Vu la requête enregistrée par télécopie le 20 août 2012 et régularisée le 24 août 2012, présentée pour M. D== L==

M. L== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1001050 du 27 juin 2012, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur mettant fin à son détachement dans l’emploi fonctionnel de conseiller administratif de l’intérieur et de l’outre-mer (CAIOM), ainsi que de la décision engageant la cessation anticipée de ses fonctions et à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros ;

2°) d’annuler l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 800 000 euros en réparation des préjudices subis ; 4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative ;




1. Considérant que M. L==, recruté, par la voie des instituts régionaux d’administration, dans le cadre national des préfectures le 1er janvier 1984, en qualité d’attaché de préfecture, a accédé au grade de directeur de préfecture le 1er février 2002 pour exercer ses fonctions dans les services de la préfecture des Côtes-d’Armor ; qu’il a été affecté, à compter du 1er mars 2005, à la préfecture de la Dordogne, où lui a été confiée la direction de la coordination interministérielle, par détachement d’une durée de cinq ans, d’abord dans l’emploi fonctionnel de directeur des services de préfecture, puis, à compter du 1er janvier 2008, dans l’emploi fonctionnel de conseiller d’administration de l’intérieur et de l’outre-mer (CAIOM) ; que, toutefois, dans la perspective d’une réorganisation des services de l’Etat dans le département comportant la suppression de la direction de la coordination interministérielle à compter du 1er janvier 2010, la direction d’un pôle juridique interministériel a été proposée à l’intéressé, qui l’a refusée ; que par arrêté du 24 février 2010, le ministre de l’intérieur a mis fin à son détachement dans l’emploi de CAIOM et a prononcé la réintégration de M. L== dans le corps des directeurs de préfecture, à compter du 1er mars 2010 ; que M. L== a présenté au tribunal administratif de Bordeaux une demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur, ainsi que de la décision non formalisée engageant la cessation anticipée de ses fonctions et à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros, portée à 800 000 euros en cours d’instance ; qu’il relève appel du jugement du 27 juin 2012 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu’il a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 et sa demande d’indemnité ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant, en premier lieu, que M. L== soutient que le jugement est entaché d’une insuffisance de motivation en ce qu’il n’a pas répondu à l’ensemble de ses moyens et notamment aux moyens soulevés à l’encontre de l’arrêté du 24 février 2010 ; que, dans le jugement attaqué, pour écarter ces moyens, le tribunal administratif a relevé que l’administration se trouvait en situation de compétence liée pour prendre cet arrêté et en a déduit que les moyens dirigées contre cet arrêté étaient inopérants ; qu’ainsi les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement sur ce point ; que dès lors qu’ils ne sont pas tenus de répondre à l’ensemble des arguments invoqués au soutien des moyens présentés, ils n’ont entaché leur jugement d'aucune omission de nature à entraîner son annulation ;

3. Considérant en deuxième lieu, que pour rejeter comme irrecevables les conclusions indemnitaires présentées par M. L==, les premiers juges ont, comme le faisait valoir l’administration en défense, relevé que le contentieux n'était pas lié en l'absence de demande préalable en se fondant sur l’article R. 421-1 du code de justice administrative ; qu’en procédant ainsi, le tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis ; que par suite, M. L== n’est pas fondé à demander l’annulation du jugement attaqué pour irrégularité ;

Sur la légalité de l’arrêté du 24 février 2010 :

4. Considérant que, pour demander l’annulation du jugement attaqué, en tant qu’il a rejeté ses conclusions à fin d’annulation, M. L== soutient que c’est à tort que les premiers juges ont estimé que le ministre de l’intérieur était tenu de mettre fin à son détachement dans l’emploi de CAIOM ;

5. Considérant qu’aux termes de l’article 7 du décret susvisé du 17 octobre 2007 : « La gestion de l'emploi de conseiller d'administration est assurée par le ministre de l'intérieur. / La nomination est prononcée par un arrêté du ministre de l'intérieur, pour une durée maximale de cinq ans, renouvelable une fois sur le même emploi. Lorsque l'emploi concerné est situé dans les greffes des tribunaux administratifs ou des cours administratives d'appel, la nomination s'effectue sur proposition du vice-président du Conseil d'Etat. / Lorsque l'emploi concerné est situé dans les services de l'administration centrale du ministre chargé de l'outre-mer, la nomination s'effectue sur proposition de ce ministre (…) / Lorsque l'emploi concerné est situé dans un établissement public, la nomination s'effectue sur proposition du président ou du directeur de cet établissement / Les fonctionnaires nommés dans un tel emploi sont placés en position de détachement. Ils peuvent se voir retirer leur emploi dans l'intérêt du service. / Lorsqu'un fonctionnaire en fin de détachement se trouve dans la possibilité de faire liquider ses droits à pension dans le délai de deux ans maximum, une prolongation exceptionnelle de détachement sur le même emploi peut lui être accordée, sur sa demande, pour une période de deux ans maximum. » ; qu’aux termes de l’article 12 de ce décret : « A compter de la date d'entrée en vigueur du présent décret, les fonctionnaires détachés dans un emploi de directeur des services de préfecture régis par les dispositions du décret n° 2004-671 du 8 juillet 2004 relatif aux emplois de directeur des services de préfecture, qui occupent un des emplois prévus à l'article 2, sont maintenus dans ces fonctions, placés jusqu'au terme de leur détachement dans l'emploi de conseiller d'administration (…) » ;

6. Considérant qu’en « mettant fin » au détachement de M. L== dans l’emploi de CAIOM à l’expiration de la période pour laquelle ce détachement avait été prononcé, le ministre de l’intérieur a décidé de ne pas renouveler ce détachement ; qu’il résulte des termes mêmes des dispositions précitées de l’article 7 du décret du 17 octobre 2007, d’une part, que le détachement dans l’emploi de CAIOM est renouvelable, d’autre part, que, sauf dans le cas des CAIOM exerçant ou devant exercer certaines fonctions dans les tribunaux administratifs ou les cours administratives d’appel, au ministère chargé des outre-mers et dans des établissements publics, la décision du ministre de l’intérieur relative au détachement dans l’emploi de CAIOM ou à son renouvellement n’est précédée d’aucune proposition d’une autre autorité ; que, dès lors, les premiers juges n’ont pu se fonder sur les dispositions du décret susvisé du 16 septembre 1985, en vertu desquelles l’autorité compétente de l’administration d’origine du fonctionnaire intéressé n’a pas d’autre choix que de mettre fin au détachement de celui-ci, soit lorsqu’un détachement qui n’est pas ou qui n’est plus renouvelable est arrivé à son terme, soit lorsque l’autorité compétente de l’administration auprès de laquelle le fonctionnaire est détaché demande la fin du détachement ou ne demande pas son renouvellement, pour estimer que le ministre de l’intérieur avait compétence liée pour mettre fin au détachement de M. L== dans l’emploi de CAIOM, à compter du 1er mars 2010, à la fin de la période de cinq ans pour laquelle ce détachement avait été initialement prononcé ;

7. Considérant qu’ainsi qu’il est dit au point 1, M. L== avait été détaché à compter du 1er mars 2005 et pour une durée de cinq ans, d’abord, en application des dispositions du décret du 8 juillet 2004 relatif aux emplois de directeur des services de préfecture, dans l’emploi fonctionnel de directeur des services de préfecture, puis, à compter du 1er janvier 2008, en application des dispositions précitées du décret susvisé du 17 octobre 2007, dans l’emploi fonctionnel de CAIOM, pour diriger un service de la préfecture de la Dordogne, supprimé, à compter du 1er janvier 2010, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques ; que, toutefois, il n’est ni établi ni même allégué qu’il n’existait aucun emploi fonctionnel de CAIOM susceptible d’être proposé M. L== ; qu’il n’est pas contesté que le poste qui a été proposé à l’intéressé et qu’il a refusé n’était pas de ceux susceptibles d’être occupés par un CAIOM ; qu’en outre, il ressort des pièces du dossier que si les attributions du service supprimé et dirigé par le requérant ont été réparties entre plusieurs directions interministérielles, cette suppression s’est accompagnée de la création, au sein même de la préfecture de la Dordogne, d’au moins un service du niveau de ceux susceptibles d’être occupés par un CAIOM et à l’attribution duquel M. L== pouvait postuler ; que, dans ces conditions, la suppression du service à la tête duquel avait été placé le requérant n’était pas de nature à faire regarder le ministre de l’intérieur comme tenu de mettre fin au détachement du requérant dans l’emploi fonctionnel de CAIOM ;

8. Considérant que c’est à tort que, pour rejeter la demande de M. L==, le tribunal administratif de Bordeaux s’est fondé sur le motif que le ministre de l’intérieur avait pris son arrêté du 24 février 2010 en situation de compétence liée ;

9. Considérant qu’il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur la demande d’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur présentée par M. L== ;

10. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment du motif unique de l’arrêté du 24 février 2010, qui se borne à relever la fin de la période du détachement de M. L==, que, comme il le soutient devant la cour et comme il l’avait soutenu devant le tribunal administratif, le ministre de l’intérieur s’est cru tenu de mettre fin au détachement du requérant dans l’emploi fonctionnel de CAIOM ; qu’ainsi qu’il est dit aux points précédents, cette autorité n’avait pas compétence liée pour ce faire ;

11. Considérant que l’illégalité de la décision de mettre fin au détachement de M. L== dans l’emploi fonctionnel de CAIOM et ne le renouvelant pas entraîne, par voie de conséquence, celle de la décision le réintégrant dans le corps des directeurs de préfecture ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur, M. L== est fondé à en demander l’annulation ;

Sur les conclusions indemnitaires :

12. Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (…) » ;

13. Considérant qu’il résulte de l’instruction, d’une part, que si M. L== avait communiqué directement au ministre de l’intérieur une copie de sa demande présentée au tribunal administratif, cette communication ne peut pas tenir lieu de la présentation d’une demande préalable, seule de nature à faite naître la décision préalable exigée par les dispositions précitées du code de justice administrative et, d’autre part, que le ministre de l’intérieur n'a, devant le tribunal administratif, défendu au fond qu'à titre subsidiaire et a, à titre principal, invoqué l'irrecevabilité des conclusions à fin d'indemnité de M. L== ; que, par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que ce serait par une inexacte application de ces dispositions que le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que ces conclusions de sa demande étaient, faute de décision préalable, irrecevables ;

14. Considérant que ces dispositions, qui n’exigent d’un justiciable ou de son mandataire que l’envoi, qui n’est soumis à aucun formalisme particulier, d’une demande préalable d’indemnité ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte au droit à un procès équitable rappelé par les stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que s’il est vrai que, dans les circonstances de l’espèce, le ministre de l’intérieur avait clairement manifesté son intention de n’accorder aucune indemnité à M. L== en réparation des préjudices qu’il invoquait et si, dans ces conditions, le respect par le requérant de la formalité en cause n’aurait très vraisemblablement pas conduit à une décision autre que de rejet de la réclamation, les premiers juges ne peuvent pas, pour autant, être regardés comme ayant manqué au devoir d’impartialité, qui découle notamment des stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en rejetant comme irrecevables les conclusions à fin d’indemnité de M. L== ;

15. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. L== est seulement fondé à demander l’annulation du jugement du 27 juin 2012 du tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu’il a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que M. L==, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à l’Etat la somme que demande le ministre de l’intérieur au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner, en application de ces dispositions, l’Etat à verser à M. L== une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 27 juin 2012 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé, en tant qu’il a rejeté la demande d’annulation de l’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur présentée par M. L==.

Article 2 : L’arrêté du 24 février 2010 du ministre de l’intérieur est annulé.

Article 3 : L’Etat versera une somme de 1 500 euros à M. L== en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. L==, ainsi que les conclusions du ministre de l’intérieur tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D== L== et au ministre de l’intérieur.