Vu le recours, enregistré le 9 mai 2012, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat (direction de contrôle fiscal sud-ouest) ;

Le ministre du budget demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°s 0803278, 0804030 du 3 janvier 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à la société Stryker Spine, d'une part, la réduction, à concurrence de 215 226 euros en droits et de 51 617 euros en pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui lui avaient été assignés au titre de l'année 2003, d'autre part, la décharge du rappel de retenue à la source auquel elle avait été assujettie pour un montant en droits de 186 938 euros et de 19 815 euros en intérêts de retard au titre de l'année 2004 ;

2°) de remettre à la charge de la société Stryker Spine lesdites impositions ;


1. Considérant que la société Stryker Spine, dont l’activité consiste à concevoir, produire et vendre dans le monde entier des implants chirurgicaux pour le rachis, fait partie d’un groupe dont la société mère est la société américaine Stryker Corporation ; qu’en vue d’acquérir le capital de la société Surgical Dynamics GmbH, société allemande relevant du même groupe, pour un montant de 400 millions d’euros, elle a contracté auprès de la société Stryker Howmedica GmbH, elle aussi société allemande relevant de ce groupe, deux emprunts obligataires d’un montant de 200 millions d’euros chacun ; que le premier de ces emprunts, conclu le 5 décembre 2003, est d’une durée de dix ans et son taux nominal, fixe, égal à 8,25 % (taux actuariel : 8,51%) ; que le contrat de prêt prévoit en outre une possibilité de remboursement anticipé au bout de cinq ans ; que le second emprunt, souscrit le 7 décembre 2003, est d’une durée de cinq ans et son taux, variable, déterminé à partir du taux « Libor » à trois mois majoré d’une marge aboutissant à un taux initial de 5, 706% ; que, le 11 décembre 2003, la société Stryker Howmedica GmbH a cédé à la société Stryker Howmedica Iberia SL sa créance sur la société Stryker Spine à hauteur de 357 millions d’euros ; qu’à l’issue d'une vérification de comptabilité, l'administration, estimant que les taux d’intérêt des prêts souscrits en décembre 2003 étaient plus élevés que ceux qui auraient été consentis dans des conditions de pleine concurrence et que la société Stryker Spine avait ainsi consenti à des entreprises établies hors de France un avantage constitutif d’un transfert de bénéfices, a rectifié en conséquence les bases d’imposition de la société à l’impôt sur les sociétés ; que les sommes réintégrées dans les résultats ont en outre été regardées comme des revenus distribués donnant lieu à l’application de la retenue à la source prévue à l’article 182 B II du code général des impôts ; qu’il en résulté l’établissement au titre de l’année 2003 de suppléments d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, ainsi que, au titre de l’année 2004, de retenues à la source ; que, par un jugement du 3 janvier 2012, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande en décharge présentée par la société ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat a fait appel de ce jugement ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article 57 du code général des impôts : « Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions, également applicables à l’établissement de l’impôt sur les sociétés en vertu du I de l’article 209 du même code, qu’il appartient à l’administration d’établir l’existence d’un avantage au profit d’une entreprise étrangère consenti par une entreprise établie en France et placée sous sa dépendance ;

3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il revient à l’administration de démontrer que la société Stryker Spine a consenti à la société allemande auprès de laquelle elle a souscrit les emprunts litigieux une rémunération excédant celle qu’elle aurait dû supporter si elle avait souscrit ces emprunts aux conditions du marché ; qu’afin d’apporter cette démonstration, l’administration soutient que l’écart de crédit (« spread ») révélé par les taux d’intérêt pratiqués en l’espèce est excessif dès lors qu’il ne prend pas en compte la situation du groupe dont fait partie la société alors que celle-ci ne dispose pas de signature en propre auprès d’agences de notation ou d’établissements bancaires, qu’elle est sous la dépendance de la société américaine Stryker Corporation et que le groupe dont cette dernière est la mère était en juillet 2003 coté « BAA 1 » selon le référentiel de notation de l’agence Moody’s, soit l’équivalent de la cotation BBB+ de l’agence Standard & Poor’s ; que les taux d’intérêt que le service a retenu comme conformes à ceux que la société Stryker Spine aurait obtenu dans une situation de pleine concurrence ont été calculés en fonction de l’écart de crédit (« spread ») correspondant à cette notation financière (« credit rating ») du groupe, augmenté de 25 points de base, soit l’équivalent en taux de 0, 25%, afin de tenir compte de la situation propre de la filiale emprunteuse ; que l’administration conteste la validité de l’étude réalisée en septembre 2005 par le cabinet d’avocats TAJ que la société requérante a produite en vue de justifier le taux d’intérêt fixé pour l’emprunt à dix ans et fait valoir notamment que les taux d’intérêts des emprunts litigieux tient compte à tort de l’endettement de 400 millions d’euros résultant pour la société Stryker Spine de la souscription de ces emprunts ; que l’administration se prévaut également des tableaux de rendement établis par le groupe Bloomberg ;

4. Considérant que le risque de défaut de l’entreprise emprunteuse à l’égard de son prêteur, risque dont l’écart de crédit ou prime de risque constitue la contrepartie, dépend de sa capacité à faire face au remboursement des échéances de l’emprunt pendant toute la durée de celui-ci ; que cette capacité est appréciée au regard de la situation propre de cette entreprise, caractérisée notamment par ses bilans et comptes de résultats, sa politique financière, sa rentabilité et sa profitabilité, ses liquidités, sa marge de manœuvre financière, son secteur d’intervention, son positionnement concurrentiel sur le marché, la qualité de son équipe dirigeante ; que, si l’appartenance de cette entreprise à un groupe constitue un des éléments caractérisant sa situation et peut ainsi être prise en compte dans l’appréciation du risque de défaut qu’elle présente, ce ne peut être que dans la mesure de son incidence sur les critères au regard desquels s’apprécie ce risque ; qu’à cet égard, le fait que, comme le fait valoir l’administration, la société Stryker Spine fasse partie d’un groupe étroitement contrôlé par la société mère américaine, laquelle détermine en particulier la politique de ses filiales en matière de coûts, de prix et de qualité des produits, ne suffit pas à démontrer que le risque de défaut de paiement que présentait la société Stryker Spine à la date de souscription des emprunts devait être apprécié essentiellement, ainsi que l’a estimé le service des impôts, au regard de la situation financière de l’ensemble du groupe ; qu’aucun des éléments dont fait état l’administration ne fait ressortir que la société mère ou une autre société membre du groupe serait nécessairement venue suppléer le défaut de paiement dont aurait pu faire preuve la société Stryker Spine pendant la durée des emprunts litigieux ; que la marge de manœuvre financière de cette dernière pendant la durée des emprunts, qui constitue un des éléments d’appréciation du risque de crédit, devait nécessairement être appréciée en tenant compte du montant de ces emprunts ; que l’administration n’apporte pas de critique sérieuse quant à l’évaluation par un cabinet spécialisé, selon les méthodes de l’agence de notation Standard & Poor’s, du risque de crédit que présentait la société Stryker Spine en 2003, étude qui fait ressortir que le « spread » relatif à l’emprunt d’une durée de dix ans correspondait à la cotation BB pouvant être attribuée à cette société selon les critères de cette agence ; qu’il n’est pas davantage démontré que l’option de remboursement anticipé à cinq ans prévue par le contrat d’emprunt à taux fixe aurait été rémunérée de façon excessive alors au contraire que l’étude dudit cabinet fait ressortir que, par référence au marché des « swaption », une telle option est rémunérée dans une fourchette comprise entre 59 et 70 points de base (soit entre 0, 59% et 0,70% en taux) ; qu’enfin, les tableaux de rendement établi par le groupe Bloomberg dont se prévaut l’administration présentent un caractère trop général pour constituer des éléments de comparaison pertinents et, de plus, aboutissent, pour une entreprise cotée BB, à un taux supérieur à celui retenu en l’espèce pour le prêt à cinq ans ; que, par suite, l’administration ne peut être regardée comme établissant, par les éléments qu’elle invoque, que les taux d’intérêt des emprunts litigieux présentaient un caractère excessif au regard de ceux que la société Stryker Spine aurait pu obtenir aux conditions du marché ; qu’elle n’apporte pas, dans ces conditions, la preuve que cette société a consenti à une société établie hors de France un avantage constitutif d’un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 précité du code général des impôts ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de la SAS Stryker Spine ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Stryker Spine et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à la société Stryker Spine la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Stryker Spine est rejeté.