Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A== A== a demandé au tribunal administratif de Mayotte d’annuler la décision du président du conseil général de Mayotte refusant implicitement, suite à sa demande du 30 décembre 2013, de reprendre le contrat de travail qui la liait à l’association pour la gestion des équipements sportifs départementaux de Mayotte (AGESDM), d’enjoindre au département de Mayotte, sous astreinte, de le réintégrer dans ses effectifs et de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 69 461 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi auprès de l’AGESDM et du refus de reprise de son contrat de travail.

Par un jugement n° 1400160 du 2 avril 2015, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le département de Mayotte à verser à M. A== une indemnité de 20 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A==.

Procédures devant la cour :

I) Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 juin 2015 et le 12 janvier 2016 sous le n° 15BX01976, le département de Mayotte, représenté par Me Jorion, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 2 avril 2015 ;

2°) de rejeter la demande de M. A== présentée devant le tribunal administratif de Mayotte ;

3°) de mettre à la charge de M. A== la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


II) Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juin 2015 et le 13 janvier 2016 sous le n° 15BX02139, le département de Mayotte, représenté par Me Jorion, demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement précité du tribunal administratif de Mayotte du 2 avril 2015 ;

2°) de mettre à la charge de M. A== la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir les mêmes moyens que ceux qu’il a déjà développés dans l’instance au fond.


Considérant ce qui suit :

1. M. A== A== a eu pour employeur, depuis 1993, l’association de gestion des équipements sportifs départementaux de Mayotte (AGESDM). A la demande du président du conseil général de Mayotte, déclarant agir au nom de l’association, le tribunal de grande instance de Mamoudzou agissant en matière de procédures collectives a constaté la cessation des paiements de l’AGESDM et prononcé sa liquidation judiciaire par jugement du 30 avril 2013. L’action en justice engagée par M. A== à l’encontre de l’AGESDM et du département de Mayotte s’est conclue par un arrêt de la chambre sociale de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion en date du 12 novembre 2013, par lequel la cour a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à compter du 29 avril 2013 et « fixé la créance de M. A== à la liquidation judiciaire de l’AGESDM » à un montant total de 69 451,62 euros, mais a rejeté les demandes fondées sur l’existence d’un contrat de travail avec le département de Mayotte, tout en se déclarant incompétente pour statuer sur les demandes fondées sur l’existence d’un contrat de mandat liant le département à l’AGESDM et sur la responsabilité quasi-délictuelle du département. M. A== a alors demandé au tribunal administratif de Mayotte, d’une part, d’annuler la décision du président du conseil général refusant la reprise de son contrat de travail et, d’autre part, de condamner le département de Mayotte, en conséquence des fautes commises par celui-ci et de l’impossibilité d’obtenir quelque somme que ce soit dans le cadre de la liquidation de l’AGESDM, à lui verser une indemnité fixée au même niveau que le montant déterminé par le juge judiciaire. Par un jugement du 2 avril 2015, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le département à verser à M. A== une indemnité de 20 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le département de Mayotte fait appel de ce jugement en tant qu’il l’a condamné à verser cette somme à M. A==. Celui-ci, par la voie de l’appel incident demande la réformation du jugement en ce qu’il n’a condamné le département qu’à lui verser une somme de 20 000 euros et demande sa condamnation à lui verser la somme de 69 451,52 euros, correspondant au montant de sa créance tel que fixé par la cour d’appel.

Sur la requête au fond n°15BX01976 :

Sur la responsabilité du département de Mayotte :

2. Lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme "transparente".

3. Il résulte de l’instruction que, depuis les années 1990, la collectivité départementale de Mayotte avait activement contribué, avec le préfet de Mayotte qui agissait alors en tant qu’exécutif de celle-ci, à la mise en place de l’association AGEST, devenue l’AGESDM, à laquelle avait été confiée, selon les termes mêmes de la lettre du conseil général de Mayotte à la présidente du TGI de Mamoudzou en date du 30 août 2012 pour lui demander de déclencher la procédure de liquidation judiciaire de l’association, « la gestion de ses équipements sportifs », précisant que cette association était née de la fusion de deux anciennes associations « créées à l’initiative de la collectivité territoriale de Mayotte en 1980 » et « dont la mission était de gérer les installations et équipements sportifs pour le compte de ladite collectivité ». Ainsi, l’AGESDM a-t-elle été créée pour assurer l’entretien et la gestion des équipements sportifs et culturels de Mayotte, assurant ainsi une mission de service public pour la collectivité.

4. Si le département fait valoir que ses recettes provenaient de nombreux autres intervenants que lui-même, notamment, en 2010, de ligues sportives et des FATZOI (forces armées terrestres de la zone Océan indien), il résulte cependant du courrier précité du 30 août 2012 que le conseil général se déclare clairement comme « unique financeur » de l’association, en lui accordant « une subvention annuelle lui permettant d’assurer, outre le paiement des salaires de ses agents, l’entretien et la gestion » des équipements. Le conseil général expose ensuite que la situation financière critique dans laquelle se trouve l’AGESDM est issue de la « situation budgétaire contrainte du conseil général » depuis 2009, qui « a eu pour conséquence la diminution des subventions allouées (…) à l’AGESDM », laquelle voit de ce fait « ses ressources diminuer substantiellement ». Dans le même courrier, il précise encore qu’afin de maintenir un fonctionnement minimum des installations, « le département a dû prendre en charge directement les factures liées à la consommation d’eau et d’électricité ». Cette situation d’unique, ou à tout le moins, de principal, financeur de l’AGESDM, résulte également du « Vœu relatif à la situation des agents de l’AGESDM » émis par le conseil général, lequel considère « que l’AGESDM a en charge des missions relevant de la compétence du département et que son budget provenait exclusivement d’une subvention du conseil général ». Il résulte également du rapport spécial d’alerte du commissaire aux comptes de l’association, établi le 29 mars 2012 en application de l’article L. 612-3 du code de commerce, que la continuité de l’exploitation est compromise par « la dégradation de la situation de l’association en raison de la diminution significative des subventions perçues », soulignant le fait que le 14 février 2012 a eu lieu « une réunion à l’initiative du conseil général, unique financeur de l’association, dans leurs locaux, pour se prononcer sur l’avenir de la structure ». Il résulte enfin de l’instruction que les subventions du département, ainsi que des compléments de subvention comme en 2011, étaient accordés annuellement à l’association, par délibérations de la commission permanente du conseil général, en vertu de conventions de mandats conclues annuellement entre le conseil général de Mayotte de l’AGESDM, conventions précisant que le département, propriétaire des équipements territoriaux, les met à la disposition de l’association et lui en confie la gestion, la collectivité s’engageant à accorder une subvention de fonctionnement, versée en plusieurs fractions, « pour contribuer à la réalisation de cette mission ». En outre, c’est par des délibérations du conseil général qu’était approuvée la grille tarifaire, qu’une régie de recettes a été créée et qu’était désigné le régisseur. En effet, le rapport de la commission permanente de la direction de la jeunesse et des sports du 18 mars 2004, date à laquelle le préfet était encore l’exécutif de la collectivité avant qu’il ne soit transféré au président du conseil général, préconisait au département de « signer une convention de mandat accompagnée de la création d’une régie de recettes », solution « qui permet de garantir une meilleure gestion du service rendu et évite de mettre le conseil général dans une situation irrégulière ». Les recettes de l’association, issues de l’exploitation des équipements qu’elle gérait, et qui appartenaient dans leur totalité à la collectivité, étaient ainsi perçues par chèques libellés à l’ordre du trésor public et intégralement versées à la pairie départementale. Ainsi, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, il est établi à l’aide des pièces versées aux débats, que le financement de l’association était assuré de manière quasi-exclusive par le département de Mayotte.

5. S’agissant du personnel, il résulte de l’article 2 des statuts de l’association que le président du conseil général ou son représentant est membre de droit, ainsi d’ailleurs que le directeur de la jeunesse et des sports de la collectivité départementale. Aux termes des articles 4 et 10 desdits statuts, les membres de droit siègent au conseil d’administration et à l’assemblée générale. Il résulte également du courrier adressé le 1er décembre 2011 par le préfet au président du tribunal administratif de Mayotte que le bureau de l’association comprenait des agents du conseil général. En outre, comme cela a déjà été dit ci-dessus, le régisseur est nommé par délibération du conseil général. En contrepartie du financement assuré par le département, l’article 13 de statuts prévoit que les différents documents comptables, compte d’exploitation, compte de résultat et bilan, sont obligatoirement transmis à l’organisme de tutelle, la « collectivité départementale de Mayotte », comme cela est également prévu par les différentes conventions de mandat, qui prévoient un contrôle financier mais aussi technique du département. Le requérant soutient enfin, sans être valablement contredit, qu’une partie du personnel de l’association et notamment son secrétaire général, appartenait au département et était mis à disposition auprès de l’AGESDM.

6. Il résulte enfin des éléments exposés ci-dessus et de la lettre précitée du conseil général du 30 août 2012 d’une part, que l’AGESDM a été dans l’incapacité d’honorer ses charges, notamment salariales, à partir du moment où, du fait de décisions prises au cours de l’année 2011 par les élus départementaux, les versements de subventions ont été définitivement interrompus et d’autre part, que l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire de l’association a été engagée à l’initiative exclusive du département, qui, par l’implication qu’il a alors manifestée dans ce dossier l’a fait se comporter comme le véritable employeur, une lettre du président du conseil général du 24 juillet 2012 attestant à cet égard d’une volonté alors affichée de concourir à un « accompagnement des agents en vue de leur reclassement », même si, après une phase de négociation sociale au cours de l’année 2012, les salariés ou anciens salariés de l’AGESDM n’ont plus bénéficié d’un quelconque soutien du département depuis le début de l’année 2013. Au surplus, il y a lieu de constater, comme l’ont fait les premiers juges, que le département ne s’étant jamais expliqué sur la manière dont est désormais assurée la gestion de ses équipements sportifs à la suite de la disparition de l’association gestionnaire, que l’activité de gestion des équipements sportifs départementaux s’est dans une large mesure poursuivie avec les moyens dudit département.

7. L’AGESDM, compte tenu des circonstances de sa création, des modalités de son organisation et de son fonctionnement, de l’origine de ses ressources, du contrôle exercé sur elle par la collectivité départementale puis par le département ainsi que de l’influence des représentants de la collectivité publique en son sein, doit être regardée comme une association transparente

8. La collectivité départementale, puis le département de Mayotte ayant ainsi assuré de manière continue la direction effective de cette association la responsabilité de cette collectivité peut être engagée à raison des fautes commises dans la gestion de l’association ou de son personnel.

9. Eu égard au caractère transparent de l’association, au fait que sa disparition et l’anéantissement des emplois de celle-ci sont la conséquence directe de la suppression des subventions départementales, et à l’insuffisance, voire à l’inexistence, des diligences accomplies par le département de Mayotte en vue du reclassement des salariés, M. A==, qui était salarié de l’association depuis 1993 et n’a plus perçu de salaires depuis avril 2012 alors que la liquidation de l’association n’est intervenue que le 30 avril 2013, est fondé à imputer un comportement fautif à cette collectivité.

10. Il résulte de ce qui précède que le département de Mayotte n’est pas fondé à soutenir, par la voie de l’appel principal, que c’est à tort que le tribunal administratif de Mayotte a retenu le principe de sa responsabilité dans la liquidation de l’association.

Sur les préjudices :

11. Il résulte de l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis du 12 novembre 2013, dont il n’a pas été fait appel, que cette juridiction a fixé la créance salariale de M. A== à la liquidation judiciaire de l’association aux sommes de 18 646,29 euros à titre de rappels de salaires, 9 259,98 euros à titre d’indemnité de licenciement, 3 086,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 308,66 euros au titre des congés payés y afférents et 1 543,33 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, soit au total 32 844,92 euros. Les premiers juges ont considéré qu’il résultait de l’instruction que M. A== n’avait aucune chance de percevoir la somme correspondant à cette créance salariale enregistrée au passif de l’association, n’avait disposé d’aucune indemnisation par ailleurs et était demeurée sans emploi pendant une longue période. En se bornant à faire valoir, sans autrement étayer son moyen, que M. A== n’établit pas ne pas avoir été indemnisé ou n’avoir perçu, pendant la période concernée, aucun autre revenu versé par un autre employeur ou au titre de l’assurance-chômage, le département de Mayotte ne conteste pas utilement la motivation ainsi retenue par les premiers juges, non plus d’ailleurs que les montants retenus par la cour d’appel, qu’il y a ainsi lieu de tenir pour établis. En revanche, ne peuvent être mises à la charge du département, au titre du passif de l’association, des sommes qui correspondraient à une perte de chance de pouvoir travailler jusqu’à l’âge de la retraite et de pouvoir bénéficier d’une pension de retraite plus élevée. Dans ces conditions, il y a lieu de porter la somme de 20 000 euros alloué par le tribunal administratif à M. A== à la somme de 32 844,92 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que l’appel incident formé par M. A==, tendant à la réévaluation de la somme que lui ont allouée les premiers juges, doit être accueilli à hauteur de 32 844,92 euros.

Sur la requête n° 15BX02139 à fin de sursis à exécution:

13. Le présent arrêt statue sur l’appel du département de Mayotte tendant à l’annulation du jugement attaqué. Par suite, il n’y a pas lieu de statuer sur son recours tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du même jugement.

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de M. A==, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le département de Mayotte sur ce fondement. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge du département une somme de 1 500 euros que demande M. A== sur ce même fondement, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la part contributive de l’Etat.

DECIDE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête n° 15BX02139.

Article 2 : La requête n° 15BX01976 présentée par le département de Mayotte est rejetée.

Article 3 : La somme que le tribunal administratif de Mayotte a allouée à M. A== est portée de 20 000 à 32 844,92 euros.

Article 4 : L’article 1er du jugement n° 1400160 du 2 avril 2015 du tribunal administratif de Mayotte est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 3 ci-dessus.

Article 5 : Le département de Mayotte versera la somme de 1 500 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à M. A==, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la part contributive de l’Etat.