Vu la requête enregistrée par télécopie le 20 mars 2013, et régularisée par courrier le lendemain, présentée pour la société A==, dont le siège social est situé ==, par Me Delaire ;

La société A== demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300034 du 1er mars 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de Mayotte à lui verser une provision de 70 909,15 euros ;

2°) de condamner le département de Mayotte à lui verser, à titre provisionnel, la somme sollicitée, assortie des intérêts au taux légal, sous astreinte de 200 euros par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du département de Mayotte une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics et les décrets n° 2001-210 du 7 mars 2001, n° 2004-15 du 7 janvier 2004 et n° 2006-975 du 1er août 2006 ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;

Vu le décret n° 57-818 du 22 juillet 1957 ;

Vu le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

Vu le décret n° 2008-479 du 20 mai 2008 ;

Vu le décret n° 2008-585 du 19 juin 2008 ;

Vu le décret n° 2011-1104 du 14 septembre 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 9 décembre 2013 : - le rapport de M. Joecklé, président-assesseur ; - les conclusions de M. Bentolila, rapporteur public ; - les observations de Me Barre, avocat du Département de Mayotte, et de Me Delaire, avocat de la société A== ;

1. Considérant que par un marché du 24 septembre 2003, le département de Mayotte a confié à la société S== la maîtrise d’œuvre en vue de la construction de gares maritimes pour le service de transport maritime, pour un montant forfaitaire initial de rémunération de 457 420 euros porté, par un avenant n° 1 du 5 septembre 2008, à 1 479 048,44 euros ; que ce marché de maîtrise d’œuvre a été notifié par un ordre de service le 20 février 2004 ; que par une lettre du 10 février 2011, la société S== a adressé une facture d’un montant de 612 733,40 euros correspondant à l’acompte n° 4 établi en application de l’avenant n° 1 précité ; qu’aucun règlement n’étant intervenu, la société S== a demandé, par un mémoire en réclamation du 30 mars 2011, au département de Mayotte de lui verser ladite somme ; qu’en l’absence de réponse apportée à cette réclamation, la société S== a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d’une demande tendant à ce que le département de Mayotte soit condamné à lui verser une provision d’un montant de 612 733,40 euros ; que par une ordonnance du 30 décembre 2011, le président du tribunal administratif de Mayotte, statuant en référé, a condamné le département de Mayotte à verser à la société S== une provision de 612 733,40 euros ; que cette provision n’a été versée que le 5 septembre 2012 par le département de Mayotte ; que par une lettre du 12 octobre 2012, la société A==, venant aux droits de la société S==, a demandé au département de Mayotte de verser les intérêts moratoires dus pour le règlement de la créance de 612 733,40 euros et estimés par elle à la somme de 70 909,15 euros ; que par une ordonnance du 1er mars 2013, le juge des référés du même tribunal a rejeté la demande de la société A== tendant à la condamnation du département de Mayotte à lui verser cette provision ; que la société A== fait appel de cette ordonnance ;

2. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie. » ;

3. Considérant que pour demander la condamnation du département de Mayotte à verser une provision d’un montant de 70 909,15 euros correspondant aux intérêts moratoires dus pour le règlement de l’acompte de 612 733,40 euros auquel cette collectivité a été condamnée à titre provisionnel, la société requérante se fonde, en premier lieu, sur les dispositions du code des marchés publics du 7 mars 2001 et sur celles du décret du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics ;

4. Considérant qu’en vertu de l’article 74 de la Constitution, « Les collectivités d'outre mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe : - les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ; (…). » ; qu’ainsi, jusqu’à la promulgation de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, la collectivité territoriale puis départementale de Mayotte était soumise au principe de spécialité législative, la législation et la réglementation métropolitaine, autre que celle portant sur les matières limitativement énumérées par l’article 3 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte au nombre desquelles ne figurent pas les règles de droit applicables aux marchés publics, n’étant applicable sur le territoire de cette collectivité que si une mention expresse le prévoyait conformément au IV de ce même article 3 de la loi du 11 juillet 2001 ; que ni le décret du 7 mars 2001, ni celui du 7 janvier 2004, ni celui du 1er août 2006 portant code des marchés publics ne prévoyaient leur applicabilité immédiate à Mayotte ; que le décret du 1er août 2006 portant code des marchés publics n’a été rendu applicable à la collectivité départementale de Mayotte que par le décret du 19 juin 2008 adaptant à Mayotte certaines dispositions du code des marchés publics ; qu’en vertu des dispositions de l’article 2 de ce décret du 19 juin 2008 : « I. - Les marchés publics notifiés antérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret demeurent régis, pour leur exécution, par les dispositions applicables à Mayotte au moment de la passation du marché. Toutefois, les parties peuvent soumettre l’exécution de leurs marchés aux dispositions du code des marchés publics résultant du présent décret. (…) » ;

5. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que la collectivité départementale de Mayotte ait entendu se soumettre volontairement pour la passation du marché de maîtrise d’œuvre en vue de la construction de gares maritimes pour le service de transport maritime au régime juridique des règles de droit applicables aux marchés publics en métropole, que celles-ci soient d'origine nationale ou communautaire, ni en ce qui concerne le marché initial du 24 septembre 2003, ni en ce qui concerne l’avenant n° 1 du 5 septembre 2008 ; qu’ainsi, et en tout état de cause, la société requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions du code des marchés publics du 7 mars 2001 et de celles du décret du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, lequel n’a été rendu applicable à Mayotte que par le décret du 14 septembre 2011, aujourd’hui abrogé, soit à une date postérieure à la date de signature du marché et de son avenant n° 1, pour établir le droit qu’elle allègue au versement d’intérêts moratoires sur le montant de la provision qui lui a été allouée par l’ordonnance du 30 décembre 2011 du juge des référés ;

6. Considérant que la société requérante entend, en deuxième lieu, se prévaloir, dans ses dernières écritures, des dispositions de l’article 5 du décret du 22 juillet 1957, dont les dispositions n’ont été abrogées, en tant qu’elles concernent Mayotte, que le 22 juin 2008, date d’entrée en vigueur du décret susmentionné du 19 juin 2008 ;

7. Considérant qu’aux termes de l’article 5 du décret du 22 juillet 1957 fixant les règles générales applicables aux marchés passés au nom des groupes de territoires, territoires et provinces d’outre-mer : « Les marchés peuvent donner lieu à des versements soit à titre d’avance ou d’acomptes, soit à titre de règlement pour solde. (…) Les opérations effectuées par le titulaire d’un marché qui donnent lieu à versement d’avances ou d’acomptes ou à payement pour solde doivent être constatées par un écrit dressé par l’autorité contractante dans les délais fixés par le cahier des charges applicables au marché ou par le marché lui-même. Les retards intervenant, du fait de l’administration, dans le mandatement des sommes dues à titre d’acomptes ou de solde ouvrent droit automatiquement à versement d’intérêts moratoires. » ;

8. Considérant que les dispositions précitées de l’article 5 du décret du 22 juillet 1957 ne prévoyaient pas elles-mêmes un délai maximum de paiement pour les marchés publics passés au nom des groupes de territoires, territoires et provinces d’outre-mer au nombre desquels figure la collectivité départementale de Mayotte ; que la société requérante, qui reconnaît d’ailleurs que les conditions du règlement du marché qu’elle a contracté avec le conseil général de Mayotte ne sont pas encadrées par les stipulations du contrat, n’invoque la méconnaissance d’aucune disposition précise du cahier des clauses administratives générales ou particulières à ce marché qui prévoirait un délai maximum de paiement des acomptes au-delà duquel le cocontractant de l’administration aurait automatiquement droit au versement d’intérêts moratoires en cas de retard intervenant, du fait de l’administration, dans le mandatement des sommes dues au titre de ces acomptes ; qu’ainsi, et en tout état de cause, l’existence de l’obligation de la collectivité départementale de Mayotte ne peut être regardée comme n’étant pas sérieusement contestable au sens de l’article R. 541-1 du code de justice administrative ;

9. Considérant, en troisième lieu, que la société A== a également entendu fonder sa demande sur les dispositions de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, sur celles de l’article L. 911-8 du code de justice administrative et sur celles de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;

10. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi du 11 juillet 1975 relative au taux de l’intérêt légal, désormais codifié à l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, applicable à Mayotte contrairement à ce que soutient le département : « En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. (…) » ; qu’aux termes des dispositions de l’article L. 911-9 du code de justice administrative sur lesquelles la société requérante doit être regardée comme ayant fondé sa demande et non sur celles de l’article L. 911-8 : « Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci après reproduites, sont applicables. " Art. 1er. (…) II. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office. IV. - L'ordonnateur d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local est tenu d'émettre l'état nécessaire au recouvrement de la créance résultant d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision de justice. Faute de dresser l'état dans ce délai, le représentant de l'Etat adresse à la collectivité territoriale ou à l'établissement public local une mise en demeure d'y procéder dans le délai d'un mois ; à défaut, il émet d'office l'état nécessaire au recouvrement correspondant. En cas d'émission de l'état par l'ordonnateur de la collectivité ou de l'établissement public local après mise en demeure du représentant de l'Etat, ce dernier peut néanmoins autoriser le comptable à effectuer des poursuites en cas de refus de l'ordonnateur. L'état de recouvrement émis d'office par le représentant de l'Etat est adressé au comptable de la collectivité territoriale ou de l'établissement public local pour prise en charge et recouvrement, et à la collectivité territoriale ou à l'établissement public local pour inscription budgétaire et comptable. " » ; qu’enfin, aux termes de l’article R. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsqu'une personne publique a fait l'objet d'une condamnation dans les conditions prévues à l'article L. 911-9 les dispositions du décret n° 2008-479 du 20 mai 2008 sont applicables. » ;

11. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, même en l’absence de demande en ce sens et même lorsque le juge ne l’a pas explicitement prévu, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts, du jour de son prononcé jusqu’à son exécution, au taux légal puis au taux majoré, s’il n’est pas exécuté dans les deux mois de sa notification ; que l’article 11 du décret du 20 mai 2008 relatif à l'exécution des condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre des collectivités publiques, applicable sur tout le territoire de la République en application de son article 12, et qui prévoit que « Les procédures prévues par les chapitres I et II du présent décret s'appliquent au paiement des intérêts dont la décision de justice a fixé le point de départ et le taux, sans préjudice de l'obligation pour la collectivité publique de verser les intérêts dus en application de l'article 1153-1 du code civil. », doit être entendu comme ayant précisément réservé le cas des intérêts au taux légal tel que prévu par les dispositions de l’article 1153-1 du code civil en vertu desquelles « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. (…) » ;

12. Considérant que l’ordonnance du 30 décembre 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte condamnant le département de Mayotte à verser à la société S== une provision de 612 733,40 euros, devenue définitive, a été notifiée au département de Mayotte le 13 janvier 2012 ; que, dès lors, la société A==, venant aux droits de la société S== a droit à voir le taux de l’intérêt légal appliqué à cette somme depuis le 30 décembre 2011 augmenté de cinq points à compter de la date du 14 mars 2012 jusqu’au complet règlement des sommes qui lui sont dues, intérêts compris ; que, cependant, les dispositions précitées de l’article L. 911-9 du code de justice administrative permettent à la société d’obtenir elle-même le mandatement d’office de l’intégralité des sommes qui lui sont dues dans les limites précédemment décrites ci-dessus, alors même que l’ordonnance précitée du 30 décembre 2011 ne prévoyait pas le versement d’intérêts ; que cette voie de droit fait obstacle à ce que le juge des référés soit saisi d’une demande de provision portant sur le même objet ; que, par suite, la société A== n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande de provision ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction sous astreinte doivent être rejetées ;

13. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de Mayotte, qui n’est pas la partie perdante pour l’essentiel dans la présente instance, la somme que la société A== demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande du département de Mayotte présentée sur le fondement des mêmes dispositions ;

DECIDE

Article 1er : La requête de la société A== est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de Mayotte au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.