Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Travaux Publics Contrôle des Réseaux et Bâtiment (TPCRB) a demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler le marché conclu par le syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (SIAEP) de la région d’Ahun avec la société Sogea sud-ouest hydraulique pour la réalisation des 84ème et 85ème tranches des travaux d’alimentation en eau potable, de condamner le SIAEP de la région d’Ahun à lui verser, dans le dernier état de ses écritures, la somme de 40 504,52 euros en réparation des préjudices résultant du rejet de son offre et de mettre à la charge du SIAEP de la région d’Ahun la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1200442 du 23 septembre 2014, le tribunal administratif de Limoges a annulé le contrat passé par le SIAEP de la région d’Ahun avec la société Sogea sud-ouest hydraulique et condamné le SIAEP à verser la somme de 40 504,52 euros à la société TPCRB en réparation des préjudices ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 novembre 2014, le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région d'Ahun, représenté par Me Plas demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 23 septembre 2014 ;

2°) de rejeter la demande de la société TPCRB devant le tribunal administratif de Limoges ;

3°) de mettre à la charge de la société TPCRB la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’une procédure adaptée, le syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (SIAEP) de la région d’Ahun a, le 23 février 2012, attribué le marché public des travaux des 84ème et 85ème tranches des travaux d’alimentation en eau potable à la société Sogea sud-ouest hydraulique. Saisi par la société Travaux Publics de Contrôle des Réseaux et Bâtiment (TPCRB), qui s’était portée candidate à l’attribution de ce marché, le tribunal administratif de Limoges a annulé ce marché et condamné le SIAEP de la région d’Ahun à verser 40 504,52 euros à la société TPCRB. Le SIAEP relève appel de ce jugement.

Sur la validité du contrat :

2. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En outre, si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en œuvre dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres.

3. Aux termes des dispositions du II de l’article 50 du code des marchés publics : « Pour les marchés passés selon une procédure adaptée, lorsque le pouvoir adjudicateur se fonde sur plusieurs critères pour attribuer le marché, les candidats peuvent proposer des variantes sauf si le pouvoir adjudicateur a mentionné dans les documents de la consultation qu’il s’oppose à l’exercice de cette faculté. Le pouvoir adjudicateur peut mentionner dans les documents de la consultation les exigences minimales ainsi que les modalités de leur présentation. Dans ce cas, seules les variantes répondant à ces exigences minimales sont prises en considération. Toutefois, la mention des exigences minimales et des modalités de leur présentation peut être succincte. ». Il résulte des dispositions du III de cet article, dans sa rédaction issue du décret du 25 août 2011 susvisé, applicable au marché en cause, qu’un candidat à l’attribution d’un marché pour lequel le pouvoir adjudicateur ne s’est pas opposé à la présentation de variante, peut proposer une variante alors même qu’il n’aurait pas présenté d’offre de base. Aux termes du I de l'article 53 du code des marchés publics : « I.-Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l'environnement, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d'exécution, la sécurité d'approvisionnement, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ; / 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. ».




4. Il ressort des termes mêmes de l'article 2.4 du règlement du marché que le SIAEP de la région d'Ahun ne s'est pas opposé à l'exercice par les candidats de la possibilité qui leur est ouverte par les dispositions susmentionnées de l'article 50 du code des marchés publics de proposer des variantes à l'offre de base. Dès lors que la possibilité de présenter des variantes a été ainsi ouverte aux candidats potentiels, le SIAEP de la région d'Ahun était tenu de mettre en œuvre les mêmes critères, et le cas échéant sous-critères, à l'égard des offres de base et des variantes. Le règlement de la consultation prévoit que le jugement des offres sera effectué selon les critères de prix et de valeur technique pondérés respectivement à 60 % et 40 %, le critère de valeur technique étant lui-même décomposé en cinq sous-critères, dont un sous-critère affecté de 10 points dédié aux qualités des fournitures proposées. Il résulte du rapport d'analyse des offres que les offres de base ont été examinées et classées en fonction de ces deux critères de prix et de valeur technique et de ces cinq sous-critères. Pour noter le sous-critère « fournitures proposées », la méthode de notation, qui n'avait pas à être portée à la connaissance préalable des candidats, a tenu compte à hauteur de 4 points de la nature des canalisations et vannes. Dans ces conditions, l'indication dans le rapport d'analyses des offres que « le SIAEP décide de retenir la solution variante des conduites en fonte BLUTOP plutôt qu'en PVC (meilleure résistance mécanique, durée de vie plus élevée) » ne révèle pas la mise en œuvre d'un critère de solidité et de durabilité, distinct de ceux énoncés dans les documents de la consultation, mais expose les caractéristiques des offres variantes dont il a été tenu compte pour noter le sous-critère « fournitures proposées » en fonction de la nature des canalisations et des vannes. Par suite, le SIAEP de la région d'Ahun est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges, pour annuler le marché en cause, s'est fondé sur la méconnaissance des règles de transparence régissant la mise en concurrence et l'égalité entre les candidats résultant de la mise en œuvre d'un critère distinct de ceux portés à la connaissance de ces derniers par les documents de la consultation.

5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société TPCRB devant le tribunal administratif et devant la cour.

6. Pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse en cas de variantes, il appartient au pouvoir adjudicateur, en application des dispositions du II de l’article 50 et du I de l’article 53 du code des marchés publics citées au point 3, soit de classer l'ensemble des offres qu'elles soient de base ou variantes et d'en retenir l'offre la mieux classée au vu de ce classement, soit, après avoir classé séparément les offres de base et les offres variantes, de retenir l'offre la mieux classée entre la première des offres de base et la première des offres variables.

7. Il ressort du rapport d'analyse des offres qu'après avoir examiné toutes les offres au regard des mêmes critères et opéré leur classement en distinguant les offres de base d'une part et les offres variantes d'autre part, le SIAEP de la région d'Ahun a retenu comme étant l'offre économiquement la plus avantageuse celle des offres variantes qui avait reçu la meilleure note globale alors même que cette note était inférieure à la note attribuée à la meilleure offre de base. En écartant ainsi l’offre de base la mieux classée et en retenant l'offre variante de la société Sogea sud-ouest hydraulique comme étant l'offre économiquement la plus avantageuse, le SIAEP de la région d'Ahun a méconnu les dispositions précitées du I de l'article 53 du code des marchés publics.

8. Il résulte de ce qui précède que le SIAEP de la région d'Ahun n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Limoges a estimé que la procédure de passation du marché attaqué était entachée d'une irrégularité.

Sur les conséquences de l'illégalité du marché :

9. En retenant l'offre variante de la société Sogea sud-ouest hydraulique qui, pour les motifs exposés au point 7, n'était pas l'offre économiquement la plus avantageuse, le SIAEP a entaché le contrat conclu avec cette société d'une irrégularité qui a trait au choix de son cocontractant. Toutefois le choix de la société Sogea sud-ouest hydraulique résulte de la décision du SIAEP, alors même que les offres de base de la société TPCRB et de la société Sogea sud-ouest hydraulique étaient plus avantageuses, de privilégier les offres variantes présentées par ces deux sociétés, identiques techniquement en les départageant alors par application des critères de prix et de valeur technique prévus par le règlement de la consultation. Il ne résulte pas de l’instruction qu’en procédant de la sorte, le SIAEP de la région d’Ahun ait entendu favoriser un candidat. Dans ces conditions, le vice affectant le contrat, dont le contenu n’est pas illicite et qui n’est pas affecté d’un vice du consentement des parties, n’est pas d’une gravité telle qu’il justifie d’en prononcer l’annulation. Par suite, c’est à tort que le tribunal a annulé le contrat litigieux.

10. Il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner si, eu égard à l’irrégularité dont est affecté le contrat conclu avec la société Sogea sud-ouest hydraulique, il y a lieu soit de prononcer la résiliation du contrat ou d’en modifier certaines clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation. Il est constant que les travaux du marché ont été terminés le 6 décembre 2012 ce qui fait obstacle à ce puisse être prononcées tant la résiliation que la poursuite de l’exécution du marché.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

12. Il ressort du rapport d’analyse des offres que la note attribuée à l’offre de base de la société TPCRB est supérieure à l’ensemble des notes attribuées aux autres offres reçues et notamment à l’offre variante présentée par la société Sogea sud-ouest hydraulique. Il s’en suit que la société TPCRB avait une chance sérieuse de remporter le marché et doit de ce fait être indemnisée de son manque à gagner.

13. Pour justifier d’un manque à gagner sur le montant de son offre de base s’élevant, dans le dernier état de ses écritures, à 33 753,76 euros hors taxes, correspondant à un taux de marge de 22,54 %, la société TPCRB se borne à produire une estimation des dépenses qu’elle aurait engagées pour l’exécution de ce marché. Cette estimation, établie uniquement par le directeur de la société TPCRB, non visée par le comptable, est dépourvue de toute valeur probante. Toutefois, il résulte de l’instruction, notamment des données d’une enquête de la Banque de France sur le secteur des travaux publics, qui n’est pas sérieusement contestée, que le taux de marge nette moyen pour ce secteur s’établit à 1,5% pour la période d’exécution du contrat. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société TPCRB en le fixant à 2 670 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le SIAEP de la région d’Ahun est seulement fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé le marché conclu avec la société Sogea sud-ouest hydraulique et l’a condamné à verser à la société TPCRB la somme de 40 504,52 euros toutes taxes comprises. Il convient de ramener cette somme de celle de 2 670 euros.

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SIAEP de la région d’Ahun, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société TPCRB, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de la société TPCRB la somme demandée par le SIAEP de la région d’Ahun au même titre.

DECIDE

Article 1er : L’article 1er du jugement n° 1200442 du 23 septembre 2014 du tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : La somme de 40 504,52 euros toutes taxes comprises que le SIAEP de la région d’Ahun a été condamné à verser à la société TPCRB par l’article 2 du jugement du 23 septembre 2014 est ramenée à 2 670 euros.

Article 3 : Le jugement contesté est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du SIAEP de la région d’Ahun est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société TPCRB sur le fondement de l’article L. 761 1 du code de justice administrative sont rejetées.