Vu la requête sommaire, enregistrée le 27 mai 2013 par télécopie et régularisée le 29 mai 2013 et le mémoire complémentaire, enregistré le 18 juin 2013 présentés pour le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, dont le siège est 12 rue Dubernat à Talence (33400), représenté par son directeur général en exercice, par Me Le Prado ;

Le CHU de Bordeaux demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1003329 et 1003427 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux, qui l’a condamné à verser à Mme B== et autres des indemnités en réparation du préjudice subi du fait du décès, dans cet établissement, de leur mari, fils, frère et père et à la caisse du régime social des indépendants Aquitaine une somme en remboursement des dépenses engagées pour son assuré ;

2°) de rejeter les demandes de Mme B== et autres et de la caisse du régime social des indépendants Aquitaine ; …………………………………………………………………………………………..

1. Considérant que le 24 août 2006, souffrant depuis quelque temps de douleurs à la hanche, accompagnées de fièvre, M. B==, âgé de 49 ans, a été adressé au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, où il a été admis pour un syndrome infectieux ; que l’examen à l’aide d’un appareil d’imagerie médicale, dit scanner, effectué le 1er septembre 2006 a permis de mettre en évidence un volumineux abcès du psoas gauche ; que des drainages percutanés ont été effectués sous imagerie médicale ; qu’une affection sigmoïdienne avec diverticule perforé a été diagnostiquée le 12 septembre 2006 et une intervention chirurgicale réalisée le 13 septembre 2006, afin de permettre l’évacuation de l’abcès ; qu’au cours de cette intervention, une hémorragie massive s’est déclarée, nécessitant la transfusion du patient qui a été placé en réanimation intensive ; qu’à nouveau opéré à trois reprises, en raison de l’aggravation de son état de santé, M. B== est décédé le 19 septembre 2006 ; que par jugement du 26 mars 2013, le tribunal administratif de Bordeaux, se fondant notamment sur le rapport de l’expertise effectuée en exécution de l’ordonnance du 19 septembre 2008 du juge des référés de ce tribunal, a condamné le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à verser à l’épouse de M. B==, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses filles mineures Sara et Inès, ainsi qu’aux parents et aux neuf frères et sœurs de la victime des indemnités en réparation des préjudices subis du fait de ce décès et à rembourser à la caisse du régime Social des Indépendants Professions Libérales Provinces les prestations qu’elle a versées pour le compte de M. B== ; que le CHU de Bordeaux relève appel de ce jugement ; que, par la voie de l’appel incident, Mme D==, veuve B==, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de sa fille, encore mineure, Mlle B==, sa fille devenue majeure, M. B== et Mme B==, ses parents, M. B==, M. B==, M. B==, M. B==, Mme B==, Mme B==, Mme B==, M. B== et M. B==, ses frères et sœurs, demandent la réformation de ce jugement, en tant qu’il leur accorde des indemnités qu’ils estiment insuffisantes ;

Sur la responsabilité et sur la perte de chance :

2. Considérant que, pour soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont estimé que des fautes médicales étaient à l’origine des préjudices dont Mme B== et autres demandaient réparation, le CHU de Bordeaux se borne, d’une part, à se référer à des considérations générales émises par un médecin à sa demande et, d’autre part, à invoquer la faute des médecins ayant préalablement examiné et soigné M. B==, ainsi que le retard mis par celui-ci à se rendre à l’hôpital ; qu’il fait valoir qu’en tout cas, sa responsabilité doit être fixée à la réparation de 75 % des préjudices et non de 80 %, ainsi que l’a fait le tribunal administratif en raison de l’évaluation de la perte de chance d’éviter le dommage qui est advenu ; que Mme B== et autres soutiennent, au contraire, que la victime a été privée de toute chance d’éviter le dommage ;

3. Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expertise effectuée en exécution de l’ordonnance du 19 septembre 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, qu’en premier lieu, le service des maladies infectieuses avait diagnostiqué un abcès du psoas dès le 1er septembre 2006, traité par drainage percutané sous imagerie médicale ; que toutefois, à cette date, étaient envisagés une arthrite septique de la hanche, une infection bucco dentaire ou une endocardite, alors que l’abcès du psoas constitue un symptôme habituel et bien connu d’une sigmoïdite diverticulaire, que les résultats des examens effectués sur ce patient amaigri et présentant des signes d’infection ne pouvaient que confirmer ; que le diagnostic exact de sigmoïdite n’a été porté que le 12 septembre 2006 soit quinze jours après le début de l’hospitalisation, lorsque l’abcès a présenté des fistules produisant des matières fécaloïdes ; qu’en deuxième lieu le patient n’a pas fait l’objet d’une surveillance et d’une prise en charge adaptées dans le service de radiologie dès lors que le premier drain, qui était d’un diamètre insuffisant, compte tenu de la grosseur de l’abcès, n’a pas été vérifié par le radiologue après sa pose, le 1er septembre 2006 et que la pose du deuxième drain, le 7 septembre 2006, n’était pas conforme aux données acquises de la science médicale ; qu’en troisième lieu, lors de l’intervention du 13 septembre 2006, le chirurgien, en explorant avec le doigt le tissu nécrotico purulent, a déclenché un saignement abondant résultant d’une plaie de la veine iliaque ; qu’il résulte également de l’instruction que la décision d’exploration, sans contrôle vasculaire préalable, a constitué une imprudence, que la plaie en résultant ne peut être regardée comme un aléa thérapeutique et que n’était, en outre, pas conforme aux bonnes pratiques, la poursuite du rétablissement colique sans accorder une priorité absolue au traitement de l’hémorragie induite par l’effraction vasculaire ; que, dès lors, le CHU de Bordeaux n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges, qui ont suffisamment motivé leur jugement, ont estimé que le retard de diagnostic, le drainage insuffisant et mal exploité, ainsi que les gestes et choix opératoires inappropriés constituent des fautes médicales de nature à engager la responsabilité de l’établissement ;

4. Considérant que lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux ;

5. Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expertise, que M. B== a été atteint d’une sigmoïdite diverticulaire, selon toute vraisemblance, le 25 juillet 2006 alors qu’il séjournait en Italie ; que ni les médecins auxquels il s’est adressé dans ce pays, ni celui qu’il a consulté après son retour en France n’ont diagnostiqué ou suspecté cette affection ; qu’au contraire, les soins alors entrepris ont rendu plus difficile le traitement de celle-ci ; que la part de responsabilité imputable à l’état dans lequel se trouvait le patient du fait des fautes de ces médecins pourrait être évaluée à 25 % ; que toutefois, la circonstance que ce taux serait susceptible d’être invoqué, dans la mesure où ces fautes pourraient être regardées comme portant en elles le dommage, dans le cadre d’une éventuelle action récursoire fondée sur les principes rappelés au point 4, ne permet pas de justifier que ne soit mise à la charge du CHU de Bordeaux qu’une part de 75 % de la réparation des préjudices résultant du décès de M. B== ;

6. Considérant qu’à supposer que le CHU de Bordeaux ait entendu invoquer une faute de M. B==, qui aurait trop tardé à se rendre dans un de ses établissements, il résulte de l’instruction que le délai s’étant écoulé entre l’apparition de la maladie et l’admission du patient dans un service du CHU de Bordeaux est imputable aux médecins auxquels il s’était adressé ; qu’ainsi, aucune faute de la victime ne saurait être retenue ;

7. Considérant que ce n’est que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à une issue fatale, que le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas celui résultant du décès, mais la perte de chance d’éviter que celui-ci soit advenu ; que c’est donc uniquement dans une telle hypothèse que la réparation qui incombe à l’hôpital doit être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ;

8. Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expertise, que si les erreurs de diagnostic et les retards dans la mise en œuvre d’un traitement approprié ont contribué au dommage, les effractions vasculaires intervenues lors de l’intervention du 13 septembre 2006 et le traitement inapproprié dont elles ont fait l’objet ont eu un impact décisif sur l’évolution de l’état de santé de M. B== ; que, dans ces conditions, cette faute médicale constitue la cause déterminante du décès et est à l’origine directe de l’entier dommage ; qu’il ressort de ce qui vient d’être dit que le dommage ne serait pas advenu en l’absence de faute commise par le CHU de Bordeaux ; que les taux généraux de mortalité des sigmoïdites dont fait état le CHU de Bordeaux ne sauraient suffire à établir que M. B== a été seulement privé d’une chance d’éviter le dommage ainsi advenu ; que, dès lors, c’est à tort que le jugement attaqué a limité à une fraction correspondant à une perte de chance de 80 % la réparation mise à la charge du CHU de Bordeaux ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

9. Considérant que le tribunal administratif a attribué, au titre des pertes de revenus actuelles une somme de 87 119,76 euros à Mme B== et de 18 668,52 euros à chacune de ses filles, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenue ; que, pour ce faire, il s’est fondé sur un revenu annuel moyen du foyer de 69 106 euros, tel qu’il ressortait des avis d’imposition des années précédentes, dont il a déduit les revenus perçus par la famille postérieurement au décès, déterminant ainsi une perte patrimoniale annuelle s’élevant à la somme de 25 928,50 euros , sur une évaluation à 20% de la part de consommation annuelle de ces revenus par M. B== et sur une répartition de 70% pour la mère et de 15% chacune pour ses filles ; que si le CHU de Bordeaux soutient que la part de la consommation de M. B== devait être fixée à 40 %, il n’apporte aucun élément de nature à faire regarder comme erronée l’évaluation retenue par les premiers juges ; que, de leur côté, Mme B== et autres n’apportent pas d’éléments de nature à établir que le revenu annuel moyen du foyer avant le décès aurait dû être fixé à un montant supérieur, en pondérant les revenus des années précédentes, que les seuls revenus personnels de Mme B== devraient venir en déduction pour la détermination de la perte patrimoniale annuelle et que la part des revenus revenant aux filles de la victime devrait être portée à 20% chacune ; qu’ainsi, ils sont seulement fondés à soutenir que, dès lors qu’aucun pourcentage de perte de chance ne devait être pris en compte, la somme attribuée à Mme B== doit être portée à 108 899,70 euros et celle attribuée à chacune de ses filles à 23 335,65 euros ;

10. Considérant que la méthode utilisée par le tribunal administratif pour procéder à l’évaluation des pertes de revenu futures et à la conversion du montant annuel en capital n’est pas contestée ; que la détermination des sommes attribuées à ce titre fait l’objet des mêmes critiques que celles énumérées au point précédent et qui doivent être écartées pour les raisons exposées à ce point ; que, dès lors et compte tenu de ce qu’aucun pourcentage de perte de chance ne devait être pris en compte, la somme de 278 884,87 euros devant être accordée à Mme B== doit être portée à 348 606,09 euros et le préjudice économique futur des filles de la victime, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, doit être porté de 28 061,85 euros à 35 077,31 euros, pour S., et de 35 286,56 euros à 44 108,20 euros, pour I., compte tenu de leur âge respectif lors du décès de leur père ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les sommes qui doivent être mises à la charge du CHU de Bordeaux en réparation du préjudice résultant des pertes de revenus doivent être portées, pour Mme B== et sa fille mineure I., de 419 959,71 euros à 524 949,64 euros et, pour Mlle S. B==, de 46 730,37 euros à 58 412,96 euros :

En ce qui concerne les préjudices personnels :

12. Considérant que, pour contester les évaluations des indemnités destinées à réparer les préjudices d’affection subis par les ayants droit de M. B== du fait du décès de celui-ci faites par les premiers juges, le CHU de Bordeaux soutient que l’indemnité accordée à la veuve de la victime ne pouvait excéder 10 000 euros ; que Mme B== et autres se bornent à reprendre les arguments présentés en première instance ; que, dans ces conditions, le CHU de Bordeaux n’est pas fondé à demander la minoration de ces indemnités, dont le montant devra, en revanche être majoré pour tenir compte de ce qu’aucune perte de chance n’avait à être retenue ;

13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le montant des indemnités accordées au titre de ce chef de préjudice doit être porté : - de 20 000 euros à 25 000 euros, pour la veuve et chacune des filles de la victime ; - de 3 200 euros à 4 000 euros, pour chacun des parents de la victime ; - de 2 000 euros à 2 500 euros, pour chacun des frères et sœurs de la victime ;

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que :

- la somme allouée à Mme D==, veuve B== et à sa fille mineure, I., doit être portée de 459 959,71 euros à 574 949,64 euros, - la somme allouée à Mlle B==, doit être portée de 66 730,37 euros à 83 412,56 euros, - la somme allouée à M. B== doit être portée de 3 200 euros à 4 000 euros, - la somme allouée à Mme B== doit être portée de 3 200 euros à 4 000 euros, - la somme allouée à M. B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à M. B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à M. B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à M. B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à Mme B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à Mme B== doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à Mme B==, doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - la somme allouée à M. B==, doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros, - et la somme allouée à M. B==, doit être portée de 2 000 euros à 2 500 euros ;

Sur l’application des articles L. 761-1 et R.761-1 du code de justice administrative:

15. Considérant que Mme B== et autres sont fondés à demander la condamnation du CHU de Bordeaux à leur verser la somme de 35 euros, correspondant au montant de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, qu’ils ont acquittée en application de cet article et figurant au nombre des dépens en vertu des dispositions de l’article R.761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors en vigueur ;

16. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner, en application des dispositions de l’article L.761-1, le CHU de Bordeaux à verser à Mme B== et autres une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : La requête du CHU de Bordeaux est rejetée.

Article 2 : Les sommes que le CHU de Bordeaux a été condamné à verser par le jugement attaqué sont augmentées selon les modalités définies au point 14 des motifs du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le CHU de Toulouse versera à Mme B== et autres la somme de 1 535 euros, en application des articles L. 761-1 et R.761-1 du code de justice administrative .

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B== et autres est rejeté.