Vu la requête, enregistrée le 8 mars 2012, présentée pour M. Velichko Y==, élisant domicile chez son avocat, Me Cesso, 18 avenue René Cassagne à Cenon (33150), par Me Cesso ;

M. Y== demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°1104368 du 7 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet de la Gironde du 3 octobre 2011 lui faisant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours ;

2°) d’annuler l’arrêté contesté ;

3°) d’ordonner au préfet de la Gironde de lui restituer son passeport ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat, au profit de son conseil, la somme de 1 500 euros en application de l’article 37 alinéa 2 du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu l'ordonnance fixant au 14 juin 2012 la clôture d'instruction ;

Vu la décision du 4 octobre 2012 par laquelle le bureau d’aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a accordé le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale à M. Y== ;

Vu les autres pièces du dossier ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Vu l’accord du 19 juin 1990 d’application de l’accord de Schengen ; Vu le traité sur l’Union européenne et le traité sur la Communauté européenne ; Vu le traité signé le 25 avril 2005, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne ; Vu la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ; Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ; Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 octobre 2012 :

- le rapport de M. Philippe Cristille, premier-conseiller ;

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;

Considérant que M. Y==, ressortissant bulgare, est entré en France en dernier lieu le 25 septembre 2011 selon ses déclarations ; qu’il relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 février 2012 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l’arrêté du 3 octobre 2011 par lequel le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours au motif que son séjour était constitutif d’un abus de droit ;

Sur les conclusions à fin d’annulation : En ce qui concerne la légalité externe : Considérant que l’arrêté attaqué a été signé pour le préfet de la Gironde par Mme Isabelle Dilhac, secrétaire générale de la préfecture de la Gironde, laquelle, aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 2 mai 2011 du préfet de la Gironde, régulièrement publié au recueil spécial n°16 des actes administratifs du 17 mars au 2 mai 2011, a reçu délégation de signature notamment « à l’effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, mémoires documents et correspondances relevant des attributions de l’Etat dans le département de la Gironde, à l’exception : - réquisitions de la force armée, - des propositions de nomination dans l’ordre de la Légion d’Honneur ; - des actes portant aliénation des immeuble appartenant à l’Etat à partir d’un montant de 200 000 euros. » ; que ces dispositions, qui sont suffisamment précises, donnaient légalement compétence à Mme Dilhac pour signer l’arrêté attaqué du 3 octobre 2011 ; qu’il s’ensuit que le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’arrêté contesté doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’arrêté attaqué vise les dispositions de droit dont il fait application et mentionne les circonstances de fait propres à la situation de M. Y== ; qu’il est par suite suffisamment motivé ; qu’il résulte de la motivation même de cet arrêté que le préfet a procédé à l’examen particulier de la situation de l’intéressé ;

En ce qui concerne la légalité interne :

S’agissant de l’incompatibilité du fondement légal de l’arrêté contesté avec la directive 2004/38/CE :

Considérant que le requérant invoque l’incompatibilité des dispositions du 2° de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui constituent le fondement légal de l’arrêté litigieux, avec la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 : « La présente directive concerne : a) les conditions d'exercice du droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (…). » ; que le point 1 de l’article 3 de cette directive précise qu’elle « s'applique à tout citoyen de l'Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu'aux membres de sa famille, tels que définis à l'article 2, point 2), qui l'accompagnent ou le rejoignent. » ; qu’aux termes de l’article 6 de cette directive : « 1. Les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre Etat membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité. (…). » ; que selon l’article 7 de cette même directive : « 1. Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre Etat membre pour une durée de plus de trois mois : (…) b ) S’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’Etat membre d’accueil (…) » ; qu’aux termes de l’article 14 de ladite directive : « 1. Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil. 2. Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncés dans ces articles (…) » ; qu’enfin, l’article 35 de la directive précise : « Les Etats membres peuvent adopter les mesures nécessaires pour refuser, annuler ou retirer tout droit conféré par la présente directive en cas d’abus de droit ou de fraude, tels que les mariages de complaisance. Toute mesure de cette nature est proportionnée et soumise aux garanties procédurales prévues aux articles 30 et 31.» ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-3-1 du code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, créé par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité : « L’autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (…) à quitter le territoire français lorsqu’elle constate : 1° Qu’il ne justifie plus d’aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; 2° Ou que son séjour est constitutif d’un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d’assistance sociale ; (…) l’autorité administrative compétente tient compte de l’ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l’intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 121-1 de ce même code : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (…). » ; qu'aux termes de l'article L. 121-4 du même code : « Tout citoyen de l'Union européenne (…) ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d'un droit au séjour en application de l'article L. 121-1 ou de l'article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l'ordre public peut faire l'objet, selon le cas, d'une décision de retrait de celle-ci ainsi que d'une mesure d'éloignement prévue au livre V » ; qu’enfin aux termes de l’article R. 121-4 de ce code : « Lorsqu'il est exigé, le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé. (…) » ;

Considérant que l’article 35 précité de la directive 2004/38/CE reconnaît expressément aux Etat membres la possibilité d’adopter les mesures nécessaires pour refuser, annuler ou retirer, en cas d’abus de droit, « tout droit conféré par la directive » ; que le droit dont dispose un citoyen de l’Union, en vertu de l’article 6 de la directive, de séjourner sur le territoire d’un autre Etat membre pour une période allant jusqu’à trois mois sans autre condition que la détention d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité est au nombre des droits visés par l’article 35, lequel permet ainsi aux Etats membres de définir les cas dans lesquels l’exercice de ce droit est constitutif d’un abus de droit ; que ce même article ne limite pas aux mariages de complaisance les cas d’abus de droit ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, en précisant qu’est constitutif d’un abus de droit « le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois en France dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies », les dispositions précitées du 2° de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne définissent pas comme un abus de droit le seul fait de renouveler des séjours de moins de trois mois en France ; qu’elles entendent, au contraire, viser les cas dans lesquels la répétition et le rapprochement dans le temps de séjours de moins de trois mois en France révéleraient, de la part d’un ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne ne remplissant pas les conditions requises pour séjourner en France plus de trois mois, sa volonté de se maintenir sur le territoire afin de bénéficier des avantages procurés aux résidents de longue durée et notamment du système français d’assistance sociale et de soins ; que ces dispositions législatives, qui ne définissent pas ainsi de façon excessivement large le cas d’abus de droit qu’elles visent, n’ont pas méconnu le droit conféré aux Etats membres par l’article 35 de la directive de prendre les mesures permettant de refuser ou de retirer à un citoyen de l’Union européenne le droit de séjour tel que défini par l’article 6 de la directive ;

Considérant, enfin, que ni l’article 35 de la directive, ni les articles 30 et 31 auxquels il renvoie, ne font obstacle à ce que le refus ou le retrait du droit de séjour reconnu par l’article 6 de la directive prenne la forme d’une simple mesure d’éloignement telle qu’une obligation de quitter le territoire français, du moment que l’intéressé bénéficie de l’ensemble des garanties procédurales rappelées par les articles 30 et 31 de la directive ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’incompatibilité du 2° de l’article L. 511-3-1 avec la directive 2004/38/CE doit être écarté ;

S’agissant du moyen tiré de ce que la situation du requérant n’entrerait pas dans le champ du 2° de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations de M. Y== recueillies par les services de police les 4 août et 3 octobre 2011, dont la teneur a été confirmée par celles faites par son épouse, que le requérant, entré sur le territoire français pour la dernière fois le 25 septembre 2011, soit moins de trois mois à la date de la décision en litige, a effectué, depuis au moins sept ans, de nombreux allers et retours entre la France et la Bulgarie avec sa compagne et leur enfant, multipliant ainsi les séjours en France d’une durée variant entre deux et cinq mois ; qu’il a déclaré se livrer « de temps en temps » au « travail au noir », et sa compagne à la mendicité, tous deux vivant avec leur fils dans un local à l’état d’abandon lorsqu’ils sont en France, et ne justifiant pas de ressources ; que sa compagne a déclaré à la police, le 4 août 2011, que M. Y== bénéficiait, comme elle, de l’aide médicale d’Etat ; que, dans ces conditions, le préfet de la Gironde a pu légalement estimer que l’ancienneté et le caractère systématique de la pratique de séjours rapprochés en France de M. Y== révélaient, en réalité, la volonté de l’intéressé de se maintenir sur le territoire français alors qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour un séjour prolongé et en conclure que le séjour en France de M. Y== était constitutif d’un abus de droit entrant dans le champ d’application du 2° précité de l’article L. 511-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’article 20 de l’accord du 19 juin 1990 d’application de l’accord de Schengen n’a ni pour objet ni pour effet de restreindre aux six mois qui ont précédé la décision contestée la période pendant laquelle doit être caractérisé le comportement constitutif de l’abus de droit visé par le 2° dudit article L. 511-3-1 ;

S’agissant du droit à la protection de la vie privée et familiale :

Considérant que l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : "1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; (…) » ;

Considérant que si, à la date de l’arrêté litigieux, M. Y== vivait en France avec sa compagne Mme E== et leur fils âgé de 12 ans, il ressort des pièces du dossier que M. Y== et sa compagne font tous deux l’objet d’une obligation de quitter le territoire et que M. Y== n’est pas dépourvu de tout lien familial dans son pays d’origine où résident notamment son père, un frère et une sœur et où il a vécu jusqu’à l’âge de 46 ans ; que, par suite, compte tenu des conditions du séjour de M. Y== sur le territoire français, ainsi que de la possibilité pour lui et son épouse d’emmener leur enfant en Bulgarie afin d’y poursuivre leur vie familiale, la décision portant obligation de quitter le territoire n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis ;

S’agissant du moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation :

Considérant que, compte tenu de la précarité des ressources de M. Y== et de ce que, comme il vient d’être dit, son séjour en France s’est opéré de façon fractionnée, sous la forme d’un usage abusif de son droit à séjourner moins de trois mois, le préfet de la Gironde n’a pas commis d’erreur manifeste des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l’intéressé en lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, que M. Y== n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant que le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d’annulation n’implique aucune mesure d’exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d’injonction présentées par le requérant tendant à la restitution de son passeport ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement à l’avocat de M. Y== de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. Y== est rejetée.