Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A== A== A== a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté du 21 mars 2016, par lequel le préfet du Gers a décidé sa remise aux autorités italiennes responsables de l’examen de sa demande d’asile.

Par un jugement n° 1600769 du 3 mai 2016, le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juin 2016, M. A== A==, représenté par Me Pather, avocat, demande à la cour :

1°) de renvoyer devant la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle d’interprétation de l’application des dispositions de l’article 29 du règlement 603/2013 afin de déterminer si ces dispositions impliquent que l’Etat membre qui prend une décision de transfert doit vérifier que l’Etat membre ayant donné son accord pour traiter la demande d’asile a délivré les informations prévues par lesdites dispositions ;

2°) d'annuler le jugement du 3 mai 2016 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 21 mars 2016 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Considérant ce qui suit :

1. M. A== A==, né le 10 décembre 1992, de nationalité soudanaise, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 5 juillet 2015. Venu de Calais, il a été pris en charge à Auch, au début du mois de janvier 2016, par l’association REGAR et a alors déposé une demande d’asile. Par arrêté du 21 mars 2016, le préfet du Gers a décidé de le remettre aux autorités italiennes, qu’il a estimées responsables de l’examen de sa demande d’asile. M. A== A== relève appel du jugement du 3 mai 2016 par lequel le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l’article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. » Il résulte de ces dispositions que le demandeur d’asile auquel l’administration entend en faire application doit se voir communiquer les principaux éléments de la décision dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. L’exigence de traduction éventuellement nécessaire constitue non une simple mesure d’exécution mais une garantie essentielle de la procédure conduisant à lui donner tous ses effets. Par suite, le défaut de cette garantie est de nature à affecter la légalité de la décision de transfert.

3. M. A== A== a soutenu, devant le tribunal administratif de Pau, qu’il n’avait pas été informé des éléments essentiels de la décision contestée dans une langue qu’il est susceptible de comprendre. Faute d’avoir répondu à ce moyen, qui n’était pas inopérant, le tribunal administratif de Pau a entaché son jugement du 3 mai 2016 d’irrégularité, lequel doit être annulé.

4. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A== A== devant le tribunal administratif de Pau.

Sur la légalité externe :

 5. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le demandeur d’asile auquel l’administration entend en faire application doit se voir communiquer les principaux éléments de la décision dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. L’article L. 111-8 du même code dispose : « Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ».

6. Il ressort du formulaire de notification des principaux éléments de la décision contestée que M. A== A== a bénéficié de l’assistance téléphonique d’un interprète lors de la notification de la décision, ce qu’il ne conteste pas. Il ne conteste pas davantage les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette assistance. Dans ces circonstances, le moyen tiré de la méconnaissance de cette garantie procédurale doit être écarté.

7. L’arrêté vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sur lesquels le préfet s’est fondé. La seule absence de visa du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil, en date du 26 juin 2013, relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales ne permet pas de caractériser, au regard de l’objet de la décision de transfert contestée, une insuffisance de motivation en droit. L’arrêté relève que M. A== A== est entré irrégulièrement en France le 25 juillet 2015, que l’Italie, responsable de la demande d’asile de l’intéressé, a accepté le 25 février 2016 de le reprendre en charge, en application du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013, qu’il ne relève pas des dérogations prévues aux articles 17.1 ou 17.2 de ce règlement, qu’il ne peut se prévaloir d’une vie privée et familiale stable en France et n’établit pas être dans l’impossibilité de retourner en Italie. Ainsi, même si le préfet n’a pas fait état de la prise de ses empreintes, il a suffisamment motivé l’arrêté contesté en droit et en fait.

7. Aux termes de l’article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : « 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées.». Aux termes de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : « 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, (…) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend (…)».

8. D’une part, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu d’entretien du 27 janvier 2016 établi à Toulouse et signé par M. A== A==, que, lors de cet entretien, il était assisté d’une interprète et a reconnu que le guide du demandeur d’asile et l’information sur les règlements communautaires lui ont été remis et que le préfet de la Haute-Garonne lui a remis le 15 janvier 2016, dans sa langue maternelle, la brochure d’information sur le règlement Dublin contenant une information générale sur la demande d’asile et le relevé d’empreintes (guide A). Dès que le préfet a été informé que M. A== A== était susceptible d’entrer dans le champ d’application de la procédure de réadmission en Italie, il lui a été remis la brochure d’information pour les demandeurs d’asile dans le cadre de la procédure Dublin (guide B). Ces brochures comportent l’ensemble des informations, relatives au relevé des empreintes digitales, requises par les dispositions de l’article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme manquant en fait. D’autre part, l’article 29 précité du règlement n’exige pas que les autorités de l’Etat qui envisage de transférer un étranger demandeur d’asile vers l'Etat qu’il estime responsable de cet examen vérifient le respect, par cet Etat, à l’égard de la personne concernée, des garanties prévues par ces dispositions. Le requérant n’invoque aucune autre disposition ni aucun principe permettant d’estimer qu’une telle obligation incomberait à l’Etat qui envisage une décision de transfert. Par suite, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des dispositions de l’article 29 du règlement 603/2013, le moyen tiré de la méconnaissance sur ce point de ces dispositions doit être écarté.

9. Aux termes de l’article R. 741-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque l'étranger présente sa demande auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, la personne est orientée vers l'autorité compétente. Il en est de même lorsque l'étranger a introduit directement sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans que sa demande ait été préalablement enregistrée par le préfet compétent. Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile. Pour cela, elles dispensent à leurs personnels la formation adéquate. (…) ». Ces dispositions sont inapplicables en l’espèce dès lors que M. A== A== a vu sa demande d’asile enregistrée par les services du préfet de la Haute-Garonne. Par suite, le requérant ne peut se prévaloir de la méconnaissance des dispositions précitées.

Sur la légalité interne :

10. Aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

11. M. A== A== soutient avoir été placé en détention lors de son arrivée en Italie et avoir été battu par les policiers. Si M. A== A== soutient que l’Italie présente d’importantes défaillances systémiques dans la prise en charge des demandeurs d’asile, l’Italie est un Etat membre de l’Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et il ne produit aucun élément au soutien de ses allégations de nature à renverser la présomption de respect, par l’Italie, des droits fondamentaux garantis aux demandeurs d’asile et aux réfugiés par les règles et principes de droit international et interne. Il ne ressort pas non plus des allégations imprécises, et au demeurant non étayées, de M. A== A== sur les conditions de son séjour en Italie, où il a déjà présenté une demande d’asile, que son dossier ne serait pas traité par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile et des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A== A== n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 21 mars 2016, par lequel le préfet du Gers a décidé sa remise aux autorités italiennes. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600769 du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A== A== devant le tribunal administratif de Pau et le surplus de ses conclusions présentées devant la cour administrative de Bordeaux sont rejetés.