Vu la requête, enregistrée par télécopie le 17 mai 2013 et régularisée par courrier postal le 21 mai 2013, présentée pour le département de Loir-et-Cher, par Me Rainaud ;

Le département de Loir-et-Cher demande à la cour :

A titre principal : 1°) d’annuler le jugement n° 0902044 du 19 mars 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l’a condamné à verser à la compagnie AXA France IARD une indemnité de 856 841 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2008, avec capitalisation desdits intérêts à la date du 5 janvier 2012 puis à chaque échéance annuelle et a mis les frais d’expertise à sa charge ; 2°) de rejeter la demande présentée par le Centre éducatif et technique de la Rousselière et par la Compagnie AXA France IARD ;

3°) de mettre à la charge du Centre éducatif et technique de la Rousselière la somme de 2 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;

A titre subsidiaire : 1°) de réformer le jugement n° 0902044 du 19 mars 2013 ;

2°) de condamner l’Etat et le département de Loir-et-Cher à supporter chacun par moitié les sommes allouées à la Compagnie AXA France IARD et au Centre éducatif et technique de la Rousselière ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

En toute hypothèse : 1°) de limiter le montant des sommes mises à la charge du département à 30 % du quantum du préjudice retenu par l’expert judiciaire et de réduire à la somme de 148 142 euros le montant de l’indemnité due au Centre éducatif et technique de la Rousselière et à son assureur, la Compagnie AXA France IARD ;


1. Considérant que M. C==, né en 1986, a été confié par le département de Loir-et-Cher, dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative fondée sur les dispositions des articles 375 et suivants du code civil, au centre éducatif et technique (CET) « La Rousselière » le 6 septembre 2001 et, suite au jugement du 18 juin 2003 du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Blois renouvelant son placement en assistance éducative jusqu’à sa majorité, ce dernier est resté au sein du centre « La Rousselière » alors même que par jugement du 24 octobre 2002, le tribunal pour enfants près le tribunal de grande instance de Blois l’avait déclaré coupable d’agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans pour des faits remontant à 1999, l’avait placé sous le régime de la liberté surveillée jusqu’à sa majorité et avait désigné pour assurer cette surveillance éducative le centre d’action éducative de Blois ; que, le 7 mars 2004, . M. L=, majeur, et M. C=, encore mineur, ont cambriolé, dégradé et incendié la résidence secondaire de M. B= ; qu’en suite de ces agissements, le tribunal de grande instance de Périgueux a, par jugement du 19 janvier 2005, déclaré L== coupable de vol aggravé et de dégradation volontaire, l’a condamné à un an d’emprisonnement et à verser à M. B== la somme de 842 193,14 euros au titre de toutes les conséquences de l’incendie tandis que le tribunal pour enfants de Périgueux a, par jugement du 2 novembre 2005, déclaré M. C== coupable de vol aggravé et de dégradation volontaire, l’a condamné à un an d’emprisonnement et a déclaré ses parents non civilement responsables ; que par jugement du 21 décembre 2005 confirmé en appel et en cassation, le tribunal pour enfants de Périgueux a déclaré le centre éducatif et technique « La Rousselière » civilement responsable de M. C==, mineur au moment des faits, et a ordonné une expertise pour évaluer les préjudices subis par la victime ; que, consécutivement au dépôt, le 18 avril 2008, du rapport de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, le centre « La Rousselière » et son assureur AXA France ont réclamé au département de Loir-et-Cher le remboursement de l’indemnisation du préjudice subi par la victime, M. B= ; que ledit département a refusé, le 28 janvier 2009, de faire droit à cette demande ; que, suite à la conclusion, le 24 février 2009, d’un protocole transactionnel entre M. B=, son assureur la société MMA IARD, l’association le Rocher de Guyenne, gérant le centre « La Rousselière », et son assureur la compagnie AXA France, cette dernière a versé la somme de 856 841 euros à M. B==, le 25 mars 2009 et a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande tendant, notamment, à la condamnation du département de Loir-et-Cher à lui verser la somme versée à M. B== que le département de Loir-et-Cher fait appel du jugement du 19 mars 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à cette demande et l’a condamné à verser à la Compagnie AXA France IARD la somme de 856 841 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2008 et capitalisés à la date du 5 janvier 2012 ;

Sur la responsabilité du département de Loir-et-Cher :

2. Considérant que la décision par laquelle le juge confie la garde d’un mineur, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l’une des personnes mentionnées à l’article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; qu’en raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur a été confié à un service qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n’est susceptible d’être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; que cette responsabilité ne trouve pas à s’appliquer pour les agissements d’une personne majeure ;

3. Considérant que, dans le cadre du placement de M. C==, le CET « La Rousselière », placé sous l’autorité du département de Loir-et-Cher, a été chargé d’accueillir ce mineur à compter du 6 septembre 2001 et jusqu’à sa majorité ; qu’ainsi, le département de Loir-et-Cher était, lors de la survenance des faits litigieux, investi de la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie de ce mineur ; que, dès lors, en vertu des règles précitées, le département de Loir-et-Cher, en charge de la garde de M. C==, était susceptible de voir sa responsabilité engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ;

4. Considérant que le département de Loir-et-Cher fait valoir en appel que sa responsabilité sans faute ne saurait être engagée à raison de faits délictuels commis par un mineur faisant l’objet d’une mesure de liberté surveillée dont l’inefficacité a directement conduit à la commission de l’infraction du 9 mars 2004 et que seule la responsabilité de l’Etat trouve à s’appliquer ; qu’il résulte de l’instruction que M. C==, alors sous l’autorité du département de Loir-et-Cher ainsi qu’il vient d’être dit au point 3, a été placé sous le régime de la liberté surveillée jusqu’à sa majorité, par jugement du 24 octobre 2002 du tribunal pour enfants près le tribunal de grande instance de Blois, lequel a désigné pour assurer cette surveillance éducative le centre d’action éducative de Blois ; que, toutefois, M. C== est resté au centre « La Rousselière », ce centre pouvant aussi accueillir des mineurs délinquants ; que si peut être recherchée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l’Etat en raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en œuvre d’une des mesures de liberté surveillée prévues par l’ordonnance du 2 février 1945, le département de Loir-et-Cher ne peut en déduire que seule la responsabilité de l’Etat pouvait être recherchée à raison des conséquences dommageables d’actes commis par un mineur faisant, à la fois, l’objet d’une mesure d’assistance éducative et d’une mesure de liberté surveillée au motif que les faits délictueux à l’origine des dommages subis par la victime, M. B==, sont nécessairement imputables au mineur délinquant sous le coup d’une mesure de liberté surveillée et non au mineur en danger dont il avait la garde ; qu’en effet, alors que coexistent deux régimes de responsabilité sans faute, la victime ou la personne subrogée dans les droits de cette victime peut rechercher, à sa convenance, soit la responsabilité sans faute du département en sa qualité de gardien pour les dommages causés par le mineur placé sous sa garde, soit la responsabilité sans faute de l’État pour risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en œuvre d’une mesure de liberté surveillée ; qu’il est constant que la Compagnie AXA a choisi de poursuivre à titre principal le département et à titre subsidiaire l’État ; que, par suite, le département de Loir-et-Cher n’est pas fondé à soutenir qu’il devait être mis hors de cause ;

5. Considérant que le département de Loir-et-Cher ne peut invoquer, à son profit, le bénéfice du régime de responsabilité de l’Etat en raison du risque spécial créé du fait de la mise en œuvre d’une mesure de liberté surveillée prévue par l’ordonnance du 2 février 1945, ce régime ne trouvant à s’appliquer que pour les tiers victimes d’agissements commis par un mineur délinquant ; que, par suite, le département n’est pas fondé à soutenir que les agissements de M. C== relèvent de la responsabilité conjointe du département et de l’Etat et qu’il ne doit donc supporter que la moitié de l’indemnité allouée à la compagnie d’assurances AXA France ;



6. Considérant, enfin, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’encadrement de M. C== aurait été défaillant ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le département de Loir-et-Cher, le CET « La Rousselière » ne saurait être regardé comme ayant commis une faute dans la mise en œuvre de ses compétences et dans l’accomplissement de sa mission de surveillance susceptible d’exonérer le département d’une part de sa responsabilité ;

Sur le préjudice imputable à M. C== :

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que pour les faits commis le 7 mars 2004, le jeune M. C== a été déclaré coupable de vol aggravé et de dégradation volontaire, par jugement du 2 novembre 2005 du tribunal pour enfants de Périgueux ; que, par jugement du 21 décembre 2005, le même tribunal a ordonné une mission d’expertise afin d’évaluer les préjudices subis par la victime, M. B== ; que l’expert, également désigné par ordonnance de référé du tribunal administratif de Bordeaux du 20 septembre 2007, a déposé son rapport le 12 avril 2008 et évalué l’ensemble des préjudices subis par M. B== à la somme de 1 481 821 euros ; que, suite au protocole transactionnel conclu le 24 février 2009 entre M. B==, la société MMA IARD, son assureur, l’Association Le Rocher de Guyenne, association gérant le CET « La Rousselière », et la Compagnie AXA, son assureur, l’indemnisation globale versée à M. B== a été fixée à 1 415 816,50 euros et la Compagnie AXA a versé la somme de 856 841 euros à M. B== ; que le jugement attaqué a mis à la charge du département de Loir-et-Cher cette somme ;

8. Considérant que le département soutient qu’il ne peut être tenu de réparer plus que la part imputable à M. C== dans la réalisation du préjudice dont le montant a été fixé par l’expert judiciaire à la somme de 1 481 821 euros ; que les faits litigieux ayant été commis à l’instigation d’un majeur, M. L==, le département évalue la part de responsabilité de M. C== à 30 % ; que, toutefois, il résulte de l’instruction que tant M. L== que M. C== ont été reconnus coupables des faits dont s’agit et ont été condamnés, chacun, à la peine d’un an d’emprisonnement ; qu’ainsi, les dommages subis par M. B== trouvent leur origine, à parts égales, dans les agissements de M. L==, majeur, et de M. C==, mineur placé sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil ; que la responsabilité du département de Loir-et-Cher n’étant engagée que pour les agissements du mineur dont il avait la garde, il ne peut être condamné à verser à l’assureur AXA qu’une somme de 740 910,50 euros correspondant à la moitié de l’évaluation du préjudice indemnisable retenue par l’expert judiciaire, ladite somme portant intérêts à compter du 11 décembre 2008 avec leur capitalisation au 5 janvier 2012 puis à chaque échéance annuelle ;

9. Considérant que la compagnie AXA France ne peut, quelque soit la personne publique dont elle a recherché la responsabilité, devant les premiers juges, à raison des dommages imputables au seul mineur M. C==, prétendre à une indemnisation supérieure à la somme de 740 910,50 euros ;

10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le département de Loir-et-Cher est seulement fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l’a condamné à verser à la Compagnie AXA une somme supérieure à celle de 740 910,50 euros retenue par le présent arrêt ; qu’il y a lieu de réformer le jugement du tribunal administratif en ce sens ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code justice administrative :

11. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge des frais qu’elle a exposés ;

DECIDE

Article 1er : La somme de 856 941 euros que le département de Loir-et-Cher a été condamné à verser à la Compagnie AXA par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 mars 2013 est ramenée à 740 910,50 euros.

Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par l’association Le Rocher de Guyenne et la Compagnie AXA au titre de l’article L. 761-1 du code justice administrative sont rejetées.