Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l’arrêté du 25 septembre 2013 par lequel le maire de la commune des Portes-en-Ré a, d’une part, retiré le refus de permis de construire du 18 juillet 2013 opposé à la demande de la société civile immobilière (SCI) BCM pour l’édification d’une maison d’habitation avec garage sur un terrain situé rue de la Prée et, d’autre part, a délivré à cette dernière le permis sollicité.

Par le jugement n° 1302660 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ce déféré.

Procédure devant la cour :

I°, sous le n° 14BX03682, par une requête et un mémoire enregistrés les 22 décembre 2014 et 12 mai 2015, le préfet de la Charente-Maritime demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 23 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) d’annuler l’arrêté du maire des Portes-en-Ré du 25 septembre 2013 retirant le refus de permis opposé à la demande déposée par la SCI BCM et lui accordant l’autorisation sollicitée.

II°, sous le n° 15BX01258, par une requête enregistrée le 9 avril 2015, le préfet de la Charente-Maritime demande à la cour de décider qu’il sera sursis à l’exécution du jugement n° 1302660 du 23 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers.


Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 18 juillet 2013, le maire de la commune des Portes-en-Ré a refusé à la société civile immobilière (SCI) BCM le permis de construire qu’elle avait demandé pour l’édification d’une maison d’habitation avec garage sur la parcelle cadastrée section BD n° 194, située rue de la Prée. Toutefois, cette autorité a décidé, par arrêté du 25 septembre 2013, de procéder au retrait de ce refus de permis de construire et d’accorder à la pétitionnaire l’autorisation sollicitée. Par les requêtes enregistrées respectivement sous les n° 14BX03682 et 15BX01258, le préfet de la Charente-Maritime relève appel et demande le sursis à l’exécution du jugement du 23 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 25 septembre 2013. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour qu’elles fassent l’objet d’un même arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ». ll appartient à l’autorité d’urbanisme compétente et au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent. Pour l’application de cet article en matière de risque de submersion marine, l’autorité administrative doit apprécier, en l’état des données scientifiques disponibles, ce risque en prenant en compte notamment le niveau marin de la zone du projet, le cas échéant sa situation à l’arrière d’un ouvrage de défense contre la mer ainsi qu’en pareil cas, la probabilité de rupture ou de submersion de cet ouvrage au regard de son état, de sa solidité ou des précédents connus de rupture ou de submersion.

3. En premier lieu, les plans de prévention des risques naturels, qui sont destinés notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et qui valent servitude d’utilité publique par application de l’article L. 562-4 du code de l’environnement, s’imposent directement aux autorisations de construire sans que l’autorité administrative soit tenue d’en reprendre les prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Toutefois, l’instauration d’un tel plan n’interdit pas à cette autorité, à qui il incombe de vérifier, au regard des particularités de la situation qu’il lui appartient d’apprécier, que la construction ne sera pas de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, de refuser, lorsqu’une telle atteinte le justifie, la délivrance de l’autorisation sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. Par suite, la circonstance que le projet de la SCI BCM respecte les règles de hauteur de plancher fixées par le règlement du plan de prévention des risques naturels, approuvé le 19 juillet 2002, dans la zone BC ne fait pas obstacle, par elle-même, à l’application de l’article R. 111-2.

4. En second lieu, il est constant que le terrain d’assiette du projet de la SCI BCM est situé dans la zone de couleur bleu clair, référencée BC dans le plan de prévention des risques naturels approuvé le 19 juillet 2002, où les constructions d’habitation peuvent être autorisées, sous réserve d’une hauteur de plancher supérieure d’au moins 30 centimètres au niveau de la voie d’accès. Toutefois, les phénomènes de submersion observés au cours de la tempête dénommée Xynthia, qui est survenue dans la nuit du 27 au 28 février 2010, ont montré que les données de référence sur la base desquelles avait été élaboré ce plan de prévention n’étaient plus adaptées aux dangers susceptibles de se produire. Les services de l’Etat se sont en conséquence engagés dans une démarche de révision du plan de prévention. Les études réalisées dans ce cadre ont conduit, sur la base d’une modélisation, à l’établissement d’une cartographie des niveaux d’eau maximaux. Ces études ont pris en considération le retour d’expérience de la tempête établi par la société grenobloise d’études et d’applications hydrauliques (Sogréah), les relevés du marégraphe du port de La Pallice, dont le défaut de fiabilité n’est pas démontré et qui attestent d’un niveau de l’océan pendant la tempête à la cote altimétrique de 4,50 mètres par rapport aux repères du nivellement général de la France (NGF), et les effets du réchauffement de la terre, par l’application d’une hauteur supplémentaire de 20 centimètres habituellement admise. Cette cartographie inclut le terrain d’assiette du projet de la SCI BCM dans un secteur où la submersion peut atteindre la cote altimétrique de 3,8 mètres NGF. Cette parcelle étant située à une cote altimétrique entre 2,76 et 2,80 mètres NGF, comme la voie d’accès qui la dessert, le risque de submersion a été évalué à plus d’un mètre de profondeur. Une telle situation constitue un risque majeur pour les résidents, sans qu’importe la qualification de l’aléa à une telle hauteur d’eau ou la circonstance qu’au cours de la tempête Xynthia, le terrain de la SCI n’ait pas été inondé. En outre, les limites de la parcelle dont s’agit ne sont éloignées que d’environ 150 mètres de la zone rouge du plan de prévention des risques naturels approuvé le 19 juillet 2002, zone correspondant à un risque de rupture de digue ou de cordon dunaire mince et où le plan interdit toute construction. Enfin, la parcelle dont s’agit n’est pas à l’abri du risque d’inondation du fait de dégradations des ouvrages longeant le Fiers d’Ars ou de « sur-verses ». La commune des Portes-en-Ré conteste certes cette cartographie en reprenant les critiques formulées dans une note établie par une société d’ingénierie pour la communauté de communes de l’Ile de Ré. Cette note ne démontre pas le caractère sommaire de la méthodologie des services de l’Etat pour déterminer les zones à risques, en se bornant à invoquer les termes de la circulaire du 27 juillet 2011, qui n’a pas de portée réglementaire, ou les « Premiers éléments de méthodologie pour l’élaboration des PPRL », rédigés en novembre 2011, qui ne sont que de simples préconisations. La commune n’établit pas davantage le caractère erroné du scénario de défaillances des ouvrages de protection adopté par les services de l’Etat, en faisant valoir que seul le critère tiré de la pente des ouvrages a été pris en compte pour l’évaluation des débits de franchissement de ces structures par paquets de mer. Si la commune des Portes-en-Ré soutient que les hypothèses de brèches dans les ouvrages de protection telles qu’envisagées par les services de l’Etat ne sont pas réalistes, elle se fonde sur un relevé effectué postérieurement à la tempête Xynthia par la communauté de communes de l’Ile de Ré, selon une méthode et des conditions ignorées, alors que cet événement a démontré, tant dans cette Ile que sur la côte charentaise, que le risque de brèche ne pouvait, par principe, être exclu dans un document de prévention. S’ils peuvent avoir pour effet de limiter, en particulier dans l’avenir proche, les risques pour la population, les travaux entrepris depuis la tempête Xynthia sur les digues protégeant le territoire de la commune des Portes-en-Ré ne constituent pas une assurance, sur la durée du plan de prévention, de la suppression de tout danger. Il ressort des éléments produits que le scénario retenu par les services de l’Etat correspond non à celui d’une rupture totale, simultanée et instantanée de toutes les digues, comme le prétend la commune des Portes-en-Ré, mais à la défaillance d’un certain nombre d’ouvrages, en des secteurs prédéterminés. Par ailleurs, il ressort des éléments au dossier que les services de l’Etat ont appliqué, pour le territoire de la commune des Portes-en-Ré, des coefficients de rugosité différents, selon la densité de l’urbanisation. Il ne résulte pas non plus de ladite note commandée par la communauté de communes que les données altimétriques obtenues grâce au modèle numérique Litto3D, modèle commun au service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et à l’institut national de la géographie (IGN) et que les services de l’Etat ont utilisé pour déterminer les cotes de l’ensemble des plans d’eau des marais salants, présentent pour le territoire de la commune des Portes-en-Ré une approximation telle que le risque de submersion ne puisse être considéré comme susceptible de mettre en danger la vie des habitants du secteur concerné.

5. Il suit des points 2 à 4 que c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que le permis de construire accordé à la SCI BCM le 25 septembre 2013 n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Charente-Maritime est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 25 septembre 2013 du maire des Portes-en-Ré.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement :

7. Par le présent arrêt, la cour statue sur les conclusions du préfet de la Charente-Maritime tendant à l’annulation du jugement du 23 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers. Par suite, les conclusions du préfet tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n’y a pas lieu d’y statuer.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que soient mises à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie perdante dans les présentes instances, les sommes dont la commune des Portes-en-Ré demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête n° 15BX01258.

Article 2 : Le jugement n° 1302660 du 23 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers et l’arrêté du 25 septembre 2013 du maire des Portes-en-Ré sont annulés.

Article 3 : Les conclusions de la commune des Portes-en-Ré tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.