Vu la requête, enregistrée le 14 août 2013, présentée pour Mme L== et Mme C==, par la CDN Juris ;

Mmes L== et C== demandent à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1101026 du 20 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 13 janvier 2011 par laquelle le préfet de la Gironde a refusé d'abroger le décret du 8 août 1855 en tant qu'il inclut, dans le domaine public maritime, le moulin à vent dit "Moulin Larrieu" situé sur les parcelles cadastrées C8 et C9, dans le port de Larros à Gujan Mestras ;

2°) d’annuler cette décision du 13 janvier 2011 ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Gironde d'abroger le décret du 8 août 1855 en tant qu'il inclut, dans le domaine public maritime, le moulin à vent dit "Moulin Larrieu" situé sur les parcelles cadastrées C8 et C9 dans le port de Larros à Gujan Mestras, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, et d’assortir cette injonction d’une astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;


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1. Considérant que Mmes L== et C== se prévalent de la propriété d’un moulin à vent construit en 1808 par leurs ancêtres, situé sur les parcelles cadastrées C8 et C9 dans le port de Larros à Gujan-Mestras ; que ce moulin avait été inclus dans les limites du domaine public maritime par un décret impérial du 8 août 1855 ; que les consorts L== se sont vu délivrer des autorisations d’occupation temporaire du domaine public à partir de 1958 ; que par une décision du 3 juin 1988, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de Mme L., mère des requérantes, tendant à la modification de ce décret impérial de 1855 ; que par une lettre du 20 juillet 2010 adressée au préfet de la Gironde, Mesdames L== et C== ont sollicité l’abrogation du décret du 8 août 1855 en tant qu'il a inclus dans le domaine public maritime la parcelle sur laquelle est édifié le moulin à vent qu’elles estiment leur appartenir ; que par une décision du 13 janvier 2011 prise après consultation du service des domaines, le préfet de la Gironde a rejeté leur demande aux motifs d’une part, que ce moulin avait été inclus dans la zone des « Prés salés » par un décret impérial du 8 août 1855 devenu définitif faute d’avoir été contesté devant le Conseil d’Etat et d’autre part, qu’elles n’étaient pas titulaires de droits fondés en titre dont l’origine serait antérieure à la promulgation de l’édit de Moulins du 15 février 1566 ; que Mesdames L== et C== relèvent appel du jugement n° 1101026 du 20 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision de refus d'abrogation;

Sur la légalité de la décision :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L.2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : « Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; 2° Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ; 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963 (…) » ;

3. Considérant que le décret napoléonien du 8 août 1855, qui définit les limites du domaine public maritime dans la commune de Gujan, précise que la limite du rivage est matérialisée par une ligne qui suit notamment « le chemin de fer sur une longueur de 213 m, les digues jusqu’au port de Larros, le chemin de fer sur une longueur de 490 mètres. » ; qu’il est constant que les parcelles supportant ce moulin, qui se trouvaient en avant des digues mentionnées dans ce document, sont ainsi incluses dans les limites du domaine public maritime ;

4. Considérant cependant, que ce décret portant délimitation du rivage du bassin d’Arcachon est un acte déclaratif qui se borne à constater les limites du rivage de la mer, telles qu'elles résultent des phénomènes naturels observés ; qu’eu égard au caractère recognitif d’un tel acte, la délimitation à laquelle il procède peut être contestée à toute époque, contrairement à ce qu’a indiqué le préfet de la Gironde, alors au surplus que les conditions de publication du décret du 8 août 1855 ne ressortent pas des pièces du dossier ; que ses énonciations ne font donc pas obstacle à ce que soit apportée la preuve que les parcelles en cause ne sont pas comprises dans les limites du domaine public maritime, telles qu'elles sont définies par ces phénomènes naturels ; que par suite, la circonstance que les requérantes ne soient pas titulaires de droits fondés en titre antérieurement à la promulgation de l’édit de Moulins du 15 février 1566, également opposée par le préfet dans sa décision du 13 janvier 2011, est sans incidence ;

5. Considérant que Mesdames L== et C== soutiennent que les parcelles d’assiette du moulin, qui constituaient une butte, n’ont jamais été recouvertes par les plus hautes eaux et ne pouvaient dès lors être intégrées au domaine public maritime ;

6. Considérant que le préfet n’a produit devant le tribunal aucun document de nature à infirmer cette allégation et à démontrer que le moulin aurait été atteint, même par le plus haut flot, avant ou après les opérations de délimitation du domaine public au niveau du bassin d’Arcachon intervenues en 1855 ; que le ministre se borne à faire valoir devant la cour, de manière au demeurant erronée, que le seul fait que le moulin ne soit pas atteint par les plus hautes eaux en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ce qu’il ne conteste donc pas, serait sans incidence sur la légalité du décret dont il est demandé l’abrogation partielle ; qu’en outre, l’administration a reconnu que ce moulin n’avait pas été mentionné sur le plan annexé au décret de 1855 ; qu’il ressort des pièces du dossier, et en particulier des relevés de nivellement établis par l’IGN et produits par les requérantes, que l’emprise du moulin de Larros se situe 10 centimètres en-dessous du niveau de la voie de chemin de fer, dont la ligne avait été prise en référence pour déterminer la limite du domaine public maritime, et 55 centimètres au-dessus du niveau de la digue du port de Larros ; que ces relevés altimétriques démontrent ainsi de manière suffisamment certaine que ce moulin, qui avait d’ailleurs été édifié au début du XIXème siècle, soit antérieurement au creusement du port de Larros, ne pouvait être atteint par les plus hautes eaux en 1855 ; que par ailleurs, il n’est pas non plus contesté que l’emprise du moulin ne constitue pas un relais de la mer constitué depuis 1963, et qu’elle n’appartenait pas non plus au domaine privé de l’Etat avant cette date ; que, par suite, l’emprise du moulin du port de Larros, qui devait être regardée comme en-deçà du rivage de la mer, ne pouvait faire partie du domaine public maritime ; qu’il appartenait alors au préfet de faire droit à la demande de rectification qui lui était présentée ;

7. Considérant en revanche qu’en l’absence d’indication sur l’altimétrie du reste des parcelles C8 et C9, il n’est pas démontré que leur incorporation au domaine public aurait été erronée ; que dans ces conditions, les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir d’une atteinte à un droit de propriété ou d’une méconnaissance de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que par suite, le surplus des conclusions des requérantes tendant à ce que soit annulée la décision par laquelle le préfet a refusé d’abroger ce décret impérial en tant qu’il a incorporé au domaine public l’intégralité de ces deux parcelles doit être rejeté ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mmes L== et C== sont seulement fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision du 13 janvier 2011 du préfet de la Gironde refusant de modifier le décret du 8 août 1855 en tant qu'il a inclus dans le domaine public maritime la seule emprise du moulin du port de Larros ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

9. Considérant qu’aux termes de l’article L.911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » ;

10. Considérant que l’annulation partielle de la décision du préfet de la Gironde du 13 janvier 2011 implique nécessairement de rectifier le décret du 8 août 1855 en tant qu’il a incorporé l’emprise du moulin du port de Larros dans le domaine public maritime ; qu’il y a lieu pour la Cour d’enjoindre à l’Etat d’y procéder dans un délai de deux mois ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mesdames L== et C== au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1101026 du 20 juin 2013 du tribunal administratif de Bordeaux et la décision du 13 janvier 2011 du préfet de la Gironde en tant qu’elle a refusé d’exclure l’emprise du moulin du Port de Larros du domaine public maritime sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à l’Etat de rectifier, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le décret du 8 août 1855 en tant qu’il inclut dans le domaine public maritime l’emprise du moulin du port de Larros à Gujan-Mestras.

Article 3 : L’Etat versera une somme globale de 1 500 euros à Mesdames L== et C== en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.