Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E== Q== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler la décision du préfet de la Haute-Garonne du 10 mai 2017 de le maintenir en rétention.

Par un jugement n° 1702143 du 22 mai 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision contestée du 10 mai 2017, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. Q== l’attestation de demande d’asile prévue à l’article L. 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a mis à la charge de l’Etat le versement à Me Tercero de la somme de 800 euros au titre du 2ème alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

I. / Par une requête enregistrée sous le numéro 17BX01986 le 23 juin 2017 et un mémoire enregistré le 29 août 2017, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement n° 1702143 du 22 mai 2017 ;

2°) subsidiairement, de transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat dans le cadre de l’article L. 113-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. M. Q==, ressortissant albanais qui est entré irrégulièrement en France, a été interpellé le 5 mai 2017 et a fait l’objet, le même jour, d’un arrêté l’obligeant à quitter sans délai le territoire français et d’un arrêté de placement en rétention. Alors qu’il était au centre de rétention, il a formulé une demande d’asile le 10 mai 2017. Le même jour, le préfet de la Haute-Garonne a pris un arrêté décidant, sur le fondement de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, son maintien en rétention. Le préfet, par une première requête, a fait appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision, puis, par une seconde requête, a demandé qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement. Ces deux requêtes dirigées contre un même jugement sont jointes pour y statuer par un même arrêt.

Sur les conclusions de M. Q== tendant à être admis provisoirement à l’aide juridictionnelle :

2. Il y a lieu, eu égard à l’urgence, de faire droit à la demande de M. Q== tendant à être admis provisoirement à l’aide juridictionnelle.

Sur la requête du préfet à fin d’annulation du jugement attaqué :

3. Pour annuler la décision de maintien en rétention, le premier juge s’est fondé sur l’incompatibilité des dispositions de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec celles du 3 de l’article 8 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, cette incompatibilité résultant de ce que ces dispositions législatives n’ont pas défini les critères objectifs permettant à l’administration d’examiner la situation particulière de chaque demandeur d’asile et ont ainsi procédé à une transposition incorrecte de la directive.

4. L’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose : « Lorsqu’un étranger placé en rétention en application de l’article L. 551-1 présente une demande d’asile, l’autorité administrative peut, si elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, maintenir l’intéressé en rétention le temps strictement nécessaire à l’examen de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d’irrecevabilité de celui-ci, dans l’attente de son départ, sans préjudice de l’intervention du juge des libertés et de la détention. La décision de maintien en rétention est écrite et motivée. A défaut d’une telle décision, il est immédiatement mis fin à la rétention et l’autorité administrative compétente délivre à l’intéressé l’attestation mentionnée à l’article L. 741-1. ».

5. Aux termes de l’article 8 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 : « 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. 2. Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. 3. Un demandeur ne peut être placé en rétention que : a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ; b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ; c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ; d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ; f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride. / Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national. ».

6. Les dispositions du 3 de l’article 8 de la directive 2013/33 énumèrent de manière exhaustive les différents motifs susceptibles de justifier un placement en rétention et chacun de ces motifs répond à un besoin spécifique tout en revêtant un caractère autonome. S’agissant des ressortissants des Etats tiers qui demandent le bénéfice d’une protection internationale alors qu’ils sont déjà placés en rétention en vue de l’exécution d’une décision de retour, les dispositions du d) de ce 3 de l’article 8 de la directive mettent en œuvre un des principes généraux du droit de l’Union européenne en vertu duquel les Etats membres sont en droit de réprimer les abus de droit. Ce principe a été rappelé notamment par la décision C 534/11 de la Cour de justice de l’Union européenne du 30 mai 2013. Dans cette décision, la Cour a dit pour droit que les dispositions des directives du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres et du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ne s’opposent pas à ce que le ressortissant d’un pays tiers ayant présenté une demande d’asile alors qu’il était placé en rétention administrative soit maintenu en rétention sur la base d’une disposition nationale lorsqu’il apparaît, au terme d’un examen au cas par cas de l’ensemble des circonstances pertinentes, d’une part, que cette demande a été introduite dans le seul but de retarder ou de compromettre l’exécution de la décision de retour et, d’autre part, qu’il est objectivement nécessaire de maintenir la mesure de rétention pour éviter que l’intéressé se soustraie définitivement à son retour.

7. La rétention d’un demandeur d’une protection internationale constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté de ce dernier et doit ainsi être soumise, ainsi que l’a rappelé notamment la décision de la Cour de justice de l’Union européenne C-528/15 du 15 mars 2017, au respect des garanties strictes découlant de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union et de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à savoir la présence d’une base légale, la clarté, la prévisibilité et l’accessibilité de la loi et la protection contre l’arbitraire. Les dispositions précitées du d) du 3 de l’article 8 de la directive 2013/33 doivent ainsi être également interprétées au regard de ces exigences.

8. En prévoyant qu’une demande de protection internationale formulée par le ressortissant d’un Etat tiers déjà placé en rétention en vue de l’exécution d’une décision de retour ne peut être qualifiée d’abusive que dans la mesure où elle a pour « seule fin » de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour et en précisant que cette qualification doit reposer sur des « motifs raisonnables » appréciés au regard de « critères objectifs » dont doivent « justifier » les Etats membres, les dispositions du d) du 3 de l’article 8 de la directive 2013/33, interprétées notamment à la lumière des exigences rappelées aux points 5 et 6 ci-dessus, ont entendu définir de manière exhaustive les conditions dans lesquelles la décision de maintien en rétention pouvait être prise dans une telle hypothèse, sans imposer aux Etats membres, explicitement ou implicitement, qu’ils énumèrent, dans leur législation nationale, l’ensemble de ces « critères objectifs », sur lesquels il appartient au juge d’exercer son contrôle. Par suite, en disposant que l’autorité administrative peut, si elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que la demande d’asile est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, maintenir l’intéressé en rétention, les dispositions de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’ont pas procédé à une transposition incorrecte de la directive.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour annuler la décision litigieuse, le premier juge s’est fondé sur l’incompatibilité des dispositions de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec celles de l’article 8.3 de la directive 2013/33/UE.

10. Il appartient à la cour, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par M. Q== à l’appui de sa demande d’annulation de la décision de maintien en rétention contestée.

11. En premier lieu, M. Q== invoque l’incompatibilité des dispositions précitées de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, duquel il résulte notamment que les mesures privatives de liberté, au nombre desquelles figurent les mesures de rétention administrative, doivent avoir pour fondement une base légale claire, prévisible et accessible. Dès lors que, comme il a été dit précédemment, l’article L. 556-1 procède à une transposition correcte des dispositions du d) du 3 de l’article 8 de la directive 2013/33, il appartient à la cour de rechercher si ces dernières dispositions sont elles-mêmes compatibles avec les stipulations de l’article 5 de la convention et, en l’absence de difficulté sérieuse, d’écarter le moyen invoqué ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.

12. Eu égard aux restrictions, rappelées au point 7, qu’elles contiennent quant à la possibilité pour les Etats membres de qualifier d’abusive une demande de protection internationale présentée par un ressortissant d’un Etat tiers déjà placé en rétention, les dispositions du d) du 3 de l’article 8 de la directive doivent être regardées comme définissant de façon claire, prévisible et accessible les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent décider le maintien en rétention d’un tel ressortissant. En l’absence de difficulté sérieuse, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.

13. En deuxième lieu, la décision litigieuse, qui vise notamment le premier alinéa de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et qui indique de façon précise les motifs pour lesquels le préfet estime que M. Q== entre dans le champ d’application de ce texte, n’est entachée d’aucune insuffisance de motivation. La circonstance que cette décision vise aussi deux autres articles dudit code ne trouvant pas à s’appliquer au cas d’espèce est sans incidence sur le caractère suffisant de sa motivation et n’est pas de nature à révéler une insuffisance d’instruction par le préfet de la situation de M. Q==.

14. En troisième lieu, la décision contestée, signée par Mme S== P== qui bénéficiait d’une délégation de signature du préfet régulièrement publiée portant notamment sur les placements et maintiens en rétention, n’est pas entachée d’incompétence.

15. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Q==, qui est entré irrégulièrement en France à une date qui ne peut être déterminée, n’a présenté de demande d’asile ni lors de son entrée sur le territoire, ni lors de son interpellation et de son audition par les services de police le 5 mai 2017, ni lorsqu’il a fait l’objet, le même jour, d’une mesure d’éloignement et d’un placement en rétention, mais seulement cinq jours après ce placement. Lors de son audition par les services de police, qui a donné lieu à un procès-verbal qu’il a signé, il s’est borné à indiquer que sa famille en Albanie ne l’acceptait plus parce qu’il était parti avec une femme ayant déjà un enfant. Dans ces conditions, le préfet, qui a pu à juste titre estimer que la demande d’asile formulée par M. Q== n’avait d’autre objet que de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 556-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en décidant le maintien en rétention de l’intéressé.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à demander l’annulation du jugement qu’il conteste et le rejet de la demande présentée par M. Q== devant le tribunal administratif. Par voie de conséquence, les conclusions de M. Q== à fin d’injonction et celles présentées sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Sur la requête du préfet à fin de sursis à exécution :

17. Le présent arrêt statuant sur la requête à fin d’annulation du jugement contesté par le préfet, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête du préfet tendant à ce qu’il soit sursis à exécution de ce jugement.

DECIDE

Article 1er : M. Q== est admis provisoirement à l’aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement n° 1702143 du 22 mai 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. Q== devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus de ses conclusions présentées devant la cour sont rejetés.