Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MJ France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation des redressements en matière d'impôt sur les sociétés qui lui ont été notifiés au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004 et qui conduisent à réduire les déficits reportables de ces exercices. Par un jugement n° 0803890 du 2 octobre 2012, le tribunal a rejeté cette demande.



Par un arrêt n° 12BX03080 du 15 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement, puis fixé, pour le calcul des amortissements pratiqués par la société Domaines Reybier au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004, la valeur des plantations à 8 157 241 euros pour le domaine « Château Cos d'Estournel », à 849 445,82 euros pour le domaine « Château Marbuzet » et à 491 739,53 euros pour les « parcelles B== », décidé que les résultats déficitaires retenus par l'administration seront corrigés en conséquence et rejeté le surplus des conclusions présentées par la société MJ France tant devant elle que devant le tribunal administratif.

Par une décision n° 384475 du 5 octobre 2016, le Conseil d’Etat a annulé les articles 2 et 4 de l’arrêt du 15 juillet 2014 de la cour administrative d’appel de Bordeaux en tant qu’ils se rapportaient à la fixation de la valeur des plantations du domaine « Château Cos d’Estournel » et a renvoyé dans cette mesure l’affaire devant la cour.


Considérant ce qui suit :

1. La SA Domaines Reybier, qui appartient au groupe fiscalement intégré dont la société MJ France est la société mère, a acquis en 1998 deux domaines viticoles situés dans l’aire de l’appellation contrôlée « Saint-Estèphe », l’un dénommé « Château Cos d’Estournel », dont le vin figure au classement de 1855 en tant que second cru, l’autre dénommé « Château Marbuzet». La société a encore acquis en 2002 auprès de M. B== un ensemble de parcelles situées dans l’aire d’appellation Saint-Estèphe.

2. A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration, estimant que la valeur des plantations retenue en comptabilité pour ces deux domaines et ces parcelles était excessive, a remis en cause les amortissements pratiqués à raison de cette valeur sur les exercices clos en 2002, 2003 et 2004. Il en est résulté des impositions supplémentaires en matière d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt. A la suite de l’admission partielle de la réclamation, l’administration a accordé le dégrèvement de ces impositions tout en rejetant la contestation de la société relative à la remise en cause des amortissements pratiqués au cours desdits exercices. Par un jugement du 2 octobre 2012, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la contestation, présentée par la société MJ France au titre du 2ème alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales, des réductions de déficits reportables résultant de cette remise en cause.

3. Par un arrêt n° 12BX03080 du 15 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement, puis fixé, pour le calcul des amortissements pratiqués par la société Domaines Reybier au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004, la valeur des plantations à 8 157 241 euros pour le domaine « Château Cos d'Estournel », à 849 445,82 euros pour le domaine « Château Marbuzet » et à 491 739,53 euros pour les « parcelles B== », décidé que les résultats déficitaires retenus par l'administration seraient corrigés en conséquence et rejeté le surplus des conclusions présentées par la société MJ France tant devant elle que devant le tribunal administratif.

4. Par une décision n° 384475 du 5 octobre 2016, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la cour en tant qu’il a fixé la valeur des plantations du domaine « Château Cos d’Estournel » et a renvoyé l’affaire, dans cette mesure, à la cour.

5. L’objet du pourvoi tel que l’a déterminé le Conseil d’Etat n’a porté que sur la valeur des plantations du domaine « Château Cos d’Estournel ». Par suite, n’est plus en litige devant la cour que l’évaluation de la valeur des plantations de ce domaine. Les conclusions de la société requérante tendant à la réévaluation des amortissements pratiqués en ce qui concerne les plantations sur les « parcelles B== » sont par conséquent irrecevables car l’arrêt de la cour du 15 juillet 2014 est devenu irrévocable sur ce point.

6. Aux termes de l’article 39 du code général des impôts : « 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment :/ (…) 2° (…) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (…) ». Aux termes de l'article 38 quinquies de l’annexe III à ce code : « Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine./ Cette valeur d'origine s'entend :/ Pour les immobilisations acquises à titre onéreux par l'entreprise, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat majoré des frais accessoires nécessaires à la mise en état d'utilisation du bien ; (…) ».

7. Pour l’application de ces dispositions, il appartient au contribuable de justifier tant du montant des amortissements qu’il entend déduire que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Dans l’hypothèse où le contribuable a acquis un domaine viticole pour un prix global comportant des éléments d’actif non amortissables, tels que la valeur du terrain et la valeur de la marque viticole attachée au domaine, et des éléments amortissables, tels que la valeur des plantations, il lui appartient de déterminer cette dernière en ajoutant au coût de la plantation initiale des vignes les coûts directement engagés pour leur mise en état d’utilisation conformément à l’utilisation prévue par l’entreprise.

8. Pour déterminer la période à l'issue de laquelle des vignes sont en état d'utilisation, il convient de tenir compte des caractéristiques propres à l'entreprise, notamment de la période pendant laquelle celle-ci a pu choisir de ne pas commercialiser de vin provenant des parcelles concernées.



9. Contrairement à ce que soutient la société requérante, le fait que les vignes en litige, dans leur quasi-totalité, étaient déjà plantées depuis plus de dix ans lors de leur acquisition et ainsi aptes à produire un vin du « Château Cos d’Estournel », s’il est de nature à affecter la durée des amortissements restant à pratiquer sur les plantations par le nouvel exploitant, est sans incidence sur la détermination de la valeur amortissable des plantations, qui ne dépend que de la valeur initiale des végétaux plantés et des coûts d’entretien exposés jusqu’à la première utilisation des raisins dans la production d’un vin commercialisé. Il ne saurait donc être tenu compte des délais moyens d’entretien plus importants nécessaires pour préparer les vignes à produire un vin « Château Cos d’Estournel » sans que soit alors réintégrée dans la valeur amortissable des plantations une partie du coût d’acquisition de la marque, non amortissable quant à elle.

10. En premier lieu, en ce qui concerne tout d’abord le coût initial des plantations, la société Domaines Reybier, suivant les conseils de l’expert auquel elle a eu recours, a évalué celui-ci à 45 734,71 euros l’hectare pour les vignes du domaine « Château Cos d’Estournel ». Si la société requérante revendique désormais, devant la cour, un montant de 53 504 euros l’hectare, sa méthode de calcul, qui repose sur une actualisation du coût de plantation, s’élevant à 32 000 euros, que le Conseil d’Etat a retenu dans sa décision n°340969 du 2 novembre 2011 concernant un autre domaine viticole de la région bordelaise acquis en 1983 par une autre société, ne saurait être regardée comme aboutissant à une estimation plus précise que celle que la société Domaines Reybier a elle-même adoptée pour le domaine qu’elle a acquis en 1998. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir le montant de 45 734,71 euros résultant de cette dernière estimation qui n’est pas sérieusement contesté devant la cour par l’administration.

11. En deuxième lieu, en ce qui concerne les coûts d’entretien des vignes jusqu’à leur mise en état d’utilisation, l’administration a admis les frais afférents à l’entretien des parcelles pour les trois premières années d’élevage des plants, compte tenu de ce que celle-ci est productive dès la troisième année dans une aire d’appellation d’origine contrôlée.

12. La société requérante revendique une durée d’entretien plus longue. Elle soutient, en se prévalant d’une note établie par un ingénieur conseil viti-vinicole spécialiste du vignoble bordelais, que les délais d’entretien moyens pour produire le second grand cru classé, qui résulte d’un assemblage de cépages de merlot à hauteur de 30 % et de cépages de cabernet sauvignon à hauteur de 70 %, sont de 5 ans pour les parcelles plantées en merlot et de 15 ans pour les parcelles plantées en cabernet sauvignon, de sorte qu’il y aurait lieu d’admettre une durée moyenne de dix ans.

13. Toutefois, eu égard à ce qui est dit aux points 7 à 9 ci-dessus, il incombe à la requérante de justifier, en fonction des caractéristiques propres au domaine en litige, la période dépassant celle des trois années consécutives à la plantation au cours de laquelle l’exploitant du domaine a renoncé à vinifier les récoltes provenant des parcelles en litige, fût-ce sous la forme d’un second vin issu des seules parcelles nouvellement plantées ou d’un vin provenant d’un assemblage. Dès lors en effet que les parcelles deviennent productives, même avec un rendement quantitatif et qualitatif moindre que des parcelles en plein état de contribuer à la production du vin le plus prestigieux du domaine, les coûts d’entretien supplémentaires exposés jusqu’au moment où les parcelles seront aptes à produire le grand cru classé participent des coûts d’exploitation de la marque et non plus des coûts de constitution de l’actif amortissable.

14. En l’espèce, la société ne justifie pas, en fonction des conditions propres d’exploitation des vignes du Château Cos d’Estournel, que le précédent exploitant a effectivement renoncé à vinifier les récoltes provenant des vignes en litige au cours d’une période supérieure aux trois premières années d’entretien en ne commercialisant pas un second vin produit en tout ou en partie, par assemblage, à partir des raisins issus de ces vignes. Il n’y donc pas lieu d’admettre des coûts d’entretien sur une période supérieure à trois ans à ajouter à la valeur initiale des plantations, ce qui reviendrait à intégrer à la valeur amortissable des vignes une partie des coûts d’exploitation de la marque exposés antérieurement à l’acquisition du domaine.

15. En troisième et dernier lieu, en ce qui concerne le montant annuel des frais d’entretien de la vigne, celui-ci, en l’absence de contestation sérieuse par l’administration, peut être évalué en appliquant au coût des plantations initiales le pourcentage de 60 % revendiqué par la société requérante.

16. Il résulte de ce qui précède que pour le domaine « Château Cos d’Estournel » la valeur des vignes acquises par la société Domaine Reybier doit être fixée à 128 057,17 euros à l’hectare. Eu égard à la superficie de ces plantations, soit 63,7 hectares, la valeur des plantations devant servir au calcul des amortissements pratiqués au titre des exercices litigieux doit être fixée à 8 157 241 euros au lieu de celle de 2 913 300,70 euros retenue par l’administration. La société MJ France est fondée, dans cette mesure, à demander la correction des rectifications opérées par l’administration sur les résultats déficitaires de la société Domaine Reybier au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004.

17. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : Pour le calcul des amortissements pratiqués par la société Domaines Reybier au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004, la valeur des plantations est fixée à 8 157 241 euros pour le domaine « Château Cos d’Estournel ».

Article 2 : L’Etat versera à la société MJ France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus de la demande de la société MJ France devant le tribunal administratif de Bordeaux et le surplus de sa requête devant la cour est rejeté.