Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. X a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les refus qui lui ont été opposés par le centre hospitalier Y de Bordeaux les 28 mai et 1er juin 2010 de lui accorder un droit de visite de son fils majeur hospitalisé dans cet établissement.

Par une ordonnance n° 1002843 du 13 octobre 2011, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un arrêt n° 12BX02532 du 11 février 2014, la présente cour a rejeté le recours formé par M. X contre cette ordonnance.

Par une décision n° 381648 du 26 juin 2015, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé l’arrêt de la cour et lui a renvoyé l’affaire.




Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2012 et des mémoires enregistrés les 28 mai 2013 et 7 août 2015, M. X, représenté par Me Maire, demande à la cour :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1002843 du 13 octobre 2011 par laquelle le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître sa demande tendant à l’annulation des décisions verbales des 28 mai et 1er juin 2010 lui refusant de rendre visite à son fils majeur hospitalisé au centre hospitalier Y de Bordeaux ;



2°) d’annuler ces décisions ;

3°) de se prononcer sur l’inscription de faux ;

4°) de rejeter les conclusions du centre hospitalier Y tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner la partie succombante aux dépens d’instance et aux frais de justice.


Considérant ce qui suit :

1. Le 21 juillet 2008, le fils majeur de M. X a été hospitalisé avec son consentement au centre hospitalier Y de Bordeaux, en secteur libre, jusqu’au 25 mai 2010. A la suite d’une agression qu’il a commise envers un membre du personnel de cet hôpital, il a été transféré dans une unité de soins fermée. Par un arrêté du 26 mai 2010, le préfet de la Gironde a ordonné son hospitalisation d’office dans ce même établissement jusqu’au 28 juin 2010 inclus. Le 11 juin 2010, l’intéressé a été transféré dans l’unité de soins intensifs en psychiatrie de Cadillac. M. X n’a pas obtenu l’autorisation de rendre visite à son fils les 28 mai et 1er juin 2010, les médecins ayant interdit les visites à ce dernier. M. X a alors demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler ces deux décisions lui interdisant de rendre visite à son fils. Par une ordonnance n° 1002843 du 13 octobre 2011, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande en considérant qu’elle ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative. La cour a confirmé cette ordonnance par un arrêt n° 12BX02532 du 11 février 2014. Par une décision n° 381648 du 26 juin 2015, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé l’affaire à la cour.

Sur la régularité de l’ordonnance attaquée : 2. Lorsque la juridiction administrative a été saisie d’un recours antérieurement à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, des dispositions de la loi du 5 juillet 2011, il lui appartient d’apprécier la régularité de la décision administrative ordonnant l’hospitalisation d’office, en application de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique, tandis que l’autorité judiciaire est seule compétente tant pour apprécier la nécessité d’une mesure d’hospitalisation d’office en hôpital psychiatrique que, lorsque la juridiction administrative s’est prononcée sur la régularité de la décision administrative d’hospitalisation, pour statuer sur l’ensemble des conséquences dommageables de cette décision, y compris celles qui découlent de son irrégularité. Toutefois, la décision par laquelle un établissement public de santé refuse à un tiers le droit de rendre visite à une personne hospitalisée sans son consentement a le caractère d’une mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle. Il s’ensuit qu’en estimant la juridiction administrative incompétente pour statuer sur la demande de M. X, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif a entaché son ordonnance d’une irrégularité qui entraîne son annulation.

3. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Sur la légalité des refus de visite contestés :

En ce qui concerne le fondement légal de ces refus :

4. Le centre hospitalier Y soutient que les décisions en litige ont été prises sur le fondement des dispositions de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique, qui étaient ainsi rédigées aux dates auxquelles ont été prises les décisions litigieuses : « Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de cette hospitalisation, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en œuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée. / Elle doit être informée dès l'admission et par la suite, à sa demande, de sa situation juridique et de ses droits. / En tout état de cause, elle dispose du droit : 1° De communiquer avec les autorités mentionnées à l'article L. 3222-4 ; 2° De saisir la commission prévue à l'article L.3222-5 ; 3° De prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix ; 4° D'émettre ou de recevoir des courriers ; 5° De consulter le règlement intérieur de l'établissement et de recevoir les explications qui s'y rapportent ; 6° D'exercer son droit de vote ; 7° De se livrer aux activités religieuses ou philosophiques de son choix. / Ces droits, à l'exception de ceux mentionnés aux 4°, 6° et 7°, peuvent être exercés à leur demande par les parents ou les personnes susceptibles d'agir dans l'intérêt du malade. ».

5. Toutefois, en refusant à une personne le droit de rendre visite à un patient qui a été hospitalisé sans son consentement, le centre hospitalier ne prend pas une mesure qui porte atteinte à la liberté individuelle de ce patient et qui serait ainsi susceptible d’entrer dans le champ de ces dispositions. Les décisions en litige ne peuvent, dès lors, trouver leur fondement légal dans ces dispositions.

6. Lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait du être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

7. En vertu de l’article R. 1112-47 du code de la santé publique : « Les visiteurs ne doivent pas troubler le repos des malades ni gêner le fonctionnement des services. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, l'expulsion du visiteur et l'interdiction de visite peuvent être décidées par le directeur. (…) Les malades peuvent demander aux cadres infirmiers du service de ne pas permettre aux personnes qu'ils désignent d'avoir accès à eux. ». 8. Ces dispositions permettent à un centre hospitalier d’opposer à un visiteur la même mesure d’interdiction de visite que celle qu’il pourrait opposer au malade sur le fondement de l’article L. 3211-3 du même code ; dès lors, compte tenu de leur objet et de leur rédaction, ces dispositions du code de la santé publique ont la même portée. Eu égard aux motifs qui fondent les décisions en litige, tirés, ainsi qu’il sera dit aux points 9 à 12, des nécessités de préserver l’état de santé du fils du requérant, le centre hospitalier aurait pris les mêmes décisions s’il s’était fondé sur les dispositions précitées de l’article R.1112-47 du code de la santé publique. Enfin, ces dispositions n’appelant l’accomplissement d’aucune formalité préalable, cette substitution de base légale ne prive M. X d’aucune garantie de forme ou de procédure. Dans ces conditions, et les parties ayant été invitées à présenter des observations sur ce point, il y a lieu de substituer ces dispositions à celles de l’article L. 3211-3 du même code.

En ce qui concerne le bien-fondé des motifs invoqués pour justifier ces refus :

9. Ainsi qu’il a été dit, afin de justifier les interdictions faites à M. X de rendre visite à son fils les 28 mai et 1er juin 2010, le centre hospitalier Y fait valoir que ces mesures étaient nécessitées par l’état de santé du patient. Il produit, à l’appui de cette affirmation, un certificat médical du 3 juin 2010 rédigé par le Dr A==, chef du pôle psychiatrique de cet hôpital, rappelant que le fils du requérant a été hospitalisé d’office à la suite d’un passage à l’acte dangereux sur la personne d’un membre du personnel et précisant que ce patient, « mutique et très tendu », refusait son traitement, ce qui augmentait le risque d’hétéroagressivité, qu’il a été décidé l’interdiction de visites car on redoutait une crise clastique à laquelle on ne pouvait exposer les visiteurs et que le patient a fait savoir à l’époque aux médecins qu’il refusait de voir son père.



10. Si M. X soutient que le centre hospitalier ne pouvait, sans violer le secret médical, produire ce certificat, il ressort des pièces du dossier que son fils l’avait mandaté afin qu’il puisse prendre connaissance de son dossier médical et ainsi produire les pièces nécessaires pour étayer ses allégations dans le cadre du présent recours. Ainsi, son fils doit être regardé comme ayant nécessairement accepté que ces pièces soient soumises au contradictoire. Par suite, le certificat médical produit par le centre hospitalier, de même que les extraits du dossier médical du fils du requérant, peuvent être pris en considération par la cour afin d’apprécier la légalité des décisions attaquées.



11. Le requérant soutient encore que ce certificat médical comporterait des mentions erronées et a saisi le tribunal administratif d’une demande de renvoi pour inscription de faux. D’une part, sauf dans le cas où la loi prévoit expressément que les mentions d’un acte administratif font foi jusqu’à inscription en faux, le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire fait obstacle à ce que l’exactitude des telles mentions soit appréciée par un tribunal de l’ordre judiciaire. Le certificat dont il s’agit, établi par une personne publique pour l’exécution du service public administratif hospitalier et relatif à l’un de ses usagers, a le caractère d’un acte administratif ; en l’absence de dispositions spéciales prévoyant qu’un tel acte fait foi jusqu’à son inscription en faux, le juge administratif est compétent pour apprécier l’exactitude des mentions qu’il comporte. D’autre part, les mentions figurant dans ce certificat ne peuvent être tenues pour inexactes du seul fait qu’un médecin du centre hospitalier a indiqué à M. X qu’ « en général » les visites ne sont pas accordées lorsqu’un patient est en attente d’aller à l’unité de soins intensifs psychiatriques. Ces mentions sont au contraire corroborées par les certificats médicaux émis les 25 et 27 mai 2010 par les docteurs C== et M==, lesquels relatent l’accès de violence du fils du requérant ayant justifié, le 25 mai 2010, son placement en hospitalisation d’office, le syndrome de persécution qui s’en est suivi, sa tension, ses moments de mutisme et son respect aléatoire du protocole de soins.

12. Afin de contester la pertinence de ces motifs, M. X produit le dossier médical de son fils, et en particulier les fiches de transmission rédigées entre le 25 mai 2010 et son transfert au centre hospitalier de Y. Ces fiches mentionnent, les 25 et 26 mai 2010, que le fils du requérant ne gérait plus la frustration, qu’il devenait opposant et agressif et que la communication restait difficile. Si les observations portées sur ces mêmes fiches les jours suivants révèlent une amélioration de son état de santé, notamment à l’égard du personnel soignant, il est cependant constant que les décisions portant interdiction de visite sont intervenues seulement trois et cinq jours après l’importante crise ayant justifié le placement en hospitalisation d’office de l’intéressé. Ces décisions, qui sont justifiées par le besoin de repos du fils du requérant eu égard à son état de santé aux dates des décisions litigieuses, ne sont pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application des dispositions précitées de l’article R. 1112-47 du code de la santé publique.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motivation :

13. Les décisions par lesquelles le centre hospitalier a décidé de refuser à M. X le droit de rendre visite à son fils à deux reprises, prises dans l’intérêt du service et de son fonctionnement régulier, ne constituent pas des mesures de police. Elles ne rentrent pas non plus dans l’une quelconque des autres catégories de décisions défavorables qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979. Elles ne sont donc pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application desdites dispositions. Par suite, le moyen tiré de l'absence de motivation de ces décisions doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

14. M. X soutient que ces décisions ont porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées n’ont pas eu pour effet d’interdire durablement à M. X de rendre visite à son fils, lequel était majeur, mais uniquement de lui interdire d’exercer ce droit de visite trois et cinq jours après que ce dernier a été placé en hospitalisation d’office, compte tenu de son état de santé et du risque d’hétéroagressivité qu’il présentait. Dans ces conditions, et en tout état de cause, les décisions attaquées n’ont pas porté au droit à la vie privée et familiale de M. X une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquelles elles ont été prises. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens :

15. Il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à soutenir que les décisions attaquées auraient également méconnu les dispositions de l’article 9 du code civil, en vertu desquelles chacun a droit au respect de sa vie privée.

16. Les autres moyens, tirés des soins inadaptés qui auraient été prodigués à M.X, du refus du centre hospitalier de communiquer le dossier médical de ce dernier, du refus opposé à un prêtre de rendre visite au fils du requérant, et enfin, de l’absence de communication de l’arrêté d’hospitalisation d’office, sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité des décisions attaquées, de même que les moyens tirés du dernier alinéa de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique et des dispositions de l’article L. 3211-12 du même code.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation des décisions du centre hospitalier Y des 28 mai et 1er juin 2010.

Sur les conclusions reconventionnelles tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires :

18. Aux termes de l’article L.741-2 du code de justice administrative : « (…) Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts (…) ».

19. S’il utilise des termes excessifs, le passage du mémoire de M. X incriminé par le centre hospitalier ne présente pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire justifiant sa suppression en application des dispositions citées au point précédent.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Y, qui n’a pas la qualité de partie perdante, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

21. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance n° 1002843 du 13 octobre 2011 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Bordeaux et le surplus de ses conclusions d’appel sont rejetés.

Article 3 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier Y est rejeté.