Vu le recours enregistré au greffe de la Cour le 15 janvier 2009, présenté pour le MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION par la SCP d’avocats Lyon Caen, Fabiani, Thiriez ;

Le MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0602706 du 20 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers, à la demande de M. Henri M==, a annulé l’arrêté du préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne, en date du 12 mai 2006, déclarant la grotte de Vilhonneur propriété de l’Etat et l’incorporant à son domaine public, ensemble la décision rejetant implicitement le recours gracieux de M. M== ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. M== devant le Tribunal administratif de Poitiers ;

3°) de mettre à la charge de M. M== la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu la convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (révisée) signée à Malte le 16 janvier 1992, publiée par le décret n° 95-1039 du 18 septembre 1995;

Vu le code civil ;

Vu le code du patrimoine ;



Vu le décret n° 2004-490 du 3 juin 2004 relatif aux procédures administratives et financières en matière d’archéologie préventive ;



Vu le code de justice administrative ;



Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;



Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 novembre 2010 : le rapport de M. Valeins, président assesseur ;



les observations de Me Lyon Caen pour le MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION et de M. M== ;



et les conclusions de M. Zupan, rapporteur public ;



La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;



Considérant que M. M== est propriétaire d’un terrain situé sur la commune de Vilhonneur (Charente) ; que sur ses indications, une équipe de spéléologues a découvert, à environ 20 mètres sous terre du bois lui appartenant, un réseau de galeries et de salles révélant notamment des peintures pariétales pouvant dater du paléolithique supérieur ; que cette découverte, réalisée le 8 décembre 2005, a été signalée le lendemain à la direction régionale des affaires culturelles ; que, par délibération en date du 7 avril 2006, le conseil municipal de la commune de Vilhonneur a renoncé à exercer ses droits sur ce vestige archéologique immobilier devenu sa propriété par l’effet des dispositions combinées des articles L. 541-1 du code du patrimoine, 713 du code civil et 63 du décret susvisé du 3 juin 2004 ; que, sur le fondement des mêmes dispositions, le préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne a, par arrêté du 12 mai 2006, constaté, en considération de l’intérêt scientifique, patrimonial et culturel de ce vestige dénommé « Grotte de Vilhonneur », que ladite grotte devenait propriété de l’Etat, et l’a incorporée au domaine public de l’Etat ; que, saisi par M. M== d’un recours gracieux, le préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne, a rejeté implicitement ce recours ; qu’à la demande de M. M==, le Tribunal administratif de Poitiers a, par jugement du 20 novembre 2008, annulé l’arrêté préfectoral ainsi que la décision rejetant le recours gracieux ; que le MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION interjette appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :



Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article R. 711-2 du code de justice administrative : « Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (…) du jour où l'affaire sera appelée à l'audience (…) / L'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience (…) » ; qu’il ressort des pièces du dossier que des avis d’audience ont été adressés par le tribunal administratif au préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne, ainsi qu’à l’avocat de M. M==, par lettres recommandées avec accusé de réception ; que ces avis d’audience ont été reçus par les parties le 6 octobre 2008, pour une audience fixée au 6 novembre 2008 ; que, par suite le moyen tiré de ce que les parties auraient été irrégulièrement averties du jour de l’audience doit être écarté ;




Sur le bien-fondé du jugement :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 541-1 du code du patrimoine en vigueur à la date d’intervention des décisions litigieuses : « Les dispositions de l’article 552 du code civil relatives aux droits du propriétaire du sol ne sont pas applicables aux vestiges archéologiques immobiliers. / L’Etat verse au propriétaire du fonds où est situé le vestige une indemnité destinée à compenser le dommage qui peut lui être occasionné pour accéder audit vestige. A défaut d’accord amiable, l’action en indemnité est portée devant le juge judiciaire. / Lorsque le vestige est découvert fortuitement et qu’il donne lieu à une exploitation, la personne qui assure cette exploitation verse à l’inventeur une indemnité forfaitaire ou, à défaut, intéresse ce dernier au résultat de l’exploitation du vestige. L’indemnité forfaitaire et l’intéressement sont calculés en relation avec l’intérêt archéologique de la découverte et dans des limites et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat » ; qu’aux termes des dispositions de l’article 552 du code civil : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. / Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre " Des servitudes ou services fonciers ". / Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police » ; qu’aux termes de l’article 713 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 13 août 2004 : « Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l'Etat si la commune renonce à exercer ses droits. » ; qu’aux termes des dispositions de l’article 63 du décret susvisé du 3 juin 2004 : « Sauf lorsque le propriétaire du fonds contenant un vestige archéologique immobilier, issu de fouilles ou découvert fortuitement, établit qu'il est propriétaire de ce vestige, un arrêté du préfet de région constate que ce dernier est propriété de l'Etat par l'effet des dispositions du premier alinéa de l'article L. 541-1 du code du patrimoine et de l'article 713 du code civil. Cet arrêté est publié au fichier immobilier de la conservation des hypothèques dans les conditions de droit commun. / Si l'intérêt archéologique du vestige le justifie, le préfet de région autorise l'incorporation du bien au domaine public affecté au ministère chargé de la culture, après avis de la commission interrégionale de la recherche archéologique. / Lorsque le vestige n'est pas incorporé au domaine public, il peut être cédé à l'amiable par l'Etat, dans les conditions définies au sixième alinéa de l'article R. 129 du code du domaine de l'Etat. / Si, dans un délai de six mois à compter de la découverte du vestige, le préfet n'a procédé ni à son incorporation au domaine public de l'Etat ni à sa cession amiable, l'Etat est réputé avoir renoncé à la propriété de ce vestige. Le propriétaire du fonds peut, à tout moment après l'expiration de ce délai, demander au préfet de constater cette renonciation par un acte qui est publié au fichier immobilier de la conservation des hypothèques dans les conditions de droit commun » ;

Considérant qu’aux termes des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général » ; que si ces stipulations ne font pas obstacle à l’édiction, par l’autorité compétente, d’une réglementation de l’usage des biens, dans un but d’intérêt général, ayant pour effet d’affecter les conditions d’exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d’une décision individuelle prise sur la base d’une telle réglementation, d’une part de tenir compte de l’ensemble de ses effets juridiques, d’autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l’espèce, d’apprécier s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général qui sont à l’origine de cette décision ;

Considérant, en premier lieu, que si les dispositions de l’article L. 541-1 du code du patrimoine n’instituent pas une présomption de propriété des vestiges archéologiques immobiliers au bénéfice de l’Etat et si le décret du 3 juin 2004 pris pour leur application a réservé la possibilité au propriétaire du fonds, avant la constatation d’un transfert à l’Etat de la propriété de vestiges découverts tant à l’issue de fouilles que de manière fortuite, de faire la preuve qu’il est propriétaire desdits vestiges, une telle possibilité, qui ne pourrait s’exercer dès lors qu’aucun titre, aucune prescription acquisitive n’aurait pu couvrir un bien dont l’existence était ignorée, ne peut être regardée comme créant les conditions d’un juste équilibre entre les droits du propriétaire du fonds et ceux de l’Etat ; qu’ainsi en privant le propriétaire du sol du moyen de faire la preuve de la propriété d’un élément du sous-sol, qui résultait antérieurement du seul fait qu’il était propriétaire du sol, sauf preuve contraire par des tiers qui en revendiqueraient la propriété, ces dispositions ont en réalité pour objet et pour effet de permettre la dépossession du propriétaire du sol d’une partie de son tréfonds, en rendant sans maître des vestiges immobiliers qui lui appartenaient en vertu des dispositions en vigueur avant l’institution des dispositions de l’article L. 541-1 du code du patrimoine ; qu’il s’ensuit que lesdites dispositions portent atteinte au droit de propriété du propriétaire du fonds dans le sous-sol duquel les vestiges ont été découverts ;

Considérant, en second lieu, que si les dispositions litigieuses peuvent être regardées comme poursuivant un but d’utilité publique au sens des stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’elles ont été édictées afin d’assurer la conservation et la sauvegarde du patrimoine archéologique, elles ne ménagent pas un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la sauvegarde du droit de propriété ; qu’en effet le seul versement au propriétaire du terrain d’une indemnité destinée à compenser le dommage qui peut lui être occasionné pour accéder audit vestige, prévu par le deuxième alinéa de l’article L. 541-1 du code du patrimoine, ne constitue pas une juste compensation de la privation de la propriété des vestiges eux-mêmes ; qu’il suit de là que les dispositions des articles L. 541-1 du code du patrimoine et 63 du décret du 3 juin 2004, en tant qu’elles privent le propriétaire du fonds de la propriété des vestiges archéologiques immobiliers qui se trouvent dans le tréfonds de son terrain sans aucune compensation, méconnaissent les stipulations du premier alinéa de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que par suite le préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne ne pouvait légalement se fonder sur ces dispositions pour constater, par l’arrêté attaqué du 12 mai 2006, que le vestige dénommé « grotte de Vilhonneur » est propriété de l’Etat et l’incorporer au domaine public de l’Etat ; que, dès lors, le MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision, ensemble la décision rejetant le recours gracieux de M. M== ;



Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :



Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. M==, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que l’Etat demande au titre de leur application ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par M. M== et non compris dans les dépens ;




DECIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION est rejeté.



Article 2 : L’Etat versera à M. M== la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.