Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la région Limousin a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société Blanchon, la société Axa France Iard, M. Philippe Villeneuve, la société Chausson matériaux et la société Terreal à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros en réparation des désordres affectant la toiture de l'église Notre-Dame, située sur le territoire de la commune de Saint-Quentin-la-Chabanne, avec actualisation sur la base de l’indice BT 01 du coût de la construction, intérêts de retard et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a notamment condamné in solidum la société Blanchon et M. Villeneuve à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 et capitalisation des intérêts au 24 août 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date et rejeté les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2016, et un mémoire complémentaire, enregistré le 17 octobre 2017, M. Philippe Villeneuve, représenté par Me Raynal, demande à la cour :

1°) à titre principal, d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 novembre 2015 en tant qu’il l’a condamné à verser à l’Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 ;

2°) de rejeter la demande de l’Etat dirigée à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner les sociétés Blanchon, Axa France Iard, Terreal et Chausson Matériaux à le relever et le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

4°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Quentin La Chabanne (Creuse) est propriétaire d’une église classée monument historique par arrêté du 21 décembre 1914. Des travaux de restauration extérieure de l’église ont été réalisés sous la maîtrise d’ouvrage de l’Etat, en vertu d’une convention passée entre ce dernier et la commune. La maîtrise d’œuvre a été confiée à M. Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques. Les travaux de charpente, couverture, paratonnerre et menuiserie ont été attribués à l’entreprise Blanchon par un marché conclu le 28 février 2002. Pour l'exécution de ces travaux, la société Blanchon a posé les tuiles qu'elle avait acquises auprès de la société Melin Trialis matériaux, laquelle les avait achetées à leur fabricant, la société Terreal. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 30 septembre 2006. En mars 2009, la commune de Saint-Quentin La Chabanne a constaté la détérioration des tuiles posées sur le versant nord du toit de l’église et a alerté la direction régionale des affaires culturelles du Limousin. Sur demande de la société Blanchon, un expert a été missionné par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges du 17 mars 2010 aux fins notamment de déterminer l’imputabilité des désordres, le coût de la remise en état et les préjudices subis. A la suite du dépôt du rapport de l’expert, l’Etat a recherché le 24 avril 2013 devant le tribunal administratif de Limoges, la responsabilité de la société Blanchon, de son assureur la société Axa France Iard, de M. Villeneuve, de la société Chausson matériaux, venant aux droits de la société Melin Trialis matériaux, et de la société Terreal sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs. Par un jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a notamment condamné in solidum la société Blanchon et M. Villeneuve à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 et capitalisation des intérêts au 24 août 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, mis à leur charge les frais de l’expertise, et rejeté les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa France Iard, assureur de la société Blanchon, la société Chausson Matériaux et la société Terreal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. M. Villeneuve relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité du mémoire en défense du préfet de la région Limousin :

2. Aux termes de l’article R. 811-10 du code de justice administrative : « Devant la cour administrative d’appel, l’Etat est dispensé de ministère d’avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d’appel les mémoires et observations produits au nom de l’Etat ». En l’absence de dispositions contraires, l’Etat ne peut être représenté en l’espèce que par le ministre intéressé.

3. En l’absence d’appropriation par le ministre de la culture du mémoire en défense produit par le préfet de la région Limousin, il y a lieu de ne se prononcer que sur les conclusions du ministre.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Aux termes de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1913 susvisée, dans sa rédaction applicable au marché en litige : « L'immeuble classé ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si l'autorité compétente n'y a donné son consentement. L'autorité compétente est le préfet de région, à moins que le ministre chargé de la culture n'ait décidé d'évoquer le dossier. Les travaux autorisés en application du précédent alinéa s'exécutent sous la surveillance de l'administration des affaires culturelles. Le ministre chargé des affaires culturelles peut toujours faire exécuter par les soins de son administration et aux frais de l'Etat, avec le concours éventuel des intéressés, les travaux de réparation ou d'entretien qui sont jugés indispensables à la conservation des monuments classés n'appartenant pas à l'Etat. L'Etat peut, par voie de convention, confier le soin de faire exécuter ces travaux au propriétaire ou à l'affectataire ».

5 Si l'Etat, qui assume au nom et pour le compte de la commune, la direction et la responsabilité des travaux a qualité pour mettre en cause la responsabilité contractuelle des entrepreneurs et des architectes jusqu'à la réception définitive, la commune, propriétaire des ouvrages, a seule qualité, après cette réception, pour invoquer la garantie décennale qui pèse sur les constructeurs en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil.

6. Il résulte de l’instruction que par conventions en date des 30 mars 2000, 27 mai 2002 et 31 mars 2003, la commune, propriétaire de l’église, et l’Etat ont convenu que celui-ci assurerait la maîtrise d’ouvrage des travaux de rénovation de l’église Notre-Dame. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 30 septembre 2006, mettant fin à la mission de l’Etat, en l’absence de toute clause confiant à celui-ci le suivi décennal des ouvrages. Ainsi, l’Etat n’avait pas qualité pour intenter contre les constructeurs une action en garantie décennale. La demande de l’Etat présentée le 24 août 2013 devant le tribunal administratif de Limoges sur ce fondement était donc irrecevable.

7. Si la commune de Saint-Quentin La Chabanne intervient à l’appui de la requête de l’Etat, cette requête est, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, irrecevable. L’intervention n’est en conséquence pas recevable. Si elle entend, par son mémoire en intervention présenté devant la cour le 28 juillet 2017, s’approprier la démarche de l’Etat, elle ne peut toutefois régulariser l’action en garantie décennale pour la première fois en appel.

8. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le jugement du tribunal administratif de Limoges a accueilli la demande en condamnant M. Villeneuve à indemniser l’Etat. Il y a lieu de l’annuler et de rejeter comme irrecevable la demande de l’Etat sur le fondement de la garantie décennale.

9. La situation de la société Blanchon se trouvant aggravée du fait du rejet des conclusions indemnitaires de l’Etat dirigées contre M. Villeneuve, son appel provoqué est recevable. Il résulte de ce qui précède que la demande d’engagement de la garantie décennale par l’Etat, qui n’est pas propriétaire de l’église, est irrecevable. Par suite, la société Blanchon est fondée à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu’il l’a condamnée à indemniser l’Etat sur ce fondement.

10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres conclusions indemnitaires présentées par l’Etat devant le tribunal administratif.

11. Si l’Etat sollicite à titre subsidiaire que M. Villeneuve soit condamné sur le fondement de sa responsabilité contractuelle à son égard, il n’établit pas que le décompte définitif du marché de maîtrise d’œuvre n’ait pas été établi, et ne justifie pas davantage que le défaut des tuiles aurait été identifiable par l’architecte des bâtiments de France lors de la réception, engageant sa responsabilité pour défaut de conseil. Il n’établit pas davantage la méconnaissance par la société Blanchon de son obligation de conseil au titre des choix des matériaux et des prescriptions d’entretien. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les dépens :

12. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative « Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ».



13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce et en application de l’article R. 761 1 du code de justice administrative, de mettre les frais de l’expertise, liquidés et taxés à la somme de 5 370,20 euros, à la charge de l’Etat.

Sur les frais exposés à l’occasion du litige :

14. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a lieu de faire droit à aucune des conclusions des parties présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L’intervention de la commune de Saint-Quentin La Chabanne n’est pas admise en tant qu’elle vient au soutien de l’Etat.

Article 2 : Les articles 2, 4, 5, 7, 8, 9 et 10 du jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015 du tribunal administratif de Limoges sont annulés.

Article 3 : La demande de l’Etat est rejetée.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Saint-Quentin La Chabanne tendant à la condamnation des constructeurs sont rejetées.

Article 5 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 5 370,20 euros sont mis à la charge de l’Etat.

Article 6 : Les conclusions présentées par M. Villeneuve, les sociétés Blanchon, Axa France Iard, Terreal et Chausson Matériaux sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.