) Un document photographique faisant apparaître (…) les bâtiments dont la démolition est envisagée (…) ». La circonstance que le dossier de demande de permis de démolir ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de démolir qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

8. L’association requérante fait valoir que les documents joints à la demande de permis de démolir ne faisaient pas suffisamment apparaître l’insertion des constructions dont la démolition est envisagée dans les lieux environnants. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande de permis de démolir comportait cinq photographies décrivant les bâtiments concernés ainsi qu’un document sur lequel figurait une vue aérienne de la zone accompagnée d’un plan de situation, ainsi qu’un plan de masse, qui permettaient de voir que ces bâtiments étaient situés en zone relativement urbanisée, à proximité du chenal de La Perrotine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 451-2 ne peut qu’être écarté.

9. Aux termes de l’article L. 341-10 du code de l’environnement : « Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale. » Aux termes de l’article R. 341-13 du code de l’environnement dans sa rédaction alors applicable : « Lorsqu'il statue pour l'application de l'article L. 341-10, le ministre décide après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, et, chaque fois qu'il le juge utile, de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Toutefois, l'avis de la commission départementale n'est pas requis lorsque le ministre évoque le dossier. »

10. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, le délai d’un an fixé par l’article R. 423-21 du code de l’urbanisme concerne le délai d’instruction de la demande de permis de démolir et non pas le délai d’édiction de l’avis du ministre chargé des sites. En outre, ni les dispositions précitées de l’article R. 425-17 du code de l’urbanisme, ni les dispositions des articles L. 341-10 et R. 341-13 du code de l’environnement ne fixent de délai au ministre pour examiner le dossier et formuler son avis. Par suite, la circonstance que l’avis ait été émis plus d’un an après le dépôt de la demande de permis de démolir n’est pas de nature à entacher d’illégalité le permis de démolir accordé.

11. Il ressort du rapport du Conseil général de 1’environnement et du développement durable du 15 janvier 2011 que les immeubles litigieux, situés sur les quais du canal de la Perrotine, ont été submergés durant la tempête Xynthia, que leurs niveaux semi enterrés restent dangereux et impropres à l'habitation et qu’aucuns travaux de réduction de la vulnérabilité du site ne sont envisagés. Ainsi, le ministre pouvait examiner dans le cadre d’une autorisation unique toutes les demandes de permis de démolir du site de La Perrotine, qu'il s'agisse des maisons de la rue du Phare ou de celles de la rue des Aigrettes. Par ailleurs, en se bornant à indiquer que le motif de sécurité publique impliquait que toutes les maisons de la rue du Phare et de la rue des Aigrettes auraient dû être incluses dans une zone d’expropriation pour être démolies alors que les caractéristiques des maisons peuvent justifier un traitement différent, l’association requérante ne démontre pas que l’avis du ministre serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

12. Aux termes de l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme : « (…) Le permis de démolir peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les travaux envisagés sont de nature à compromettre la protection ou la mise en valeur du patrimoine bâti, des quartiers, des monuments et des sites. » Lorsque le permis de démolir est demandé pour des motifs liés à la sécurité publique, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier si, tant au regard de la qualité intrinsèque des bâtiments que de la gravité des risques auxquels ils sont exposés, leur démolition peut être ordonnée.

13. Il ressort de la notice de présentation du permis de démolir que la maison située au 32 rue du Phare, acquise amiablement par l’Etat le 15 octobre 2010, peut être regardée comme un témoignage de l’expansion et de l’organisation du village en adéquation avec son environnement spécifique. L’avis défavorable à sa démolition du maire de Saint Pierre d’Oléron en date du 18 octobre 2012 relève que son intérêt patrimonial a été reconnu par le document d’urbanisme approuvé en décembre 2011 dans le cadre de l’article L.123-1-5 alors applicable du code de l'urbanisme en tant que bâti balnéaire, afin de préserver ce bâti caractéristique par ses corniches, balconnets, lucarnes, débords de toit. Les photographies font apparaître qu’elle est bâtie sur un soubassement, lequel aurait seul été inondé, et que le seuil est surélevé de quelques marches. Si un usage d’habitation reste dangereux, il n’est pas exclu qu’un autre usage puisse être trouvé, comme le reconnaissait au demeurant la préfète devant le tribunal. Cette maison semble en bon état et son intérêt architectural, notamment par la qualité du fronton et des ailerons de chaque lucarne qui portent un décor sculpté, permet d’en privilégier la conservation. Dans ces conditions, et alors qu’il n’apparaît pas que le ministre ait été informé de ce que la situation de la maison en litige n’était plus regardée comme justifiant une zone dite « de solidarité » au regard de l’examen critique des causes d’inondation pendant la tempête Xynthia auquel a procédé la mission du Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable désignée en 2011 à cet effet, c’est à tort que le ministre a donné un accord à sa démolition pour assurer « la cohérence de l’action de l’Etat face à un risque naturel majeur ». En revanche, la démolition des constructions annexes, qui ne présentent aucun intérêt architectural, pouvait être légalement autorisée.

14. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler l’arrêté de la préfète de la Charente-Maritime en tant qu’il a autorisé la démolition de la maison située 32 rue du Phare à Saint-Pierre-d'Oléron.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à l’association Le Clapotis au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L’arrêté de la préfète de la Charente-Maritime du 2 décembre 2013 est annulé en tant qu’il a autorisé la démolition de la maison située 32 rue du Phare à Saint-Pierre-d'Oléron.

Article 2 : Le jugement n° 1400671 du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L’Etat versera à l’association Le Clapotis une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.