Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme N== E== A== a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler la décision du 20 février 2012 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer une carte de résident.

Par un jugement n° 1204227 du 26 mars 2015, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2015, Mme E== A==, représentée par Me Tercero, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 26 mars 2015 ;

2°) d’annuler la décision du 20 février 2012 du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une carte de résident dès la notification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.


Considérant ce qui suit :

1. Mme E== A==, ressortissante marocaine, est entrée en France le 1er janvier 1995 sous le couvert d’un passeport revêtu d’un visa de court séjour et elle y réside régulièrement depuis cette date. En 2009, elle s’est vue délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié ». Elle a sollicité, le 17 janvier 2012, la délivrance d’une carte de résident sur le fondement des dispositions de l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par une décision du 20 février 2012, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande. Mme E== A== relève appel du jugement du 26 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.

2. D’une part, aux termes de l’article L. 111-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives aux titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers et aux conditions de délivrance de ces titres s’appliquent sous réserve des conventions internationales ». En vertu de l’article 3 de l’accord franco-marocain susvisé : « (…) Après trois ans de séjour continu en France, les ressortissants marocains visés à l’alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d’exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d’existence. ».

3. D’autre part, l’article 5 de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003, qui fixe les « conditions relatives à l’acquisition du statut de résident de longue durée », précise que : « Les Etats membres exigent du ressortissant d’un Etat tiers de fournir la preuve qu’il dispose pour lui et les membres de sa famille qui sont à sa charge : a) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’Etat membre concerné. (…) ». En vertu de l’article L.314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Tout étranger qui justifie d’une résidence ininterrompue d’au moins cinq années en France, conforme aux lois et règlements en vigueur, sous couvert de l’une des cartes de séjour mentionnées aux articles L.313-6, L. 313-8 et L. 313-9, aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 313-10, aux articles L. 313-11, L. 313-11-1, L. 313-14 et L. 314-9, aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l’article L. 314-11 et aux articles L. 314-12 et L. 351-1 peut obtenir une carte de résident portant la mention « résident de longue durée-CE » s’il dispose d’une assurance maladie. (…) La décision d’accorder ou de refuser cette carte est prise en tenant compte des faits qu’il peut invoquer à l’appui de son intention de s’établir durablement en France, notamment au regard des conditions de son activité professionnelle s’il en a une, et de ses moyens d’existence. Les moyens d’existence du demandeur sont appréciés au regard de ses ressources qui doivent être stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues aux articles L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles et L. 351- 9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance et sont appréciées au regard des conditions de logement (...) ».

4. Ces dispositions doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 25 novembre 2003, dont elles assurent la transposition et qui visent à permettre la délivrance d’un titre de séjour de longue durée, valable dans l’ensemble du territoire de l’Union, aux ressortissants de pays tiers résidant dans un Etat membre et remplissant certaines conditions, dont celle de disposer de ressources suffisantes pour ne pas être à la charge de l’Etat, ainsi qu’à uniformiser la définition des ressources prises en compte à cette fin. Il résulte des dispositions de l’article 5 de la directive qu’elles ne permettent aux Etats membres de ne prendre en compte que les ressources propres du demandeur, sans y adjoindre les prestations dont il peut bénéficier au titre de l’aide sociale. Les dispositions de l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doivent dès lors être interprétées comme excluant la prise en compte non seulement des prestations qu’elles mentionnent mais également des autres prestations d’aide sociale, notamment l’allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée aux articles L. 815-1 et suivants du code de la sécurité sociale et l’allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 et suivants du même code.

5. En premier lieu, pour refuser de délivrer à Mme E== A== la carte de résident portant la mention « résident de longue durée-CE », le préfet de la Haute-Garonne a estimé qu’elle ne disposait pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins. Il ressort des pièces du dossier, et n’est d’ailleurs pas contesté par Mme E== A== que celle-ci était sans emploi à la date de la décision contestée et ne percevait que des allocations de chômage, lesquelles, ainsi qu’il résulte de l’article L. 314-8 précité, sont exclues du calcul des ressources du demandeur. Par suite, Mme E== A== n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

6. En deuxième lieu, Mme E== A== soutient que, dès lors que son handicap fait obstacle à ce qu’elle puisse travailler et à ce qu’elle puisse ainsi percevoir un salaire équivalant au salaire minimum de croissance, la décision lui refusant la délivrance d’une carte de résident constitue une discrimination prohibée par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales combiné avec l’article 8 de la même convention. Toutefois, dès lors que la requérante est titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », le simple refus de lui délivrer la carte de résident prévue par l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peut, par lui-même, être regardé comme portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaît les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté.

7. En troisième lieu, la requérante soutient que l’article 5 de la directive du 25 novembre 2003, transposé en droit français par l’article L. 314-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précité, méconnaît le principe de non-discrimination posé par les articles 21 et 26 de la charte européenne des droits fondamentaux, les alinéas 3 et 5 de la même directive ainsi que la résolution 2008/C75/01 du Conseil du 17 mars 2008.

8. Il appartient au juge administratif, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance par une directive des stipulations de la charte européenne des droits fondamentaux, de rechercher si la directive est compatible avec les droits fondamentaux garantis par ces stipulations. Il lui revient, en l’absence de difficulté sérieuse, d’écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

9. Selon l’article 21 de la charte européenne des droits fondamentaux : « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. / 2. Dans le domaine d'application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l'Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. ». L’article 26 de cette même charte stipule : « L'Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. ». En vertu du point 3 de la directive du 25 novembre 2003 : « La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes, qui sont reconnus notamment par la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. ». Enfin, selon le point 5 de cette directive : « Les États membres devraient mettre en œuvre les dispositions de la présente directive sans faire de discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. ».

10. Il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le principe de non-discrimination s’oppose non seulement à l’application de dispositions établissant des discriminations directement fondées sur le handicap mais également aux dispositions engendrant des discriminations indirectes. Implique une discrimination indirecte l’application d’une mesure qui, bien que neutre en apparence, est susceptible de désavantager en fait certaines personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette mesure ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

11. La condition, prévue à l’article 5 précité de la directive du 25 novembre 2003, tenant à ce que, pour bénéficier du statut de résident de longue durée, le ressortissant d’un pays tiers dispose de ressources propres stables et suffisantes, implique seulement que ce ressortissant dispose de telles ressources, indépendamment de la provenance de celles-ci, et ne crée donc pas une discrimination directe fondée sur le handicap. S’il est exact que cette condition de ressources est susceptible de désavantager les personnes handicapées, créant ainsi à leur détriment une différence de traitement indirecte, celle-ci est objectivement justifiée par un objectif légitime consistant à subordonner la reconnaissance de ce statut de résident de longue durée à une condition propre à garantir que le ressortissant d’un pays tiers qui en bénéficie ne soit pas à la charge d’un Etat membre, et est nécessaire à cet effet. Par suite, l’article 5 de la directive, que transpose l’article L. 314-8, n’est pas incompatible avec les articles 21 et 26 de la charte européenne des droits fondamentaux. Enfin, Mme E== A== ne peut utilement se prévaloir de la résolution 2008/C75/01 du Conseil adressant des recommandations générales à la Commission et aux Etats membres concernant la situation des personnes handicapées dans l’Union européenne. Par suite, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen susvisé doit être écarté.

12. En dernier lieu, si la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) reconnaît à cet organisme la possibilité de formuler des recommandations tendant à remédier à toute pratique qu’il estime discriminatoire, ces recommandations n’ont pas de force contraignante. Ainsi, Mme E== A== ne saurait utilement se prévaloir, à l’encontre de la décision en litige, d’une délibération de la HALDE du 28 mars 2011.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E== A== n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d’injonction sous astreinte et celles tendant à l’application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E== A== est rejetée.