Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. T=== a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a appliqué sur son traitement mensuel une retenue de 13 trentièmes pour service non fait du 23 janvier au 4 février 2018 inclus, ainsi que la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision le 5 mars 2018.

Par un jugement n° 1801697, 1801917 du 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 24 janvier 2018 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. T=== en tant qu’elles appliquaient une retenue de traitement pour la période du 24 janvier au 4 février 2018, soit 12 trentièmes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces, enregistrées le 8 août 2019 et le 29 janvier 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juin 2019.

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Considérant ce qui suit :

1. M. T===, surveillant pénitentiaire affecté au pôle de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) de Bordeaux, a adressé à son administration un avis d’arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 23 janvier au 4 février 2018 inclus. Le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, considérant que l’agent était en situation d’absence non justifiée, a décidé d’appliquer une retenue de 13 trentièmes pour service non fait sur son traitement mensuel, par une décision du 24 janvier 2018. Par une première demande enregistrée sous le n°1801697, M. T=== a notamment demandé au tribunal administratif de Bordeaux l’annulation de cette décision et, par une seconde demande enregistrée sous le n°1801917, l’annulation de la décision implicite de rejet opposée à son recours hiérarchique formé le 5 mars 2018 à l’encontre de la décision du 24 janvier 2018. Le ministre de la justice relève appel du jugement du 3 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir constaté que le premier jour de maladie dit « de carence » ne pouvait être rémunéré, a annulé la décision du 24 janvier 2018 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. T=== en tant qu’elles appliquaient une retenue de traitement pour la période du 24 janvier au 4 février 2018, soit 12 trentièmes.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : « Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (…) ». Selon l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : « Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (…) ». L’article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dispose que : « Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (…) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ».

3. Si en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l’administration un avis d’interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu’en dehors d’une période d’épidémie un nombre important et inhabituel d’arrêts maladie sont adressés à l’administration sur une courte période et que l’administration démontre avoir été dans l’impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l’article 25 du décret du 14 mars 1986, l’administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l’agent, seul détenteur des éléments médicaux, d’établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.



4. En l’espèce, pour annuler les décisions contestées le tribunal administratif de Bordeaux s’est fondé sur la circonstance que l’administration n’ayant pas fait procéder à la contre-visite de M. T===, qui avait produit un avis d’interruption de travail, aucune disposition législative ou réglementaire ne l’autorisait à procéder à une retenue sur son traitement. Cependant, en écartant la possibilité pour l’administration de contester le bien-fondé d’un congé de maladie, lorsqu’elle se trouve confrontée à des circonstances particulières telles que décrites au point précédent, le tribunal a fait une application erronée des dispositions précitées de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Par suite, c’est à tort que le tribunal s’est fondé sur ce motif pour annuler les décisions contestées.

5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les moyens soulevés par M. T=== à l’encontre de la décision du 24 janvier 2018 et de la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. T===.

6. En premier lieu, et ainsi qu’il a été dit aux points 3 et 4, l’administration est fondée, dans les circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite et la réception en dehors d’une période d’épidémie d’un nombre important et inhabituel d’arrêts maladie sur une courte période, la mettant dans l’impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l’article 25 du décret du 14 mars 1986, à contester le bien-fondé des congés de maladie par tous moyens. Il ressort des pièces du dossier, et il n’est pas sérieusement contesté, qu’à la suite de l’appel au blocage des établissements pénitentiaires par les organisations syndicales, et alors qu’en moyenne 90 agents se trouvaient en congé de maladie sur les périodes normales dans le ressort de la direction interrégionale, à compter du 23 janvier 2018 jusqu’au 29 janvier inclus, de 469 à 630 agents ont présenté des avis d’interruption de travail. Il en est de même au pôle de rattachement des extractions judiciaires, service où était affecté M. T===, où 21 des 34 agents ont présenté des avis d’interruption de travail pour la période du 24 au 29 janvier 2018. L’absence d’un grand nombre de surveillants durant cette période a eu de graves répercussions sur le fonctionnement de cet établissement et a nécessité le recours à des agents extérieurs à l’établissement, en particulier des forces de sécurité intérieure et des élèves de l’administration pénitentiaire. Ces circonstances très particulières de l’espèce sont donc de nature à révéler que des certificats médicaux ont été délivrés dans le cadre d’une cessation concertée du service et non pour des motifs médicaux. Dans ces conditions il appartenait à M. T=== d’établir que le certificat médical qui lui a été délivré correspondait à une pathologie réelle. Il ressort des éléments produits par M. T=== qu’il disposait d’un avis d’interruption de travail pour « burn out, surmenage professionnel » pour une durée de 13 jours. Il n’apporte aucun élément circonstancié permettant d’étayer la réalité de cette pathologie, laquelle est caractérisée dans la littérature médicale par une longue période de traitement. Par suite, l’administration pénitentiaire a pu, sans diligenter de contre-visite médicale, légalement considérer, par la décision attaquée du 24 janvier 2018, que l’absence de M. T=== n’était pas justifiée par un motif médical.

7. En deuxième lieu, aux termes de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (…) ». Selon l’article 4 de la loi 61-825 du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : « (…) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; /2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (…) ». L’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : « Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ». Selon l’article L. 121-2 de ce code : « (…) Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ». Enfin l’article L. 211-2 du même code : « (…) doivent être motivées les décisions qui : / (…) refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir (…) ».

8. D’une part, les décisions par lesquelles l’autorité administrative procède à une retenue de salaire à l’encontre d’un agent qui a présenté un avis d’interruption de travail en cas de maladie qu’il estime dûment constatée, sont au nombre des décisions qui refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit et doivent être motivées en vertu des dispositions précitées de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. Mais il ressort des pièces du dossier que la décision du 24 janvier 2018, qui procède à la retenue sur salaire de M. T===, énonce les raisons de droit et de fait sur lesquelles s’est fondé le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux. Le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.

9. D’autre part, les dispositions de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration ne s’appliquent pas, ainsi que le précise l’article L. 121-2 de ce même code, aux relations entre les autorités administratives et leurs agents. Elles ne peuvent donc pas être invoquées par M. T===, agent public. En outre, la mesure de retenue sur traitement constitue une application de la règle suivant laquelle les agents publics n'ont droit au paiement de leur traitement qu'au titre des périodes pendant lesquelles ils accomplissent leur service et ne présente pas le caractère d'une sanction. Par suite, les dispositions de l’article L. 2512-4 du code du travail relatives à la procédure contradictoire à mettre en œuvre en cas de sanction pour faits de grève dans les services publics ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce. Dès lors, le moyen tiré de l’absence de procédure contradictoire préalable à la décision contestée est inopérant.

10. Cependant, il ressort des pièces du dossier que la décision de procéder à une retenue sur le traitement de M. T=== correspondant aux 13 jours du 23 janvier 2018 au 4 février 2018 a été prise le 24 janvier 2018, soit à une date à laquelle l’administration ne pouvait constater l’absence de service fait pour la période du 24 janvier au 4 février 2018. Par suite, le directeur interrégional de l’administration pénitentiaire a fait une inexacte application des dispositions précitées de l’article 4 de la loi 61-825 du 29 juillet 1961 en prenant une décision prématurée pour la période du 24 janvier au 4 février 2018.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de ce que les jours non ouvrés ne pouvaient faire l’objet d’une telle retenue, ni de saisir le Conseil d’Etat en application de l’articles L. 113-1 du code de justice administrative, que la garde des sceaux, ministre de la justice, n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 24 janvier 2018 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. T=== en tant qu’elles appliquaient une retenue de traitement pour 12 des 13 jours sur lesquels portait l’avis d’arrêt de travail litigieux.

12. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme que M. T===demande au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la garde des sceaux, ministre de la justice, est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. T=== présentées sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la garde des sceaux, ministre de la justice et à M. T===.