Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. M== a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l’Etat à lui verser une somme de 14 853 euros à parfaire, augmentée des intérêts légaux capitalisés, en réparation des préjudices résultant de la suppression du grade des conservateurs des hypothèques dans lequel il était nommé.

Par un jugement n° 1402061 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de M. M==.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés le 16 février, le 25 mai et le 29 septembre 2016, M. M==, représenté par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 2 décembre 2015 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 14 853 euros à parfaire, augmentée des intérêts légaux capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

……………………………………………………………………………………..

Considérant ce qui suit :

1. M. M== était titulaire du grade de conservateur de 5ème catégorie et affecté au bureau des hypothèques de Pau. Le grade de conservateur des hypothèques ayant été supprimé, en application de l’article 30 de la loi de finances rectificative pour 2009, à compter du 1er janvier 2013, M. M== a été détaché, à cette date, dans l’emploi de chef de service comptable de 4ème catégorie, hors échelle A chevron 1, et affecté au service de la publicité foncière de Bayonne. Considérant que sa nouvelle rémunération indiciaire était inférieure au salaire qu’il percevait en tant que conservateur, il a saisi le ministre des finances et des comptes publics d’une réclamation tendant au versement d’une indemnité de perte de rémunération sur la période de janvier 2013 à août 2013 estimée, à partir de l’écart constaté entre le salaire de décembre 2012 et le traitement de janvier 2013, à la somme de 14 853 euros. Celui-ci a implicitement rejeté cette réclamation. M. M== relève appel du jugement n°1402061 du 2 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 14 853 euros augmentée des intérêts légaux et de leur capitalisation.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l’article R. 741-7 du code de justice administrative : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d’audience. ». Si M. M== soutient que le jugement qui lui a été notifié ne comporte pas les signatures requises, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement est, conformément aux exigences des dispositions précitées de l’article R. 741-7, revêtue de la signature du président de la formation de jugement, de celle du rapporteur et de celle du greffier d’audience.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Aux termes de l’article 30 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 : « I.- Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, des mesures qui relèvent du domaine de la loi, pour : 1° Instituer à compter du 1er janvier 2013 une taxe au profit de l’Etat due par les usagers du service de la publicité foncière, aux mêmes conditions d’assiette, de tarif, de contrôle et de recouvrement que le salaire du conservateur prévu par l’article 879 du code général des impôts qu’elle remplace ; 2° substituer à compter de cette même date et sans remettre en cause le service rendu à l’usager, la responsabilité de l’Etat à celle des conservateurs des hypothèques tant dans l’exécution du service public de la publicité foncière que dans les obligations en résultant et des droits et biens qui les garantissent (…) ». Aux termes de l’article 18 de l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques : « I. Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2013. / (…) II. Les salaires des conservateurs des hypothèques dus en application de l'article 881 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2012, sont acquittés au profit du Trésor à compter du 1er janvier 2013. / Le paiement des salaires des conservateurs des hypothèques, exigé sur le fondement d'avis de mise en recouvrement prévus à l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, est effectué au profit du Trésor à compter du 1er janvier 2013. ». Enfin, aux termes de l’article 5-3 du décret n° 2006-814 du 7 juillet 2006 relatif aux emplois de chef de service comptable au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie tel que modifié par le décret n° 2010-988 du 26 août 2010 : « A compter du 1er janvier 2013, les conservateurs des hypothèques peuvent être nommés : (…) 3° A un emploi de chef de service comptable de 4e catégorie ou de 5e catégorie pour ceux occupant au 31 décembre 2012 un bureau des hypothèques de 5e catégorie ou de 6e catégorie ».

4. Par ces dispositions, d’une part, le législateur a organisé l’extinction, au 31 décembre 2012, du grade à échelon unique de conservateur des hypothèques régi par le décret du 2 août 1995 fixant le statut particulier des personnels de catégorie A des services déconcentrés de la direction générale des impôts, grade dont les titulaires percevaient non pas une rémunération indiciaire, mais, en vertu des dispositions des articles 878 et 879 du code général des impôts dans leur version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, un salaire, variable car issu de l’exécution des formalités liées aux mutations immobilières. D’autre part, le pouvoir réglementaire a prévu le reclassement des intéressés encore en poste au 1er janvier 2013 dans un emploi de chef de service comptable leur assurant une rémunération statutaire.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l’Etat :

Quant à l’existence d’une promesse non tenue :

5. M. M== soutient que l’administration se serait engagée à assurer aux fonctionnaires titulaires du grade de conservateur des hypothèques et reclassés à compter du 1er janvier 2013 dans le corps des chefs de service comptable, le maintien d’une rémunération égale au salaire antérieurement perçu. Selon lui, le dispositif de garantie de rémunération exposé par la note ministérielle du 20 juin 2013 méconnaît cette promesse. Afin d’établir l’existence de celle-ci, il produit les procès-verbaux d’assemblée générale de l’association mutuelle des conservateurs des hypothèques du 26 novembre 2009 et du 25 novembre 2010, au cours desquelles M. P==, alors directeur général des finances publiques, s’est exprimé notamment sur la question des conséquences sur les rémunérations des intéressés du changement de statut au 1er janvier 2013, et des comptes-rendus de groupes de travail faisant état de propos de ce même directeur général ou de son adjoint.

6. Toutefois, la présentation qui a été faite à l’occasion des assemblées générales de l’association mutuelle des conservateurs des hypothèques des principes et des orientations générales que l’administration envisageait de mettre en oeuvre afin de garantir au mieux les intérêts des conservateurs des hypothèques en poste au jour de l’extinction du grade, ainsi que les échanges ayant eu lieu dans les groupes de travail chargés de préparer le changement du statut des conservateurs, auxquels a participé l’administration, notamment sur la base d’une fiche établie par la direction générale des finances publiques clairement intitulée « pistes de réflexion », ne peuvent être regardés comme constituant une promesse à l’égard de M. M== de lui garantir, à partir de janvier 2013, une rémunération égale au salaire perçu antérieurement, alors en outre que le directeur général des finances publiques a précisé à plusieurs reprises qu’il entendait s’exprimer « à titre personnel ». Dans ces conditions, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le requérant n’était pas fondé à soutenir que la responsabilité de l’Etat serait engagée du fait d’une promesse non tenue.

Quant à l’atteinte à une espérance légitime :

7. Aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ». A défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir la restitution d’une somme d’argent doit être regardée comme un bien, au sens des stipulations précitées.

8. M. M== soutient que l’Etat aurait commis une faute constituée par l’atteinte portée à l’espérance légitime qu’il avait d’obtenir dans le nouveau corps de chef de service comptable une rémunération égale au salaire de conservateur des hypothèques. Il résulte toutefois de l’instruction qu’à la date à laquelle M. M== a été promu au grade de conservateur des hypothèques, le 1er mai 2010, le principe d’une mise en extinction de ce grade au 31 décembre 2012, était déjà posé par les dispositions de l’article 30 du décret du 20 février 2009. Il résulte également de ce qui a été dit au point 6 qu’en l’absence d’une promesse de l’Etat de maintenir le niveau de traitement de M. M== en tant que conservateur des hypothèques après son détachement en janvier 2013, la baisse de rémunération qu’il a pu subir, à la supposer établie, ne l’a pas privé d’une espérance légitime au sens des stipulations précitées. Dans ces conditions, aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de l’Etat du fait d’une atteinte illégale à l’espérance légitime d’avoir un bien au sens desdites stipulations.

Quant à l’atteinte aux droits acquis :

9. Aux termes de l’article 4 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire. ». Aux termes de l’article 64 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : « Les fonctionnaires régis par le présent titre ont droit, après service fait, à une rémunération fixée conformément aux dispositions de l’article 20 du titre Ier du statut général. » ; qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : « Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération (…). / Le montant du traitement est fixé en fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel il est parvenu, ou de l’emploi auquel il a été nommé (…). ».

10. Par suite, M. M== ne tenait d’aucun texte ni d’aucun principe un droit au maintien du niveau de la rémunération qu’il percevait antérieurement au 1er janvier 2013, alors au demeurant qu’il ne conteste ni les principes d’organisation du reclassement des conservateurs des hypothèques tels qu’ils sont fixés à l’article 5-3 du décret du 7 juillet 2006 ni les conditions de son propre reclassement, notamment indiciaire, dans le corps des chefs de service comptable telles qu’elles résultent de l’arrêté du 6 décembre 2012. En outre, la mise en extinction du grade des conservateurs des hypothèques constitue un changement de circonstances de droit qui s’oppose à ce que M. M== puisse se prévaloir d’un droit acquis à percevoir pour l’avenir, le salaire, au demeurant variable, de conservateur des hypothèques, dès lors que, dans le cadre des lois et règlements, l’administration peut fixer ou modifier le régime de rémunération des fonctionnaires sans que ces derniers puissent revendiquer un quelconque droit acquis au maintien de leurs avantages statutaires antérieurs. Il en résulte que M. M== ne saurait invoquer une atteinte à des droits acquis.

Quant à l’atteinte au principe de sécurité juridique :

11. M. M== soutient enfin qu’il a été porté une atteinte illégale au principe de sécurité juridique dans la mesure où l’Etat n’a pas institué de période transitoire entre la suppression du grade de conservateur des hypothèques et son placement dans sa nouvelle position statutaire.

12. L’exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

13. En l’espèce, la réforme du régime des conservateurs des hypothèques, bien qu’initiée par l’article 30 de la loi de finances rectificative pour 2009, qui a créé les services de la publicité foncière à la place des conservations des hypothèques, puis mise en œuvre par l’ordonnance du 10 juin 2010 portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques, n’est entrée en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2013. Diverses dispositions ont été adoptées entre juin 2010 et décembre 2012, pour permettre aux anciens conservateurs appelés à rester en fonction après le 31 décembre 2012, d’être placés dans une situation statutaire et réglementaire la plus équivalente possible. Est notamment intervenu le décret précité du 26 août 2010, qui a modifié le décret du 7 juillet 2006 relatif aux emplois de chef de service comptable au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, afin de permettre le détachement des conservateurs de 6è, 5è, 4è ou 3è catégorie dans l’emploi de chef de service comptable de 5è, 4è, 2è, 2è ou 1ère catégorie et dont a bénéficié M. M==. Dans ces conditions, aucune atteinte illégale au principe de sécurité juridique pour défaut d’édiction de mesures transitoires ne peut en tout état de cause être retenue.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l’Etat :

14. En appel, M. M== se borne, dans sa requête sommaire, et sans que le moyen soit repris dans son mémoire ampliatif, à évoquer, pour l’ensemble des anciens conservateurs des hypothèques, un « préjudice anormal et spécial ». Le moyen n’étant pas autrement étayé, en particulier pour ce qui concerne sa situation propre, et à supposer que M. M== ait ainsi entendu invoquer la responsabilité sans faute de l’Etat, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires formulées à titre subsidiaire sur cet éventuel fondement.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. M== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame M. M== sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. M== est rejetée.

……………………………………………………………………………………………………