Vu la requête enregistrée le 6 février 2015, présentée par la préfète de la Charente-Maritime ;

La préfète demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°1300020 du 10 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté son déféré tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 5 novembre 2012 par lequel le maire de la commune de Loix-en-Ré a autorisé M. et Mme D=== à construire une maison d’habitation sur un terrain situé 37 rue du Passage à Loix-en-Ré (Charente-Maritime) ;

2°) d’annuler ce permis de construire et le permis de construire modificatif délivré par le maire de Loix-en-Ré le 29 juillet 2014 ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 30 juin 2015 présentée pour la commune de Loix-en Ré par Me Brossier ;

1. Considérant que le 8 août 2012, M. et Mme D=== ont présenté une demande de permis de construire une maison individuelle de plain-pied pour une surface de 277 m² sur un terrain situé 37 rue du Passage à Loix-en-Ré (Charente-Maritime) ; que ce terrain est classé, dans sa partie située le long de la rue du Passage en zone UB du règlement du plan d’occupation des sols, dans sa partie centrale en zone UBs (submersible), et dans sa partie arrière donnant sur le chemin rural et le fossé des Martineau en zone NDr ; que par un arrêté du 5 novembre 2012, le maire de Loix-en-Ré leur a délivré ce permis en l’assortissant de prescriptions spéciales, notamment la fixation du plancher bas à la cote minimale 4,40 m NGF ; que la préfète de la Charente-Maritime a déféré cette décision au tribunal administratif de Poitiers le 4 janvier 2013 et a sollicité, le 16 janvier 2013, la suspension de cet arrêté, qui lui a été accordée sur le fondement de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme au regard des risques révélés par la tempête Xynthia ; que cependant, par jugement du 8 juillet 2014, le tribunal a estimé que seul le moyen tiré de la méconnaissance des seuils fixés par l’article UB 10 du plan d’occupation des sols était de nature à justifier l’annulation, mais pouvait faire l’objet d’une régularisation, et a, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer dans l’attente de la notification, par M. et Mme D===, d’un permis de construire modificatif sur ce point ; qu’un tel permis modificatif a été accordé à M. et Mme D=== par arrêté du 29 juillet 2014, fixant à 4,38 m le plancher bas de la construction, pour ne pas dépasser un seuil de trente centimètres au-dessus du terrain naturel ; que la préfète de la Charente-Maritime relève appel du jugement n° 1300020 du 10 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation du permis de construire du 5 novembre 2012 et du permis modificatif du 29 juillet 2014 ;

Sur la recevabilité de la requête :

2. Considérant que la commune de Loix-en-Ré soutient que la préfète de la Charente-Maritime n’a pas présenté de conclusions tendant à l’annulation du jugement avant-dire droit en date du 8 juillet 2014 et qu’ainsi, celui-ci est devenu définitif ; qu’elle fait alors valoir que l’Etat n’est plus recevable à invoquer le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entaché le permis de construire initial au regard de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article R.811-2 du code de justice administrative : « Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (…) » ; que selon l’article R.811-6 du même code : « Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige. » ; qu’enfin, aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme issu de l’article 2 de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, entrée en vigueur le 19 août suivant : « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. » ;

4. Considérant d’une part, qu’un jugement par lequel un tribunal administratif, en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme, ne se prononce que sur une partie des moyens et sursoit à statuer en laissant au bénéficiaire d’une autorisation d’occupation du sol un délai pour obtenir un permis de construire régularisant le vice dont est affectée l’autorisation initiale, constitue un jugement avant-dire droit au sens des dispositions précitées ; qu'il peut être interjeté appel d'un tel jugement jusqu'à l'expiration du délai de recours contentieux applicable au jugement qui met fin à l'instance ;

5. Considérant d’autre part, que si la préfète de la Charente-Maritime demande l’annulation du jugement rendu le 10 décembre 2014, elle reproche aux premiers juges d’avoir prononcé un sursis à statuer par un jugement avant-dire droit rendu le 8 juillet 2014 en écartant le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entaché l’arrêté du 5 novembre 2012 au regard des dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme ; qu’elle doit dès lors être regardée comme ayant sollicité l’annulation de l’ensemble des décisions ayant abouti au jugement du 10 décembre 2014, y compris ce jugement avant-dire droit, qu’elle joint à sa requête ; qu’en application du principe énoncé au point précédent, la préfète n’était pas tardive à solliciter, dans sa requête dirigée contre le jugement du 10 décembre 2014, l’annulation du jugement avant-dire droit ; qu’en conséquence, elle est recevable à invoquer le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entaché le projet en litige au regard de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme ;

Sur la régularité du jugement :

6. Considérant que le tribunal ne s’est pas expressément prononcé, comme les dispositions précitées de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme lui en faisaient pourtant l’obligation, sur l’ensemble des autres moyens du déféré avant de surseoir à statuer, dans son jugement avant-dire droit, sur la demande de la préfète ; qu’il a ainsi manqué à l’office du juge dans l’exercice de ses pouvoirs de régularisation ; que ce jugement étant dès lors entaché d’irrégularité, il doit être annulé, ensemble et par voie de conséquence, le jugement se prononçant après sursis à statuer en rejetant le déféré ;

Sur la recevabilité de la demande :

7. Considérant en premier lieu, que la commune de Loix-en-Ré soutient d’une part, que les conclusions de première instance dirigées contre le permis de construire modificatif du 29 juillet 2014 sont tardives dans la mesure où l’Etat les a présentées le 20 octobre 2014, plus de deux mois après que lui a été transmis, dans le cadre du contrôle de légalité, le dossier de demande de permis modificatif, contrairement aux exigences de l’article L.2131-6 du code général des collectivités territoriales, et d’autre part, qu’aucun moyen n’a été invoqué à l’encontre du permis modificatif ;

8. Considérant d’une part, que lorsque le juge de l’excès de pouvoir est saisi par un tiers d’un recours contre une décision d’autorisation qui est remplacée, en cours d’instance, après application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme, par une décision qui la modifie sans en altérer l’économie générale, le nouvel acte doit être notifié au tiers requérant, le délai pour le contester ne pouvant commencer à courir pour lui, afin de respecter le principe du contradictoire, en l’absence d’une telle notification ; que la forclusion ne peut dès lors être opposée au préfet qui a demandé l’annulation du permis modificatif dans le délai de deux mois ayant suivi la communication par le tribunal du dossier de demande de ce permis, alors même que ce dossier lui aurait été transmis antérieurement dans le cadre du contrôle de légalité, en application de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ;

9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si les pétitionnaires ont adressé au tribunal, le 15 août 2014, une copie du permis modificatif qu’ils avaient obtenu le 29 juillet 2014, ils n’ont produit l’intégralité du dossier de demande de permis que le 22 août 2014 ; que le greffe n’a donc pu transmettre ce dossier à la préfète de la Charente-Maritime qu’à compter de cette dernière date ; qu’ainsi et alors même que la commune de Loix-en-Ré avait transmis le 31 juillet 2014 ce dossier de demande de permis modificatif au préfet dans le cadre du contrôle de légalité, les conclusions de la préfète de la Charente-Maritime tendant à l’annulation de ce permis modificatif, qui ont été enregistrées le 20 octobre 2014, n’étaient pas tardives ;

10. Considérant enfin, que la préfète de la Charente-Maritime soutenait devant le tribunal que ce permis modificatif, qui abaisse le seuil de plancher prévu, aggrave le risque de submersion ; qu’en critiquant ainsi ce permis modificatif, elle entendait démontrer qu’il n’a pu régulariser le permis initial et invoquait ainsi, conformément aux exigences de l’article R.411-1 du code de justice administrative, un moyen à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de ce permis de construire ;

11. Considérant en second lieu, que le mémoire du 20 octobre 2014 par lequel la préfète de la Charente-Maritime a demandé au tribunal l’annulation du permis de construire modificatif délivré le 29 juillet 2014 a été transmis aux pétitionnaires, par le greffe du tribunal administratif, dans le cadre de l’instance poursuivie en application de l’article L.600-5-1 du code l’urbanisme ; que le dernier alinéa de cet article impliquant que le juge statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le permis de construire modificatif qui leur a été communiqué, il doit être regardé comme excluant l’application de l’article R.600-1 du code de l’urbanisme ; que, par suite, la préfète de la Charente-Maritime n’avait pas à notifier ce permis selon les modalités prévues par ce dernier article ;

Sur la légalité du permis de construire initial du 5 décembre 2012 :

12. Considérant qu’aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. » ; que le risque d’inondation est au nombre de ceux qui peuvent fonder un refus de permis de construire ; que, pour apprécier la réalité d’un tel risque, l’autorité administrative peut s’appuyer sur tous les éléments d’information dont elle dispose à la date à laquelle elle statue, et notamment sur les documents préparatoires à l’élaboration d’un plan de prévention des risques contre l’inondation, quand bien même celui-ci ne serait pas encore adopté et donc pas directement opposable ; que les risques d'atteinte à la sécurité publique visés par ce texte sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle le permis est sollicité que ceux que l'opération projetée peut engendrer pour des tiers ;

13. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si la construction doit être implantée en partie haute des parcelles cadastrées section AK n° 51 et 52, situées en zones UB et UBs (risque de submersion marine) du plan d’occupation des sols, le terrain présente une déclivité vers les marais, la partie située le long de la rue du Passage étant à la cote 4,08 mètres NGF alors que la partie arrière donnant sur le chemin rural et le fossé des Martineau n’atteint que la cote 3,10 mètres NGF ; qu’il ressort des photographies jointes au dossier et prises dans les 12 heures ayant suivi la tempête Xynthia que la parcelle des époux D=== avait, lors de cet évènement climatique, été inondée sur toute sa superficie ; que les documents d’élaboration du nouveau plan de prévention des risques, et en particulier la carte des aléas du 5 novembre 2014 et celle relative aux niveaux d’eau maximaux, indiquent que la parcelle d’assiette du projet se trouve, dans sa partie qu’il est envisagé de bâtir, en zone d’aléa modéré à fort pour le risque de submersion, où le niveau d’eau peut atteindre la cote 4,20 à 4,40 mètres NGF ; que la commune de Loix-en-Ré ne saurait se prévaloir, pour contester la pertinence des documents sur lesquels se fonde l’Etat, du rapport d’information parlementaire n° 2697 du 1er juillet 2010 relatif aux « raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia », lequel critique uniquement la pertinence des études menées en 2010 pour délimiter les zones de danger, dès lors qu’en l’espèce, la préfète s’est essentiellement fondée, afin de caractériser le risque d’inondation, sur des documents, études et cartographie intervenus postérieurement audit rapport ; que le projet en litige prévoit en outre, pour pallier la déclivité du terrain naturel et respecter la cote du plancher bas fixée à 4.38 m NGF, la réalisation d’un remblai depuis la rue jusqu’à la terrasse de la maison, sur une hauteur croissante pouvant atteindre 1,18 m ; que la surélévation du terrain naturel induite par ce remblai, alors qu’il ressort des pièces du dossier que cette parcelle avait constitué un « bassin de rétention de l’eau » à l’occasion de la tempête Xynthia, est de nature à modifier le champ d’expansion naturelle de l’eau et à accroître ainsi le risque de submersion des parcelles voisines ; que la cote du plancher bas de la construction fixée à 4.38 mètres NGF par le permis de construire modificatif obtenu le 29 juillet 2014 n’est pas de nature à amoindrir le risque de submersion auquel seront exposées les parcelles voisines du projet ; que, dans ces conditions, le projet contesté est de nature à porter atteinte à la sécurité des tiers compte tenu du rehaussement du terrain naturel ; que la commune de Loix-en-Ré ne saurait se prévaloir, pour contester la réalité du risque de submersion induit par le projet, de la circonstance, au demeurant non établie, qu’un permis de construire aurait été délivré pour l’extension d’une habitation située sur une parcelle voisine du projet ; que de même, si le risque de submersion doit être apprécié en tenant compte des digues existantes et des travaux réalisés pour les conforter, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence d’une digue permettrait d’exclure le risque d’inondation du secteur ; qu’à la date de la décision, les travaux envisagés pour la création de merlons de protection de second rang n’avaient pas été réalisés ; que, dans ces conditions, le projet en litige est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme ; que cette méconnaissance, qui n’est pas susceptible d’être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif, emporte l’annulation de l’autorisation de construire dans son intégralité ; que pour l’application de l’article L.600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens n’est de nature à justifier l’annulation partielle ou totale de ce permis tel que modifié par le permis modificatif tacite du 20 mai 2013 pour la composition du dossier et par le permis modificatif du 24 juillet 2014 pour l’abaissement du seuil de la construction par rapport au terrain naturel ;

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Charente-Maritime est fondée à demander l’annulation du permis de construire du 5 novembre 2012 et par voie de conséquence, du permis modificatif du 29 juillet 2014 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la commune de Loix-en-Ré et les époux D=== et non compris dans les dépens ; DECIDE : Article 1er : Le jugement avant-dire droit du 8 juillet 2014 et le jugement n°1300020 du 10 décembre 2014 sont annulés. Article 2 : Les arrêtés du 5 novembre 2012 et du 29 juillet 2014 du maire de la commune de Loix-en-Ré sont annulés. Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Loix-en-Ré et les époux D=== tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.