Vu la requête, enregistrée le 22 avril 2011 et régularisée par courrier le 2 mai 2011, présentée pour la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, société anonyme sise 12 place des Etats-Unis à Montrouge (92127), représentée par son directeur général, par Me Glaser ;

La SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1001180 du 24 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la décharge de l’obligation de payer la somme de 88 810 671 euros mise à sa charge par décision du 17 février 2010 du directeur général de l’Agence de services et de paiement (ASP) ou, subsidiairement, la somme de 84 525 378 euros ;

2°) à titre principal, de la décharger de l’obligation de payer cette somme ;

3°) à titre subsidiaire, de lui rembourser la somme de 84 482 137 euros à raison de l’exclusion des dossiers amnistiés, à défaut celle de 52 737 669 euros à raison de l’exclusion des dossiers affectés d’une anomalie sans réelle conséquence financière, à défaut celle de 4 352 euros à raison de l’exclusion des dossiers affectés d’une anomalie légère ;

4°) d’annuler la décision implicite du directeur général de l’ASP rejetant son recours gracieux, de la décision de recouvrement du directeur général de l’ASP en date du 17 février 2010 et de l’ordre de reversement du 24 février 2010 ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 8 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;


Vu l’ordonnance fixant en dernier lieu la clôture de l’instruction au 16 février 2012 à 12h00 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement (CE Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;

Vu le règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999 ;

Vu le règlement (CE) n° 1750/1999 du Conseil du 23 juillet 1999 ;

Vu le règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002 ;

Vu le règlement (CE) n°1290/2005 du Conseil du 21 juin 2005 ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;

Vu l’ordonnance n° 2009-325 du 25 mars 2009 ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 octobre 2012 :

- le rapport de M. Antoine Bec, président assesseur ; - les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ; - les observations de Me Glaser, avocat de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA et de Me Blangy, avocat de l’ASP ;

Vu, enregistrée le 12 novembre 2012 la note en délibéré présentée pour la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA ;

Considérant que, par différentes conventions passées entre 2000 et 2006, l’Etat a confié à la Caisse nationale de Crédit Agricole la distribution de prêts bonifiés à l’agriculture ; que la prise en charge de la bonification par l’Etat et l’Union européenne impliquait le versement par l’Etat à l’établissement de crédit de la différence entre le taux servi et le taux du marché, sur présentation de factures devant permettre à l’Etat de récupérer la contribution de l’Union européenne ; que, le 2 juin 2003, un avenant aux cahiers des charges et aux contrats passés entre l’Etat et la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA au titre des années 2000, 2001 et 2002, assorti d’un protocole d’accord concernant son application, et une convention relative à la distribution des prêts bonifiés à l’agriculture pour la période du 1er mai 2003 au 31 décembre 2006, ont prévu la réfaction des sommes facturées à tort, et ont défini les modalités de contrôle des factures de bonification ; qu’à la suite d’un audit réalisé en 2005, le Centre national d’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) a constaté différentes anomalies sur les opérations intervenues au titre des années 2000 à 2003, qui ont conduit l’Agence de services et de paiement (ASP), venue aux droits du CNASEA, à opérer une réfaction d’un montant de 88 810 671 euros au titre des quatre années en cause, sur la somme de 889 351 567,93 euros facturée à l’Etat par la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA au titre de la même période ; que, par décision du 17 février 2010, le président-directeur général de l’ASP a mis à la charge de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA le remboursement de la somme de 17 245 541,69 euros correspondant à la différence entre la réfaction de 88 810 671 euros et la somme de 71 565 129,31 euros dont l’Etat était encore redevable et, le 24 février 2010, a émis à l’encontre de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA un ordre de reversement de cette somme ; que la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA demande à la cour d’annuler le jugement du 24 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la décharge de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par la décision du 17 février 2010 ;

Sur la compétence du tribunal administratif de Limoges :

Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 312-2 du code de justice administrative : « Lorsqu’il n’a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l’article R. 351-3 et que le moyen tiré de l’incompétence territoriale du tribunal administratif n’a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l’instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d’office par le juge d’appel ou de cassation » ;

Considérant que si les conventions passées entre l’Etat et la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA ont réservé l’attribution des litiges au tribunal administratif de Paris, les dispositions de l’article R. 312-2 du code de justice administrative précitées font obstacle à ce que le moyen tiré de l’incompétence du tribunal administratif de Limoges puisse être invoqué en appel par la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, dès lors qu’il n’a pas été invoqué en première instance ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, que, pour écarter le moyen tiré de la nature de sanction que revêtiraient les réfactions, le tribunal administratif a considéré que ces dernières visaient à garantir la régularité de la dépense publique, nationale et communautaire, et non à sanctionner un comportement fautif, étaient déterminées en proportion des bonifications liées aux dossiers de prêts n’ayant pas été traités selon les obligations de l’organisme de crédit et que les sommes faisant l’objet de la réfaction correspondaient uniquement aux bonifications accordées sur des dossiers irréguliers ; que le tribunal a ainsi suffisamment motivé le rejet du moyen invoqué par la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA ;

Considérant, en second lieu, qu’eu égard à la portée des contrats passés entre le CNASEA et la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, c’est sans entacher sa décision de contradiction de motif que le tribunal administratif a pu relever que les clauses d’un marché, bien qu’elles ne régissent que les relations entre les parties, peuvent également répondre à des considérations d’intérêt général permettant de qualifier de mesures de régulation les réfactions intervenues en application de ces clauses ;

Sur l’obligation de payer :

En ce qui concerne la compétence du CNASEA :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1993 : « Il est créé un établissement public national ayant pour objet d’assurer l’application des dispositions législatives et réglementaires d’aide à l’aménagement des structures agricoles. (…) Le Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles met aussi en œuvre des actions socio-structurelles concourant à la modernisation et à la transmission des exploitations agricoles ainsi que différentes actions dans le domaine de la formation et de l'emploi. (…) » ; que l’article R. 313-14 dudit code , issu du décret du 29 août 2000 dispose : « Les missions confiées au CNASEA en faveur des exploitations agricoles comprennent notamment : 1°La mise en œuvre, pour le compte de l’Etat, des collectivités territoriales ou de la Communauté européenne d’actions concourant à l’installation des agriculteurs et à leur formation continue, à la modernisation, à l’extensification, à la diversification, au développement et à la transmission des exploitations agricoles, ainsi qu’à la mobilité géographique, professionnelle et sociale et à la cessation d’activité des exploitants et futurs exploitants ; (…) » ; que ces dispositions, en vigueur en 2005, date du contrôle du CNASEA, s’appliquent à toutes les missions confiées par convention à la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, sans que l’article L. 313-3 du code rural et de la pêche maritime exige que le CNASAE soit partie à la convention ; que les conventions passées entre l’Etat et la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, qui précisent les missions du CNASEA, aux droits desquels est venu l’ASP, lui donnent ainsi compétence pour verser à la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA les aides publiques de l’Etat et de la Communauté européenne correspondant à la bonification des prêts consentis aux agriculteurs et, par suite, pour exercer les contrôles qu’elles prévoient, selon les modalités et avec les effets qu'elles déterminent ; qu’à cet égard, le caractère de sanction que revêtiraient ces effets est sans influence sur la compétence du CNASEA puis de l’ASP ; que dès lors que l’habilitation du CNASEA repose sur une convention, la société requérante ne peut pas utilement invoquer l’imprécision de la délégation prévue par le II de l’article L. 313-3 ou la portée du règlement (CE) n°1290/2005 du Conseil relatif au financement de la politique agricole commune ; que, par suite, le moyen tiré de l’incompétence du CNASEA et de l’ASP ne peut qu’être écarté ;

En ce qui concerne la légalité de la réfaction :

Considérant que les conventions passées entre l’Etat et la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA pour la distribution des prêts bonifiés à l’agriculture définissent les obligations de l’établissement de crédit quant à l’instruction et au suivi des dossiers de prêts, selon une procédure formalisée qui récapitule les « tâches engageant la responsabilité des établissements », parmi lesquelles la constitution et la conservation des dossiers de prêts comportant des pièces justificatives dont la liste est précisée ; que ces conventions prévoient que le contrôle par l’Etat des procédures suivies, effectué par l’intermédiaire du CNASEA, repose sur des audits des procédures de facturation, qui peuvent donner lieu notamment à des réfactions sur la facture de bonification ; que l’annexe à l’avenant conclu le 2 juin 2003, applicable aux prêts distribués en 2000, 2001 et 2002 ainsi que le protocole d’accord relatif à l’application de cet avenant et du contrat du 2 juin 2003 relatif aux prêts distribués en 2003 précisent que le contrôle porte sur un échantillonnage de dossiers, en déterminent la composition, décrivent les éléments sur lesquels porte le contrôle, précisent, pour chaque type d’anomalies, s’il donne lieu à réfaction et fixent le mode de calcul du taux de réfaction, déterminé par extrapolation à l’ensemble des prêts du taux d’erreur constaté sur l’échantillon contrôlé ;

Considérant, en premier lieu, que si la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA soutient que le dispositif de réfaction et les modalités de contrôle lui ont été imposés, le seul fait qu’elle a émis, par la suite, des réserves expresses ne saurait établir qu’elle n’aurait pas été en mesure de discuter les termes de ces avenants et que son consentement aurait ainsi été vicié ; que, par suite, le moyen tiré de la nullité des clauses organisant le contrôle et en tirant les conséquences doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que la réfaction prévue par les stipulations contractuelles remet en cause le paiement par l’Etat des charges de bonification à la suite de la constatation d’anomalies dans la constitution et la gestion des dossiers de prêts ; que si ces anomalies ne correspondent pas nécessairement à l’attribution de prêts bonifiés à des agriculteurs qui ne rempliraient pas les conditions de fonds pour en bénéficier, elles révèlent des irrégularités dans la procédure suivie qui exposent l’Etat à la perte de la contribution communautaire ; que, malgré son caractère forfaitaire, qui résulte de l’extrapolation d’un échantillon à l’ensemble des prêts, la réfaction, qui s’applique uniquement à la bonification des prêts qui n’ont pas été traités régulièrement, vise ainsi non à sanctionner une faute de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA, mais à garantir la régularité de la dépense publique et à prémunir l’Etat contre la perspective de perte de la contribution communautaire ; qu‘à cet égard, la circonstance que la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA ne serait pas le bénéficiaire final de l’aide est sans influence sur sa responsabilité dans les irrégularités de forme constatées dans la constitution des dossiers ; que l’obligation qui lui est faite en application de stipulations contractuelles de restituer des sommes facturées dans des conditions irrégulières ne saurait ainsi présenter par elle-même le caractère d’une sanction ; que, par suite, les moyens tirés de ce que les mesures de réfaction bénéficieraient, d’une part, de l’amnistie, d’autre part, de la prescription prévue par le règlement n° 2988/95 du Conseil du 18 septembre 1995 relatif aux sanctions communautaires, doivent être écartés comme inopérants ;

Considérant, en troisième lieu, que le règlement du marché précise que des contrôles a posteriori seront effectués et qu’ils pourront entrainer des réfactions ; que la définition des modalités du contrôle, postérieurement aux années sur lesquelles ce contrôle a porté, ne leur a pas ainsi conféré une rétroactivité illégale, dès lors qu’elles se sont bornées à organiser le contrôle au titre des années pour lesquelles il était régulièrement prévu ;

Considérant, en quatrième lieu, que l’ASP ne constitue pas une juridiction devant laquelle l’allongement de la procédure aurait compromis les droits de la défense ou le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté ; que le moyen tiré de la violation de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté ;

Considérant, en cinquième lieu, que l’obligation dans laquelle se trouverait un emprunteur, à la suite du déclassement de son prêt, de reverser à l’Etat le montant de la bonification qui lui a été accordée à tort ne saurait induire un risque de cumul avec la réfaction opérée par ailleurs, qui ne concerne pas un dossier en particulier, compte tenu du caractère global et forfaitaire de la réfaction ; que, dès lors qu’un dossier présenterait une irrégularité, il serait réputé avoir donné lieu à réfaction, ce qui ferait ainsi obstacle à son déclassement, le montant de la bonification correspondante ayant déjà été restitué à l’Etat dans le cadre de la réfaction ; que le moyen tiré du double emploi de la réfaction avec le déclassement doit, par suite, être écarté ;

Considérant, enfin, que la réfaction ne constitue pas une sanction et n’a pas pour but de réparer un préjudice ; que même si elle peut résulter de la constatation d’anomalies mineures ou qui n’auraient que de faibles incidences financières, son montant global, rapporté au montant total de prêts, ne saurait être regardé comme manifestement excessif ou disproportionné ; que le moyen tiré de la méconnaissance des principes dont s’inspire l’article 1152 du code civil doit par suite être écarté ;

Sur les conclusions subsidiaires :

Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la circonstance que certains dossiers contrôlés seraient amnistiés, ne seraient affectés que d’anomalies légères, ou dépourvus de réelles conséquences financières est sans influence sur le montant des réfactions tel que fixé par les conventions qui les ont définies ; que par suite les conclusions tendant, à titre subsidiaire, à la réduction des réfactions doivent également être rejetées ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de l’ASP, qui dans la présente instance n’est pas la partie perdante, la somme que demande la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA au titre des frais d’instance exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA la somme de 2 000 euros au titre des frais d’instance exposés par l’ASP et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA est rejetée.

Article 2 : la SOCIETE CREDIT AGRICOLE SA versera à l’Agence de services et de paiement la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.