Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H== M== B== a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d’une part, la décision du 11 août 2014 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision du 16 décembre 2013 par laquelle l’inspecteur du travail a refusé d’autoriser son licenciement et a autorisé ce licenciement et, d’autre part, la décision du 18 août 2014 du ministre du travail retirant sa décision du 11 août 2014 et maintenant l’autorisation de licenciement.

Par un jugement n° 1404105 ; 1404106 du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête du 27 avril 2016 et un mémoire en réplique du 29 mars 2017, M. B==, représenté par Me Burucoa, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 3 mars 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d’annuler les décisions du ministre du travail des 11 et 18 août 2014 accordant l’autorisation de le licencier ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Considérant ce qui suit :

1. M. B==, recruté le 31 janvier 1983 en qualité de chaudronnier-soudeur spécialisé par la société « La mécanique et l’engrenage modernes » (MEM), qui avait pour activité la fabrication de machines-outils pour l’industrie du bois occupait en dernier lieu des fonctions de soudeur et exerçait le mandat de membre suppléant de la délégation unique du personnel. La société MEM a été placée en procédure de redressement judiciaire par jugement du 14 mai 2013 du tribunal de commerce de Périgueux. Puis par un jugement du 1er octobre 2013 rectifié le 22 avril 2014, le tribunal de commerce a retenu l’offre de reprise de la société Finega, à laquelle s’est substituée la société MEM Industry, et a autorisé le licenciement de dix-sept salariés en chargeant l’administrateur judiciaire de la société de procéder à ces licenciements. La liquidation de la société MEM a été prononcée par jugement du 8 octobre 2013 du tribunal de commerce de Bordeaux. Par un courrier du 28 octobre 2013, l’administrateur judiciaire de la société MEM a demandé à l’inspecteur du travail l’autorisation de licencier M. B== ce qui lui a été refusé par une décision du 16 décembre 2013. A la suite d’un recours hiérarchique formé le 5 février 2014 à l’encontre de cette décision par le mandataire liquidateur, l’administrateur judiciaire et la société MEM Industry, le ministre du travail a, par décision du 11 août 2014, annulé la décision du 16 décembre 2013 de l’inspecteur du travail et a autorisé le licenciement. Par une seconde décision du 18 août 2014, le ministre du travail a retiré sa décision du 11 août 2014, a annulé la décision du 16 décembre 2013 de l’inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M. B==. M. B== relève appel du jugement n° 1404105-1404106 du 3 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l’annulation des décisions du ministre du travail des 11 et 18 août 2014.

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni sur les autres moyens de la requête :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis des fonctions de délégué syndical et délégué du personnel, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ou au sein du groupe auquel elle appartient. Il appartient par ailleurs à l’administration, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation de licenciement, de s’assurer que les catégories professionnelles retenues regroupent l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Au terme de cet examen, l'administration refuse l'autorisation de licenciement demandée s’il apparaît que les catégories professionnelles concernées par le licenciement ont été déterminées par l’employeur en se fondant sur des considérations étrangères à celles qui permettent de regrouper, compte tenu des acquis de l’expérience professionnelle, les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou s’il apparaît qu’une ou plusieurs catégories ont été définies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée.

3. Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail : « (…) aucun salarié ne peut être (…) licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (…) en raison (…) de ses activités syndicales ou mutualistes (…) ». Selon l’article L. 1134-1 du même code : « Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, dans lequel figure l’article L. 1... (…) le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte (…). Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

4. M. B==, pour établir que la demande d’autorisation de son licenciement aurait un lien avec le mandat et serait discriminatoire, soutient que l’acceptation des demandes d’autorisations de licenciements, dont celle le concernant, a eu pour résultat d’autoriser le licenciement de cinq salariés CGT, soit 100 % de la représentation syndicale et que sur les dix sept licenciements initialement envisagés, six concernaient des représentants du personnel, sur huit représentants du personnel au total. Il fait valoir que pour arriver à ce résultat, il été procédé à une « manipulation des activités reprises », à « une manipulation des postes supprimés », et à une « manipulation des intitulés de poste » des salariés protégés ayant fait l’objet des autorisations de licenciement en litige.

5. Il ressort des pièces du dossier que, par jugement du tribunal de commerce de Périgueux du 1er octobre 2013, rectifié par un second jugement du 22 avril 2014, les activités d’usinage, de mécano-soudure et de câblage électrique ont été exclues des activités reprises par la société Finega et c’est sur la base de ces jugements que les autorisations de licenciement ont été sollicitées auprès de l’inspecteur du travail, puis du ministre du travail.

6. En premier lieu, en ce qui concerne la question de la « manipulation des activités reprises », le requérant soutient sans être contredit, que si les activités d’usinage et de mécano soudure, qui étaient au nombre de celles qu’il effectuait, ont été exclues des activités reprises, elles ne constituaient pas en elles-mêmes des branches d’activité, mais de simples tâches au sein d’une même activité, qui est le montage et la commercialisation de machines, et qu’il en est de même du câblage électrique qui a également été exclu des activités reprises. Par ailleurs, comme le soutient le requérant, et ainsi qu’il ressort du procès-verbal d’inventaire du matériel de la société MEM établi le 29 mai 2013 à la demande du juge-commissaire à l’exécution du plan, le motif tiré de l’obsolescence du parc des machines, reprises par la société Finega, ne pouvait fonder la suppression des activités de peinture et d’usinage, dès lors que la cabine à peinture de fabrication 2010, est évaluée à la somme de 10 000 euros, ce qui correspond dans l’inventaire au prix le plus élevé des machines de la société, alors que l’aléseuse TOS utilisée pour l’activité d’usinage, est évaluée à 7 000 euros. Ainsi que le requérant, pour établir l’absence de pertinence du choix des activités ayant été exclues de la reprise et l’intention discriminatoire, le fait valoir sans être contredit, si l’activité dans l’usine de la Coquille dans laquelle il travaillait a été réduite après l’intervention des autorisations de licenciement, les tâches d’usinage, de mécano-soudure et de peinture correspondant aux activités non reprises, étaient toujours effectuées sur ce site, par des salariés autres que les salariés pour lesquels les autorisations de licenciement avaient été accordées.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir M. B== au titre de la « manipulation des postes supprimés », qu’alors que par la note économique et sociale sur le projet de réorganisation et de licenciement économique du 25 juin 2013, il était prévu de maintenir essentiellement les ouvriers de production et de procéder au licenciement de cadres à raison de sept pour un licenciement d’ouvrier, pour ce qui est des licenciements collectifs dans lesquels son autorisation de licenciement s’inscrit, la proportion de licenciements a atteint 40 % pour les ouvriers et 60 % pour les cadres, ce qui va à l’encontre de la volonté affichée de mutualiser les moyens au niveau du groupe concernant les « services support », et laisse supposer la volonté de discrimination sans qu’il soit apporté en défense d’éléments permettant de justifier par d’autres motifs ce revirement dans la réorganisation de l’entreprise.

8. En ce qui concerne en troisième lieu, la « manipulation des intitulés de poste », il ressort des pièces du dossier et notamment des fiches de paie produites que M. B==, qui était chaudronnier soudeur spécialisé, a été désigné à compter de septembre 2013 seulement comme soudeur. Ainsi que le soutient M. B==, et en l’absence de toute explication apportée en défense, le fait de mentionner dans l’intitulé de ses fonctions des attributions plus réduites que celles correspondant aux compétences réellement exercées dans l’entreprise doit être regardé comme ayant eu pour objet et pour effet de le rattacher à une sous-catégorie professionnelle relevant d’une activité exclue des activités reprises par la société Finega, et donc de conduire à l’octroi d’une autorisation de licenciement le concernant.

9. Il résulte de ce qui précède qu’au sens des dispositions précitées de l’article L. 1134-1 du code du travail, M. B== doit être regardé comme ayant présenté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, tenant à une détermination des activités supprimées ne correspondant pas à des catégories professionnelles définies de manière pertinente, à une suppression des activités de soudure, peinture et de câblage ne procédant pas d’une démarche logique dès lors que ces activités ont continué à être exercées sur le site de la Coquille par des salariés appartenant à d’autres sous-catégories professionnelles que celles exclues de la reprise et à une modification des intitulés des postes de travail. Aucune justification n’a été apportée en défense quant à l’absence de volonté discriminatoire. Dans les circonstances de l’espèce, le requérant est fondé à soutenir que la demande d’autorisation de licenciement n’est pas dépourvue de lien avec le mandat.



10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B== est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande et à demander l’annulation des décisions des 11 et 18 août 2014 par lesquelles le ministre du travail a autorisé son licenciement.




Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :



11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B== au titre des frais irrépétibles.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1404105 ; 1404106 du 3 mars 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ainsi que les décisions des 11 et 18 août 2014 par lesquelles le ministre du travail a autorisé le licenciement de M. B== sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à M. B== la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.