Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure :

La société Banque populaire Occitane (BPO) a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l’Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 1er février 2013.

Par un jugement n° 1401764 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 novembre 2015, la société Banque populaire Occitane, représentée par Me Prim-Thomas demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 1er octobre 2015 ;

2°) de condamner l’Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 1er février 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l’Agence de services et de paiement la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. En contrepartie d’une avance de 100 000 euros, l’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) de Bégorre a cédé le 22 décembre 2011 à la société Banque populaire occitane sa créance au titre des aides agricoles couplées et découplées de la campagne 2012 sur le fondement de l’article L. 313-23 du code monétaire et financier. Le 11 janvier 2012, la société Banque populaire occitane a notifié cette créance, évaluée à la somme de 92 046 euros, à l’Agence de services et de paiement en charge du règlement des aides précitées. Le 19 mars 2013, la banque a demandé à l’Agence de procéder au paiement de cette somme. Saisie en mai 2012 d’une déclaration de ses droits à paiement unique par la société civile d’exploitation agricole (SCEA) de Bégorre qui a succédé à l’EARL du même nom à compter d’avril 2012, l’Agence de services et de paiement lui a versé au titre des aides couplées et découplées la somme de 80 499,64 euros le 3 décembre 2012 puis la somme de 500 euros le 25 juin 2013. La société Banque populaire occitane relève appel du jugement du 1er octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts de droit à compter de sa demande du 19 mars 2013.

2. Aux termes de l’article L. 313-23 du code monétaire et financier : « Tout crédit qu’un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d’un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle. / Peuvent être cédées ou données en nantissement les créances liquides et exigibles, même à terme. Peuvent également être cédées ou données en nantissement les créances résultant d’un acte déjà intervenu ou à intervenir mais dont le montant et l’exigibilité ne sont pas encore déterminées. (…) ». Aux termes de l’article L. 313-28 du même code : « L'établissement de crédit peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ». Aux termes de l’article L. 313-29 : « Sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s'engager à le payer directement. Cet engagement est constaté, à peine de nullité, par un écrit intitulé : " Acte d'acceptation de la cession ou du nantissement d'une créance professionnelle ". / Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l'établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l'établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur. »

3. Aux termes de l’article 2, du règlement du (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 : « Aux fins du présent règlement, on entend par : a) agriculteur, une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales, quel que soit le statut juridique conféré selon le droit national ou au groupement ainsi qu’à ses membres, dont l’exploitation se trouve sur le territoire de la Communauté (…) et qui exerce une activité agricole ». Aux termes de l’article 19 du même règlement : « Demande d’aide. 1. Chaque année, l'agriculteur introduit une demande pour les paiements directs, indiquant, le cas échéant : (…) b) les droits au paiement déclarés en vue de leur activation ; c) toute autre information prévue par le présent règlement ou par l'État membre concerné. 2. Les États membres fournissent, entre autres par des moyens électroniques, des formulaires préétablis qui se fondent sur les superficies déterminées l'année précédente ainsi que des documents graphiques situant ces superficies (…). ». Aux termes de l’article 33 du même règlement : « Droits au paiement. 1. Peuvent bénéficier de l'aide au titre du régime de paiement unique les agriculteurs qui : a) détiennent des droits au paiement attribués conformément au règlement (CE) no 1782/2003 ; b) reçoivent des droits au paiement en application du présent règlement : i) par transfert ; ii) au titre de la réserve nationale ; (…) ». Aux termes de l’article 34 de ce même règlement : « Activation des droits au paiement par hectare admissible. 1. L'aide au titre du régime de paiement unique est octroyée aux agriculteurs après activation d'un droit au paiement par hectare admissible. Les droits au paiement activés donnent droit au paiement des montants qu'ils fixent. ( …) »

4. Il résulte de ces dispositions que les agriculteurs sont tenus de déclarer à l’administration les droits à paiement unique qui leur ont été attribués ou transférés pour prétendre au versement d’aides dites découplées, la circonstance que la transformation régulière d’une société en une société d’une autre forme n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle, ainsi que l’énonce l’article 1844-3 du code civil, étant à cet égard inopérante.

5. Il ressort des pièces du dossier qu’à la suite de la modification statutaire intervenue le 12 avril 2012, la SCEA de Bégorre, qui a succédé à l’EARL de Bégorre et à qui un nouveau numéro Pacage a été attribué, a déclaré, ainsi qu’elle y était tenue pour prétendre au versement des aides découplées, les droits à paiement unique reçus par transfert de l’EARL de Bégorre conformément à l’article 33 précité du règlement (CE) n° 73/2009. C’est d’ailleurs ce que l’Agence de services et de paiement a elle-même confirmé à la Banque populaire occitane par télécopie du 28 mars 2013 : « l’exploitant avait déposé sa demande d’aide PAC en DDT au nom de la nouvelle entité créée le 26/03/2012 SCEA de Bégorre (remplaçant l’EARL), nous n’avons pas de fonds au nom de l’EARL de Bégorre ».

6. Si donc la SCEA de Bégorre qui avait ainsi succédé dans les droits de l’EARL de Bégorre était fondée à activer les droits à paiement unique au titre de la campagne 2012 qui lui avaient été transférés par l’EARL de Bégorre, la créance n’en demeurait pas moins donnée en nantissement à la Banque populaire occitane qui en avait régulièrement notifié la cession à l’Agence de services et de paiement dès le 11 janvier 2012. C’est ainsi à tort que l’Agence soutient que la créance de la banque a disparu, l’objet de la créance ayant seulement été transféré de l’EARL à la SCEA ainsi qu’elle en avait été dûment informée par la SCEA. Et l’Agence ne peut exciper des exceptions prévues par l’article L. 313-29 du code monétaire et financier qu’elle n’a pas opposées à la banque.

7. Par suite, en application des dispositions précitées de l’article L. 313-28 du code monétaire et financier, l’Agence de services et de paiement, qui s’est vu notifier le nantissement des droits à paiement de l’EARL de Bégorre transférés à la SCEA de Bégorre, ne pouvait valablement se libérer du paiement de l’aide qu’auprès de la Banque populaire occitane sans qu’y fasse obstacle le fait que les droits sur lesquels la banque détenait une créance avaient été activés sous le numéro Pacage de la SCEA et non sous celui de l’EARL ni la circonstance que l’agence avait à tort opéré un versement en faveur de la SCEA de Bégorre.

8. Il résulte de l’instruction que les aides dues à la SCEA de Bégorre au titre de la campagne 2012 se sont élevées à 80 999,64 euros. Dès lors, la Banque populaire occitane, dont la créance est supérieure à ce montant, est fondée à demander la condamnation de l’Agence de services et de paiement dans cette mesure ainsi que les intérêts au taux légal à compter de sa demande, soit le 19 mars 2013.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Banque populaire occitane est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande à hauteur de la somme mentionnée au point précédent.

10. L’Agence de services et de paiement demande que la société civile d’exploitation agricole de Bégorre soit appelée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre. Mais l’Agence a la pouvoir d’émettre un titre exécutoire à l’encontre de la SCEA de Bégorre pour avoir récupération d’une aide qui n’aurait pas dû être directement payée à la SCEA. Par suite, ses conclusions d’appel incident sont irrecevables.

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Banque populaire occitane, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à l’Agence de service et de paiement et à la SCEA de Bégorre la somme qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Agence de services et de paiement à verser à la Banque populaire occitane la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1 : L’Agence de services et de paiement versera à la Banque populaire occitane la somme de 80 999,64 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013.

Article 2 : Le jugement n° 1401764 du 1er octobre 2015 du tribunal administratif de Pau est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L’Agence de service et de paiement versera à la Banque populaire occitane la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la Banque populaire occitane, les conclusions d’appel incident présentées par l’Agence de services et de paiement et les conclusions de l’Agence et de la SCEA de Bégorre présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.