Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 1er décembre 2009, présentée pour la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE, dont le siège est Immeuble consulaire Puy Pinçon à Tulle (19001), représentée par son président en exercice, par Me Le Bouëdec ; la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0900634 en date du 1er octobre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Limoges a, d’une part, annulé les titres de recettes émis à l’encontre de la FDSEA (fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) de la Corrèze rendus exécutoires les 2 octobre 2006, 28 décembre 2006, 19 décembre 2007 et 31 décembre 2008 ainsi que la facture d’un montant de 5 382 euros émise le 28 octobre 2004 et, d’autre part, déchargé en conséquence la FDSEA de la Corrèze de l’obligation de payer la somme de 166 151,50 euros ;

2°) de rejeter la demande en opposition formée par la FDSEA de la Corrèze ;

3°) de condamner la FDSEA de la Corrèze à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 18 novembre 2010 :

- le rapport de M. Braud, premier conseiller, - les observations de Me Cesari, pour la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE et de Me Choblet-Le Goff, pour la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de la Corrèze, - et les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

La parole ayant à nouveau été donnée aux parties ;

Considérant que plusieurs organisations professionnelles départementales, dont la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE et la FDSEA de la Corrèze, ont signé, le 10 juillet 2002, un protocole d’accord prévoyant notamment la création par la FDSEA de la Corrèze d’un service d’assistance juridique des agriculteurs avec le concours des autres organisations professionnelles ; que la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE a mis l’un de ses agents à la disposition du service juridique ainsi créé, dénommé Juris 19, notamment pour animer le service « agriculture sociétaire » ; qu’à ce titre, la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE a émis, les 28 octobre 2004, 2 octobre et 28 décembre 2006, 19 décembre 2007 et 31 décembre 2008, des titres de recettes afin d’obtenir le paiement par la FDSEA de la Corrèze de sommes dues au titre de la participation de l’agent de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE au fonctionnement du service Juris 19 ; que, par un jugement en date du 1er octobre 2009, le Tribunal administratif de Limoges a annulé l’ensemble de ces actes et a déchargé la FDSEA de la Corrèze de l’obligation de payer les sommes correspondantes, soit un montant total de 166 151,50 euros ; que la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, que la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE soutient que les premiers juges, en indiquant « qu’il ressort des pièces du dossier (…) que le dispositif d’aide auprès des agriculteurs reposait sur le paiement par l’agriculteur bénéficiaire de la prestation de conseil, entre les mains de la FDSEA de la Corrèze de la totalité de la prestation, à charge pour cet organisme de reverser ensuite aux différents prestataires intervenus, et notamment à la Chambre d’agriculture de la Corrèze, la part leur revenant » puis en estimant « que la seule convention produite, intitulée protocole d’accord (…) ne comporte aucune stipulation relative au principe d’une refacturation par la fédération aux différents intervenants ni aux modalités de détermination des montants éventuellement dus », ont d’abord reconnu l’existence d’un principe de reversement par la fédération aux autres prestataires de la part leur revenant avant de le renier ; qu’il ressort toutefois de la motivation du jugement attaqué que les premiers juges n’ont pas renié l’existence de ce principe de reversement mais ont simplement constaté que s’il ressortait des pièces du dossier qu’il existait une pratique de reversement, cette pratique n’était toutefois pas prévue dans le contrat ; qu’ainsi, les premiers juges n’ont pas entaché leur jugement d’une contradiction de motifs ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L. 511-4 du code rural, dans sa rédaction applicable au titre de recettes émis le 28 octobre 2004 : « (…) Les établissements ou services d’utilité agricole créés par les chambres d’agriculture et par l’assemblée permanente des chambres d’agriculture en vertu du présent article sont gérés et leurs opérations sont comptabilisées conformément aux lois et usages du commerce. Les prévisions de recettes et de dépenses de ces établissements et services doivent faire l’objet de budgets spéciaux. Elles ne figurent au budget ordinaire de la chambre d’agriculture intéressée ou de l’assemblée permanente que par leur solde créditeur ou débiteur (…) » ; que ces dispositions, qui ont ensuite été transférées à l’article L. 514-2 du code rural en application de l’article 219 de la loi n° 2005 157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, sont également applicables au titre de recettes émis le 2 octobre 2006 ; qu’elles ont pour effet de placer les créances des services d’utilité agricole sous un régime de droit privé ; qu’il ressort des intitulés des titres de recettes émis les 28 octobre 2004 et 2 octobre 2006 qu’ils concernent des créances du service d’utilité agricole de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE ; que, par suite, les juridictions administratives ne sont pas compétentes pour connaître de la régularité de ces titres de recettes ;

Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précitées concernant les services d’utilité agricoles ont été abrogées par l’article 6 de l’ordonnance n° 2006-1207 du 2 octobre 2006 relative aux chambres d’agriculture entré en vigueur le 3 octobre 2006 ; qu’aux termes de l’article L. 514-2 du code rural, dans sa rédaction issue de cette ordonnance et applicable aux autres titres en litige : « (…) II. - Chaque établissement du réseau des chambres d’agriculture est doté d’un budget unique. Il prévoit et autorise la totalité des dépenses et des recettes de l’établissement affectées à son fonctionnement et aux actions retracées dans les programmes d’intérêt général, y compris celles relatives à ses activités industrielles et commerciales. III. - Par délibération de leurs assemblées, plusieurs établissements du réseau peuvent décider de réaliser des projets communs sur le territoire de plusieurs départements et confier leur réalisation à l’un d’entre eux. Pour gérer des moyens communs ou mettre en œuvre des actions communes, plusieurs établissements du réseau peuvent créer des organismes disposant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière ; la nature de ces personnes morales et leurs modalités de fonctionnement sont fixées par décret (…) » ; qu’il résulte des dispositions précitées que les autres créances de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE DE LA CORREZE, alors même que certaines d’entre elles se rattachent à un service d’utilité agricole, ne sont pas placées sous un régime de droit privé ; que, par suite, les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de la régularité de ces titres de recettes ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Limoges s’est reconnu compétent pour apprécier la régularité des titres de recettes émis les 28 octobre 2004 et 2 octobre 2006 ; que ce jugement doit dès lors être annulé en tant qu’il a statué sur la régularité de ces deux titres ;

Sur la régularité des titres de recettes émis les 28 décembre 2006, 19 décembre 2007 et 31 décembre 2008 :

Considérant que lorsqu’un établissement public entend affirmer l’existence d’une créance à l’égard d’un tiers, il lui appartient, en dehors du cas de créances contractuelles, d’émettre un titre de recettes ; que le fondement de la créance ainsi constatée doit cependant se trouver dans les dispositions d’une loi, d’un règlement, ou d’une décision de justice ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur ;

Considérant que le Tribunal administratif de Limoges a déchargé la FDSEA de la Corrèze de son obligation de payer les sommes mises à sa charge par les titres de recettes litigieux au motif que les créances en cause ne présentaient pas de caractère certain et exigible en l’absence de stipulations, dans le protocole d’accord, relatives, d’une part, au principe d’une refacturation par la fédération aux différents intervenants et, d’autre part, aux modalités de détermination des montants éventuellement dus ; qu’il résulte toutefois de l’instruction, et notamment d’un relevé de décisions prises lors des réunions FDSEA de la Corrèze-CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE-COMPTACOR des 4, 18 et 22 octobre 2002 produit pour la première fois en appel, que le service Juris 19 facture les prestations et rétribue par convention les organismes qui ont mis leur personnel à sa disposition ; qu’il résulte de ce même document ainsi que du rapport d’audit, de la présentation générale de Juris 19 et de la plaquette de présentation de cette structure, qu’un agent de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE avait la charge du service « agriculture sociétaire » ; que, selon le rapport d’audit, une convention avait été conclue avec la chambre d’agriculture sur la base d’un retour financier de 23 000 euros au titre de l’année 2003 et que la marge financière de Juris 19 sur les prestations réalisées par la chambre d’agriculture correspondait au différentiel entre les factures acquittées et les prestations versées ; qu’il résulte également de l’instruction que cette mise à disposition d’un agent et la rémunération subséquente sont confirmées tant par la comptabilité de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE que par celle de la FDSEA de la Corrèze ; que ces éléments, et notamment la circonstance que la FDSEA a, à plusieurs reprises, rémunéré la participation d’un agent de la chambre d’agriculture à la structure Juris 19, révèlent l’existence d’un contrat tacite, accessoire du protocole d’accord précité, ayant pour objet la mise à disposition de la structure Juris 19 d’un agent de la chambre d’agriculture en contrepartie d’une rémunération correspondant au montant des prestations effectuées par cet agent ; que ce contrat constitue donc le fondement des créances constatées par les titres de recettes en litige ; que, par suite, les créances en cause présentent un caractère certain et exigible ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE est fondée à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif de Limoges a déchargé la FDSEA de la Corrèze de son obligation de payer les sommes figurant sur les titres de recettes émis les 28 décembre 2006, 19 décembre 2007 et 31 décembre 2008 en raison de l’absence de créance certaine et exigible ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la FDSEA de la Corrèze devant le Tribunal administratif de Limoges ;

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’habilitation du président de la FDSEA de la Corrèze :

Considérant que les premiers juges ont relevé que l’article 28 des statuts de la FDSEA de la Corrèze dispose : « Le conseil d’administration est investi notamment de la capacité d’exercer toutes les actions judiciaires tant en défendant qu’en demandant et déléguer un de ses membres pour suivre les instances » ; qu’ils ont ajouté que le conseil d’administration de la FDSEA de la Corrèze qui, le 23 janvier 2009, avait autorisé son président à engager toute démarche utile dans le litige l’opposant à la chambre d’agriculture, a, le 15 mai 2009, autorisé son président à porter ce litige devant le tribunal administratif ; qu’ils en ont conclu que la fin de non-recevoir susvisée, opposée par LA CHAMBRE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE, n’est pas fondée et doit être rejetée ; qu’en appel, la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE n’apporte aucun élément nouveau susceptible d’infirmer la motivation retenue par le tribunal pour rejeter cette fin de non-recevoir ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter cette fin de non-recevoir par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges ;

Sur la régularité du titre de recettes émis le 28 décembre 2006 :

Considérant, en premier lieu, que tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l’état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur ;

Considérant que la liste à laquelle renvoie ce titre de recettes recense l’ensemble des factures concernées en indiquant leur date, leur objet et leur montant ; que ce titre de recettes doit dès lors être regardé comme faisant référence à un document joint détaillant les bases de liquidation des créances auquel il se rapporte ; que, par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient la FDSEA de la Corrèze, ce titre de recettes est signé par l’ordonnateur et est revêtu de la formule exécutoire ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de caractère exécutoire de ce titre de recettes doit être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que la FDSEA de la Corrèze soutient que la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE n’était pas compétente pour facturer des prestations juridiques ; qu’il résulte cependant de l’instruction, et notamment du libellé du titre litigieux, que les créances en cause ne correspondent pas à la facturation de prestations juridiques mais à la facturation de la mise à disposition d’un agent pour participer au service « agriculture sociétaire » ; que ce dernier moyen doit, dès lors, être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la demande de la FDSEA de la Corrèze tendant à la décharge de l’obligation de payer mise à sa charge par ce titre de recette doit être rejetée ;

Sur la régularité des titres de recettes émis le 19 décembre 2007 et le 31 décembre 2008 :

Considérant que ni les titres de recettes ni les listes qui y sont jointes, qui se bornent, sans viser de factures, à mentionner le montant dû au titre de chaque mois en ce qui concerne les périodes allant du 1er janvier 2007 au 30 novembre 2007 et du 1er décembre 2007 au 30 novembre 2008, n’indiquent les bases de liquidation des créances correspondant respectivement à la « Participation de la chambre d’agriculture pour les dossiers « constitutions, modification, règlements intérieurs, conventions » » et à la « Participation Laurent Condat pour les dossiers « constitutions, modifications, règlements intérieurs et conventions » » ; que la circonstance que la FDSEA de la Corrèze ne pouvait ignorer les bases de liquidation dans la mesure où elle était l’auteur des factures de la structure Juris 19 est sans incidence sur l’appréciation de la motivation du titre de recettes ; que, par suite, le moyen tiré de l’insuffisante motivation des titres de recettes litigieux doit être accueilli ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués, que la FDSEA de la Corrèze doit être déchargée de l’obligation de payer mise à sa charge par les titres de recettes émis le 19 décembre 2007 et le 31 décembre 2008 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre tant par la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE que par la FDSEA de la Corrèze ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 1er octobre 2009 du Tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la FDSEA de la Corrèze tendant à la décharge de l’obligation de payer les sommes mises à sa charge par les titres de recettes émis les 28 octobre 2004 et 2 octobre 2006 est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : La FDSEA de la Corrèze est déchargée de l’obligation de payer les sommes mises à sa charge par les titres de recettes émis les 19 décembre 2007 et 31 décembre 2008.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par la FDSEA de la Corrèze devant le Tribunal administratif de Limoges et des conclusions qu’elle a présentées devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la CHAMBRE DEPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA CORREZE tendant à la condamnation de la FDSEA de la Corrèze au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.