Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour par télécopie le 26 septembre 2012 et régularisée le 28 septembre 2012, ainsi que les mémoires enregistrés le 19 août 2013 et le 13 février 2014, présentés pour la société Engen Réunion, dont le siège est au 1, rue Sully Prudhommes à Le Port (97240), par Me Petilon ;

La société Engen Réunion demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°1000086 du 10 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande tendant à l’annulation des arrêtés du 14 septembre 2009 et du 16 décembre 2009 par lesquels le préfet de la Réunion a fixé le prix de certains hydrocarbures liquides et du gaz à la Réunion à compter respectivement du 15 septembre 2009 et du 17 décembre 2009 et à la réparation des préjudices causés par ces arrêtés ;

2°) d’annuler les arrêtés contestés ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 4 484 012 euros, assortie des intérêts de retard capitalisés à compter de la date de la demande de première instance conformément à l’article 1154 du code civil ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;


1. Considérant que la société Engen Réunion a demandé au tribunal administratif de Saint-Denis l’annulation des arrêtés du 14 septembre 2009 et du 16 décembre 2009 par lesquels le préfet de la Réunion a fixé le prix de certains hydrocarbures liquides et du gaz à la Réunion à compter respectivement du 15 septembre 2009 et du 17 décembre 2009 et la réparation des préjudices causés par ces arrêtés ; que, par un jugement en date du 10 juillet 2012, le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande ; que la société Engen Réunion interjette appel de ce jugement ;

Sur la légalité des arrêtés contestés :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 410-2 du code de commerce issu de l’article 1er de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. / Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’Etat peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence./Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’Etat, contre des hausses ou des baisses excessives des prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois. » ;

3. Considérant que le décret n° 88-1045 du 17 novembre 1988 a été pris sur le fondement des dispositions alors en vigueur du deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance du 1er décembre 1986 reprises au deuxième alinéa précité de l’article L. 410-2 du code du commerce ; qu’il a, par son article 1er, fixé les prix de vente maxima des produits pétroliers (supercarburant, essence, pétrole lampant, gazole) dans le département de la Réunion ; qu’aux termes de l’article 5 du même décret : « Les prix fixés pour les produits pétroliers peuvent être modifiés par arrêté préfectoral en fonction de l’évolution du prix des produits importés. / Le préfet peut modifier, une fois par an, les prix prévus aux articles 1er et 2 compte tenu des variations justifiées des salaires et des autres éléments de prix de revient » ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des avis du Conseil de la concurrence du 16 mars 1988 et de l’Autorité de la concurrence du 24 juin 2009 et du 3 février 2010, que le marché des produits pétroliers sur l’île de la Réunion se caractérisait en 1988 et toujours en 2009, en raison de sa petite taille et de la dépendance de cette île vis-à-vis des importations, par une situation monopolistique en ce qui concerne l’approvisionnement en carburants, le transport de ces produits et leur stockage ; que cette particularité du marché des produits pétroliers sur l’île de la Réunion justifie, quand bien même la distribution est assurée par quatre opérateurs, l’instauration, par le décret du 17 novembre 1988 précité, sur le fondement des dispositions législatives précitées, d’une réglementation des prix de vente pratiqués à la Réunion sur ces produits ;

5. Considérant que dès lors que le pouvoir dont dispose le préfet pour réglementer le prix des produits pétroliers pratiqué sur l’île de la Réunion découle, ainsi qu’il vient d’être dit, de dispositions législatives, la société requérante ne peut contester la conformité d’une telle réglementation, dans son principe, à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie en dehors de la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution ;

6. Considérant que les dispositions précitées de l’article 5 du décret du 17 novembre 1988 donnent au préfet de la Réunion la possibilité de modifier les prix fixés pour la vente des produits pétroliers à la Réunion en fonction de l’évolution du prix des produits importés et, une fois par an, en fonction des variations justifiées des salaires et autres éléments du prix de revient ; qu’eu égard à l’objectif que le législateur a poursuivi en autorisant le pouvoir réglementaire à réglementer les prix dans des secteurs ou des zones caractérisés par une altération du libre jeu de la concurrence, ces dispositions ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de contraindre le préfet, dans l’exercice de son pouvoir propre de réglementation, à répercuter sur les prix maximums qu’il fixe pour la vente des produits pétroliers, l’intégralité des hausses, comme d’ailleurs des baisses, qui ont pu être constatées dans le prix des produits importés à la Réunion, non plus que les évolutions qui ont pu être constatées en ce qui concerne les autres éléments constitutifs du prix de revient supportés par les distributeurs ; qu’au contraire, les dispositions du premier alinéa de l’article 5 du décret permettent au préfet de la Réunion de tenir compte notamment, d’une part, de l’évolution tendancielle du prix des produits importés, et d’autre part, de la situation économique de l’île, en particulier de l’évolution du pouvoir d’achat des consommateurs et de la situation des entreprises ; que, par suite, en décidant de tenir compte, pour fixer, par les arrêtés contestés, pris sur le fondement de ces dispositions, les prix maximums applicables à compter respectivement du 15 septembre 2009 et du 17 décembre 2009 pour la vente des produits pétroliers à la Réunion, de l’évolution tendancielle du prix des produits importés et de la nécessité de préserver les intérêts des ménages et des entreprises, le préfet de la Réunion n’a pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, commis d’erreur de droit ;

7. Considérant que les arrêtés contestés ayant été légalement pris, ainsi qu’il vient d’être dit, sur le fondement de l’article 5 du décret du 17 novembre 1988 pris pour l’application des dispositions désormais codifiées au deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code du commerce, le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu sa compétence en prenant des mesures qui ne pouvaient être prises que par le Gouvernement sur le fondement du troisième alinéa précité de ce même article L. 410-2 ne peut qu’être écarté ;

8. Considérant qu’en prenant en considération la situation économique de l’île de la Réunion, en particulier l’évolution du pouvoir d’achat des consommateurs et la situation des entreprises, le préfet n’a pas usé des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions réglementaires et législatives précitées pour un objet autre que celui à raison desquels ils lui ont été conférés ; que le moyen tiré du détournement de pouvoir ne saurait, dès lors, être accueilli ;

9. Considérant que la société requérante invoque la méconnaissance par les arrêtés litigieux du protocole d’accord signé le 16 avril 1998 par le préfet et les représentants des quatre sociétés assurant l’approvisionnement de l’île de la Réunion en carburants, qui avait défini un calendrier de révision des prix réglementés et des modalités d’actualisation de ces prix en fonction de leurs différents éléments constitutifs ; que, toutefois, un tel accord n’est prévu par aucun texte législatif ou réglementaire et n’a pu légalement limiter les pouvoirs de réglementation des prix qui ont été conférés au préfet par les dispositions sus-rappelées du décret du 17 novembre 1988 ; que, dès lors, la société requérante ne saurait, en aucun cas, utilement invoquer cet accord, ou tout avenant à cet accord, pour contester la légalité des arrêtés préfectoraux litigieux ;

10. Considérant qu’à supposer même que, comme le fait valoir la société requérante, le préfet aurait défini, dans ses courriers adressés en mars 2003 au président du comité des importateurs d’hydrocarbures, de nouvelles « dispositions tarifaires », il n’était pas légalement tenu de maintenir ces « dispositions » qui ne peuvent, dès lors, et en tout état de cause, être utilement invoquées pour contester la légalité des arrêtés critiqués ;

11. Considérant qu’aux termes de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » ; qu’une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d’un bien qu’elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu’à défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; qu’en modifiant pour l’avenir, par les arrêtés attaqués, les prix de vente maxima des produits pétroliers à la Réunion, le préfet, qui n’avait pris auparavant aucun engagement de maintenir le régime antérieur de détermination de ces prix sans limitation de durée ou jusqu’à une date déterminée, n’a privé la société requérante d’aucune espérance légitime au sens de ces stipulations ;



12. Considérant qu’il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, dès lors que les arrêtés critiqués s’inscrivent dans une évolution progressive des prix de vente maxima des carburants sur l’île de la Réunion tenant compte notamment de la variation du prix des produits importés même si les hausses de ce prix n’ont pas été intégralement répercutés sur les prix réglementés, que l’application immédiate de ces arrêtés aient porté aux intérêts privés de la société requérante une atteinte excessive ; que la société requérante ne peut utilement se prévaloir, ainsi qu’il a été dit au point 7 ci-dessus, d’une situation contractuelle en cours à la date de ces arrêtés ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces derniers auraient été pris en méconnaissance du principe de sécurité juridique ne peut être accueilli ;

13. Considérant que si la société réunionnaise de produits pétroliers bénéficie, sur l’île de la Réunion, d’une situation de monopole en ce qui concerne le stockage des carburants, il ne ressort pas des pièces du dossier que la fixation, par les arrêtés litigieux, des prix de vente maxima de ces produits, ait eu, par elle-même, pour effet de favoriser l’exercice par cette société de pratiques consistant à abuser de sa position dominante ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que ces arrêtés méconnaîtraient l’article L. 420-2 du code du commerce qui prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;

14. Considérant qu’en définitive, aucun des moyens invoqués par la société requérante n’est de nature à entraîner l’annulation des arrêtés préfectoraux attaqués ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

15. Considérant, d’une part, que, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la société requérante n’est pas fondée à se prévaloir de ce que les arrêtés en litige seraient entachés d’une illégalité constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;

16. Considérant, d’autre part, que la société requérante invoque le non-respect des engagements qu’aurait pris le préfet dans ses courriers de mars 2003, déjà cités au point 10 ci-dessus ; que, toutefois, si ces courriers évoquent le maintien de la référence à des éléments de coûts convenus en commun et récapitulés dans une structure stable, ils précisent aussi vouloir faire évoluer le dispositif instauré en 1998 en « gommant toutes les dispositions qui pourraient être interprétées comme étant de nature à retreindre » les « compétences unilatérales du préfet de la Réunion en matière de fixation des prix aux termes du décret du 17 novembre 1988 » et ne comportent aucun engagement précis dans le temps dont la société serait, en tout état de cause, fondée à se prévaloir ; que la responsabilité de l’Etat ne saurait donc être engagée du fait du non-respect d’engagements ou de promesses non tenus ;

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

17. Considérant que des mesures de réglementation des prix, établies dans un but d'intérêt général, sur le fondement des dispositions législatives et réglementaires précédemment rappelées, ne sauraient ouvrir droit à réparation en l'absence d'une faute imputable à l'Etat ; que la société requérante ne peut, dès lors, obtenir réparation sur le fondement de la rupture du principe d’égalité devant les charges publiques ;

18. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Engen Réunion n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Engen Réunion demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l’Etat au titre de ces mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Engen Réunion est rejetée.

Article 2 : les conclusions présentées par l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.