Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau de condamner, sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, la société Ryanair Ltd à lui verser une provision de 601 582,64 euros, et la société Ryanair Ltd avec et la société Airport Marketing Services (AMS) Ltd solidairement à lui verser la somme de 2 236 627,85 euros.

Par une ordonnance n° 1500238 du 19 mai 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 1er juin 2015, le 12 juin 2015, le 22 juin 1915 et le 31 juillet 2015, la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn, représentée par Me Karpenschif, demande à la cour :

1°) d’annuler l’ordonnance n°1500238 du 19 mai 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Pau ;

2°) de condamner sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative la société Ryanair Ltd à lui verser la somme de 601 582,64 euros et la société Ryanair Ltd et la société AMS Ltd, solidairement, à lui verser la somme de 2 236 627,85 euros ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ».

2. Par une décision en date du 23 juillet 2014, la Commission européenne a estimé que la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn avait accordé à la société Ryanair Ltd et à la société AMS Ltd, dans le cadre de contrats de services aéroportuaires et de services marketing, des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur. La Commission a par conséquent prescrit la récupération immédiate et effective des aides déjà versées par les autorités françaises. A cette fin, et en application de l’article R. 712-8-1 du code de commerce, la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn a émis le 6 octobre 2014 deux avis de paiement avec mise en demeure de payer, avant l’établissement par la Trésorerie générale pour l’étranger de deux titres de recettes du 3 décembre 2014 se référant expressément à la décision de la Commission et accompagnés de documents précisant le calcul des sommes réclamées.

3. La chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn, sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, a saisi le 26 janvier 2015 le juge des référés du tribunal administratif de Pau en vue d’obtenir la condamnation de la société Ryanair Ltd à lui verser une provision de 601 582,64 euros et la condamnation de cette société, solidairement avec la société AMS Ltd, à lui verser une provision de 2 236 627,85 euros. Par une ordonnance du 19 mai 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté cette requête comme irrecevable, dès lors que l’opposition à l’exécution des titres de recettes formée par les sociétés, devant l’administration puis devant le tribunal administratif qui a été saisi le 4 mai 2015 de la décision de rejet de leur réclamation, entraînait la suspension du recouvrement de la créance en vertu de l’article 117 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012. La chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn fait appel de cette ordonnance. La Commission européenne a demandé à intervenir à l’instance en vertu de l’article 23 bis, paragraphe 2, du règlement du 22 mars 1999 susvisé.



Sur l’intervention de la Commission européenne :

4. Aux termes de l’article 23 bis du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 issu du règlement (UE) n° 743/2013 du Conseil du 22 juillet 2013 : « (…) 2. Lorsque l’application cohérente de l’article 107, paragraphe 1, ou de l’article 108 du TFUE l’exige, la Commission, agissant de sa propre initiative, peut soumettre des observations écrites aux juridictions des États membres responsables de l’application des règles en matière d’aides d’État. Avec l’autorisation de la juridiction concernée, elle peut aussi présenter des observations orales. / Avant de présenter formellement ses observations, la Commission informe l’État membre concerné de son intention de le faire. / Aux seules fins de l’élaboration de ses observations, la Commission peut demander à la juridiction compétente de l’État membre de transmettre tout document à disposition de la juridiction qui serait nécessaire à la Commission pour l’appréciation de l’affaire.» En vertu de ces dispositions, la Commission européenne, qui recherche l’exécution complète de sa décision du 23 juillet 2014 concernant l’aide d’Etat SA.22614 (C53/207) dont elle a ordonné la récupération immédiate et effective par les autorités françaises, est admise à présenter des observations.

Sur les conclusions des sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd à fin de non-lieu :

5. Il est constant qu’à la date de la clôture de l’instruction, les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd n’ont pas versé à la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn les sommes réclamées par cette dernière sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative. Ainsi, quand bien même les sociétés déclarent, à la veille de l’audience, s’engager à les payer, la requête n’est pas dépourvue d’objet à la date du présent arrêt. Il y a lieu, dès lors, d’y statuer.

Sur la régularité de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif : 6. L’article 14 du règlement du Conseil n°659/1999 du 22 mars 1999 dispose : « 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée «décision de récupération»). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire. 2. L'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération. 3. Sans préjudice d'une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l'article 185 du traité, la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire. ».

7. Ainsi que l’a jugé la Cour de justice des Communautés européennes, notamment dans ses arrêts du 21 septembre 1983 Deutsche Milchkontor et autres (aff. C-205/82 à 215/82) et du 13 mars 2008 Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening (aff. C-383/06), en l’absence de disposition communautaire, les modalités de récupération d'une aide indûment versée sont soumises aux règles de droit national, sous réserve que l'application de ces règles se fasse de façon non discriminatoire au regard des procédures visant à trancher des litiges nationaux du même type et qu’elle ne porte pas atteinte à l'application et à l'efficacité du droit communautaire ou n'ait pas pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la récupération des sommes octroyées. Le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale exclue la répétition d’une aide indûment versée en prenant en compte des critères tels que la protection de la confiance légitime, la disparition de l’enrichissement sans cause ou l’écoulement d’un délai. Il appartient en tout état de cause au juge national d’apprécier si, pour le règlement du litige qui lui est soumis, la règle de droit national doit être écartée ou interprétée, afin que la pleine efficacité du droit de l’Union européenne soit assurée.

8. Selon les dispositions précitées du règlement (CE) n° 659/1999, l’Etat membre destinataire d’une décision de la Commission l’obligeant à récupérer des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur est tenu, en vertu de cet article, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de la décision, y compris les mesures provisoires. Or, il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 5 octobre 2006, Commission/France (aff. C-232/05, points 51 et 53) que la procédure prévue par le droit français qui, en vertu de l’article 117 du décret du 7 novembre 2012, prévoit l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception émis pour la récupération d’une aide, peut considérablement retarder la récupération d’une aide incompatible avec le marché intérieur, et fait ainsi obstacle à l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission prescrivant cette récupération, en contradiction avec l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

9. Par ailleurs, en raison de son automaticité, l’effet suspensif prévu à l’article 117 du décret du 7 novembre 2012, qui bénéficie à l’opérateur auquel incombe le reversement de l’aide, s’applique sans que le juge national saisi de l’opposition à exécution puisse apprécier si les exigences fixées par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 9 novembre 1995 Atlanta Fruchthandelsgesellschaft mbH e.a. (aff. C-465/93), en ce qui concerne la suspension de mesures nationales adoptées pour mettre en œuvre le droit européen, sont satisfaites, alors que les intérêts de l’Union, en l’espèce les exigences de la libre concurrence au sein du marché unique, commandent que l’aide déclarée illégale soit en principe récupérée sans délai, sauf exception pouvant tenir notamment à l’impossibilité absolue de récupération de l’aide ou à l’atteinte au principe de confiance légitime.

10. Enfin, quand bien-même il met en œuvre un principe général du droit, l’effet suspensif prévu à l’article 117 du décret du 7 novembre 2012 n’est pas indispensable à la garantie d’une protection juridictionnelle dès lors que cette dernière est assurée par le recours en annulation de la décision de la Commission devant le juge européen. Ce dernier a une compétence exclusive pour juger du bien-fondé de la décision de la Commission concernant la récupération de l’aide, et peut, le cas échéant, en ordonner la suspension (arrêt du 5 octobre 2006 susmentionné, points 55 à 60).

11. Il suit de là, ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne l’a jugé dans ce dernier arrêt (point 53), que l’article 117 du décret du 7 novembre 2012 doit être laissé inappliqué pour assurer l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission du 23 juillet 2014. C’est donc à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a jugé que la demande de provision de la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn était irrecevable au motif que l’introduction des requêtes en opposition aux titres exécutoires susmentionnés suspendait automatiquement le recouvrement de la créance. L’ordonnance attaquée doit, par suite, être annulée. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la chambre de commerce et d’industrie devant le tribunal administratif de Pau.

Sur la demande de provision :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir : 12. En premier lieu, la chambre de commerce et d’industrie n’est pas dotée d’un comptable public et ne peut émettre de titre exécutoire. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce qu’elle ne serait pas recevable à demander au juge administratif ce qu’elle pourrait obtenir elle-même en établissant un tel titre ne peut qu’être écartée.

13. En deuxième lieu, l’article R. 712-8-1 du code de commerce dipose : « La chambre ayant accordé une aide à une entreprise est tenue de procéder sans délai à sa récupération si une décision de la Commission européenne ou un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes l'y enjoint, à titre provisoire ou définitif. A défaut, après une mise en demeure restée sans effet dans un délai d'un mois à compter de sa notification, le préfet y procède d'office par tout moyen auprès du bénéficiaire de l'aide ». La chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn, qui est un établissement public administratif placé sous la tutelle de l’Etat, est donc compétente, en vertu de ces dispositions, pour récupérer une aide qu’elle a accordée et dont la Commission demande la récupération. Elle est donc habilitée à recourir à toutes les voies de droit qui lui sont ouvertes en droit français pour obtenir le reversement de l’aide selon les exigences du droit européen, et a donc intérêt, à cette fin, à saisir le juge d’une demande de référé provision, sans que puisse y faire obstacle la contestation des titres émis pour la récupération de l’aide, ainsi qu’il vient d’être dit.

14. Enfin, et alors au surplus que cette tolérance n’est nullement envisagée ni a fortiori imposée par la Commission ainsi que cette dernière le précise au point 39 de ses observations, la circonstance que les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd seraient prêtes à consigner les sommes réclamées sur un compte-séquestre est sans incidence sur la recevabilité de la demande de la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn.

En ce qui concerne le caractère non sérieusement contestable de l’obligation :

15. En premier lieu, les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd ont demandé au Tribunal de l’Union européenne d’annuler la décision de la Commission. Toutefois, ce recours n’est pas suspensif en vertu de l’article 278 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. De plus, il résulte de l’instruction, et il été confirmé à l’audience, que le Tribunal de l’Union européenne n’a pas été saisi d’une demande de sursis à exécution. Par suite, la décision de la Commission demeure exécutoire à la date du présent arrêt.

16. Si les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd soutiennent que les créances dont se prévaut la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn sont sérieusement contestables dans leur bien-fondé comme dans leur montant, il n’appartient pas à la cour d’apprécier le bien-fondé de la décision de la Commission sur le fondement de laquelle elles sont établies et chiffrées par les autorités françaises, ainsi qu’il vient d’être dit. Et si les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd soutiennent que le montant des provisions demandées par la chambre de commerce et d’industrie serait erroné dès lors que cette dernière se serait contentée de reprendre le montant indicatif de la Commission, elles ont toutefois disposé d’un chiffrage précis notifié avec les titres exécutoires qui a été établi par la direction générale de l’aviation civile du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et elles n’assortissent le moyen d’aucune précision susceptible de remettre en cause les estimations des aides à récupérer.

17. En deuxième lieu, les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd n’invoquent en tout état de cause aucune circonstance exceptionnelle qui leur permettrait de se prévaloir du principe de confiance légitime.

18. Enfin, les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd ne peuvent pas utilement soutenir que le versement des sommes en litige à la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn, qui intervient au cas d’espèce en qualité d’autorité nationale chargée de récupérer des aides en vertu d’une décision de la Commission, serait constitutif d’une aide versée à ladite chambre de commerce et d’industrie en qualité d’opérateur économique.



19. Il résulte de ce qui précède que la chambre de commerce et d’industrie Pau-Béarn est fondée à demander des provisions égales aux sommes en litige, qui présentent le caractère de créances non sérieusement contestables au sens des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative.

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. La chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn n’est pas la partie perdante à l’instance : les conclusions des sociétés intimées tendant au paiement des frais de procès ne peuvent donc qu’être rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire des sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : La Commission européenne est admise à présenter des observations.

Article 2 : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 19 mai 2015 est annulée.

Article 3 : La société Ryanair Ltd est condamnée à payer à la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn une provision de 601 582,64 euros, et les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ldt sont condamnées solidairement à payer à la chambre de commerce et d’industrie une provision de 2 236 627, 85 euros .

Article 4 : Les sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd verseront solidairement à la chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions des sociétés Ryanair Ltd et AMS Ltd au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.