Vu la requête, enregistrée par télécopie le 10 décembre 2012 et régularisée le 12 décembre 2012, présentée pour Mme Annick G==, par Me Lehman ;

Mme G== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 21/10 du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la délibération du 2 juin 2010 du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon accordant à son président la protection contre les outrages dont il a été victime dans l’exercice de ses fonctions, désignant un avocat pour assurer sa défense et décidant que les frais et honoraires seraient pris en charge par la collectivité ;

2°) d’annuler cette délibération ;

3°) d’enjoindre à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon de prendre toutes mesures propres à assurer le remboursement par l’intéressé des sommes exposées en exécution de cette délibération ;

4°) de condamner la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


1. Considérant que, par délibération du 2 juin 2010, le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon a accordé à son président la protection de cette collectivité, en désignant un avocat pour le représenter dans les actions judiciaires dirigées contre l’auteur de propos qu’il estimait outrageants et en décidant que les frais et honoraires seraient pris en charge par la collectivité ; que Mme G==, responsable de la publication de ces propos et membre du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon l’annulation de cette délibération ; que Mme G== relève appel du jugement du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions en annulation :

2. Considérant qu’aux termes de l’article LO. 6434-8 du code général des collectivités territoriales : « Le président du conseil territorial, les vice-présidents ou les conseillers territoriaux ayant reçu délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code. / La collectivité est tenue de protéger le président du conseil territorial, les vice-présidents ou les conseillers territoriaux ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. » ;

3. Considérant que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l’objet ; que ce principe général du droit a d'ailleurs été expressément réaffirmé par la loi, notamment en ce qui concerne les fonctionnaires et agents non titulaires par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique, et par les articles L. 2123-34, L. 2123-35, L. 3123-28, L. 3123-29, L. 4135-28 et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales, s’agissant des exécutifs des collectivités territoriales métropolitaines, ainsi que, s’agissant plus particulièrement de l’exécutif de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, par les dispositions précitées de l’article LO. 6434-8 du même code ; qu’ainsi, la circonstance que la délibération contestée accorde au président du conseil territorial la protection de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon contre des « outrages », alors que les faits contre le responsable desquels étaient engagées des actions devant le juge pénal ne pourraient pas être ainsi qualifiés, n’était pas de nature à faire regarder la demande tendant au bénéfice de cette protection comme n’entrant pas dans le champ d’application de ces dispositions, dès lors que les propos visant le président du conseil territorial avaient été proférés à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ;

4. Considérant que les dispositions précitées de l’article LO. 6434-8 du code général des collectivités territoriales établissent à la charge de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, au profit des élus qu’elles visent lorsqu'ils ont été victimes d’attaques dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ; que si cette obligation peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’intéressé est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis¸ laquelle peut notamment consister à assister, le cas échéant, l’élu dans les poursuites judiciaires qu'il entreprend pour se défendre, il appartient dans chaque cas à la collectivité publique d’apprécier, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de la question posée au juge et de la gravité des faits qui font l’objet des poursuites entreprises, les modalités appropriées à l’objectif poursuivi ;

5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, le 17 septembre 2009, le 21 septembre 2009 et le 22 septembre 2009, ont été mis en ligne, sur le site internet du groupe de conseillers territoriaux de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon « Cap sur l’avenir », des articles dont Mme G== ne conteste pas devoir assumer la responsabilité ; que ces articles étaient relatifs à une délibération adoptée lors de la séance du 17 septembre 2009 du conseil territorial et relative au rachat par la collectivité d’un certain nombres de parts d’une société d’économie mixte locale à un prix jugé excessif et décrit comme caractérisant une « subvention détournée » à l’entreprise à laquelle ces parts étaient rachetées ; que ces articles contenaient non seulement, une critique virulente de cette délibération mais aussi, des propos mettant en cause le président du conseil territorial ainsi que tous les membres de ce conseil ayant voté la délibération ; que toutefois, ces propos n’excédaient pas les limites de la controverse entre les participants du débat public auquel pouvait donner lieu l’adoption de la délibération ; que le président du conseil territorial, les vice-présidents ou les conseillers territoriaux ayant reçu délégation, qui ne sont pas tenus par le devoir de réserve auquel sont soumis les fonctionnaires, disposent de la possibilité de participer à un tel débat public, sans avoir recours à la protection prévue par les dispositions précitées de l’article LO. 6434-8 du code général des collectivités territoriales, qui n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de faire prendre en charge par le budget de la collectivité territoriale les frais de la continuation dans les prétoires de débats politiques ; que, dans ces conditions, les propos contenus dans les articles litigieux n’étaient pas d’une gravité suffisant à justifier que la protection de la collectivité fût accordée au président du conseil territorial par la prise en charge par cette collectivité de l’intégralité des frais des procédures engagées contre Mme G== ; que, pour ce motif, la délibération du 2 juin 2010 du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon accordant à son président la protection de cette collectivité est illégale et doit être annulée ;

6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens, Mme G==, dont la demande au tribunal administratif n’était pas tardive, dès lors que le délai de recours contentieux avait été conservé, sans qu’il en résulte une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe de sécurité juridique, par la demande qu’elle avait adressée au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon pour qu’il défère la délibération au tribunal administratif, est fondée à demander l’annulation du jugement du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la délibération du 2 juin 2010 du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

7. Considérant que l’annulation de la délibération du 2 juin 2010 du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon n’implique pas nécessairement, eu égard aux motifs qui la fondent, que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon prenne les mesures nécessaires au remboursement par l’intéressé de l’intégralité des frais et honoraires engagés, en exécution de cette délibération, pour l’ensemble des procédures judiciaires dirigées contre Mme G== ; que, par suite cette dernière n’est pas fondée à demander qu’il soit enjoint à la collectivité de prendre ces mesures ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon tendant à leur application ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon à verser à Mme G== une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du 26 septembre 2012 du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon et la délibération du 2 juin 2010 du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon sont annulés.

Article 2 : La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon versera la somme de 1 500 euros à Mme G== en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme G== et les conclusions de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.