Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D== W== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler, d’une part, l’arrêté du 4 janvier 2016 du préfet de la Haute-Vienne décidant sa remise aux autorités hongroises, d’autre part, l’arrêté du même jour le plaçant en rétention administrative.

Par un jugement n° 1600008 du 6 janvier 2016, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mars 2016 et 3 juin 2016, M. W==, représenté par Me Laspalles, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 janvier 2016 ;

2°) d’annuler les arrêtés attaqués ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 72 heures à compter de la notification de l’arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Considérant ce qui suit :

1. M. W== ressortissant congolais, né le 16 février 1990, déclare être entré en France le 6 juillet 2015. Le 3 août 2015, il a sollicité auprès du préfet de la Haute-Vienne son admission au séjour au titre de l’asile. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées par les autorités hongroises, le préfet de la Haute-Vienne a, par décision du 6 août 2015, refusé de l’admettre provisoirement au séjour au titre de l’asile et sollicité sa prise en charge par les autorités hongroises. Celles-ci ont accepté le 6 septembre 2015 de prendre en charge la demande d’asile. Par arrêtés du 4 janvier 2016, le préfet a décidé de le remettre aux autorités hongroises et de l’assigner à résidence pendant une durée de cinq jours dans l’attente de l’exécution de cette mesure. M. W== relève appel du jugement du 6 janvier 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande dirigée contre ces arrêtés.

Sur l’arrêté portant remise aux autorités hongroises :

2. En vertu du chapitre III du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 fixant les critères de détermination de l’Etat responsable d’une demande d’asile et notamment du paragraphe 1 de son article 13, « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ». Aux termes du paragraphe 2 de l’article 3 de ce règlement : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable ».

3. Il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est renversée lorsqu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’il existe, dans « l’État membre responsable » de la demande d’asile au sens du règlement précité, des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile impliquant pour ces derniers un risque d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

4. La Hongrie est un Etat membre de l’Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que quelques jours avant l’adoption par le Parlement européen, le 16 décembre 2015, d’une résolution faisant état de la situation critique des demandeurs d’asile en Hongrie, la Commission européenne a ouvert, le 10 décembre 2015, une procédure d’infraction à l’encontre de ce pays, en relevant notamment que sa procédure d’asile était incompatible sur plusieurs points avec le droit de l’Union européenne, et en particulier avec la directive n° 2013/32/UE relative aux procédures d’asile. La Commission européenne relève que les demandeurs d’asile en Hongrie ne peuvent présenter de faits et circonstances nouveaux à l’appui de leur recours, que la Hongrie n’applique pas d’effet suspensif à l’introduction des recours, contraignant les demandeurs d’asile à quitter le territoire hongrois avant l’expiration du délai de recours ou avant qu’il n’ait été statué sur ce dernier, que leur droit à l’interprétation et à la traduction est méconnu, et que la nouvelle législation hongroise sur le contrôle juridictionnel des décisions de rejet est susceptible de méconnaître le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial. Par ailleurs, se fondant sur les constatations faites en Hongrie à la fin du mois de novembre 2015 par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ledit Conseil a relevé dans un communiqué du 13 janvier 2016 la pratique des autorités hongroises consistant à placer les demandeurs d’asile dans des centres de rétention administrative – où s’applique un régime de détention restrictif - sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention. Dans ces conditions, M. W== établit suffisamment qu’il existait, à la date à laquelle est intervenu l’arrêté contesté, des motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de remise aux autorités hongroises, il ne bénéficierait pas d’un examen de sa demande d’asile dans des conditions conformes aux garanties exigées par le respect du droit d’asile et risquerait ainsi de subir des traitements contraires à l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite, il est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 4 janvier 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a décidé sa remise aux autorités hongroises.

Sur l’arrêté prononçant le placement en rétention administrative :

5. Par voie de conséquence de l’annulation de la décision prononçant sa remise aux autorités hongroises, M. W== est fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 4 janvier 2016 prononçant son placement en rétention administrative.

Sur les conclusions à fin d’injonction sous astreinte :

6. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ».

7. Eu égard à l’annulation par le présent arrêt de la décision de remise de M. W== aux autorités hongroises, et dès lors que le délai de six mois prévu pour l’exécution du transfert par l’article 29 du règlement précité, qui a couru de nouveau à compter du jugement de rejet attaqué, est expiré à la date du présent arrêt, la procédure de réadmission est close de sorte qu’il appartient à la France de traiter la demande d’asile du requérant. Par suite, le présent arrêt implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer à M. W== une autorisation lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l’examen de sa demande d’asile. Un délai de quinze jours lui est imparti à cet effet, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. M. W== a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Me Laspalles, avocat de M. W==, de la somme de 1 200 euros au titre du 2ème alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1600008 du 6 janvier 2016 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse et les arrêtés du préfet de la Haute-Vienne du 4 janvier 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. W== dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L’Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Laspalles en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. W== est rejeté.